Prix du protectionnisme : les américains trinqueront à la taxe Trump

5 avril 2025

Nina Couturier

L’instauration de droits de douane de 20 % sur les vins et spiritueux de l’Union européenne, annoncée par le président Trump le 2 avril, menace directement les exportateurs français, mais surtout les consommateurs américains. Les responsables de la Réserve fédérale américaine alertent sur l’impact inflationniste de cette mesure, dans un contexte de croissance incertaine.

Une mesure « ciblée » pour une onde de choc généralisée

Pour rappel, le décret présidentiel signé le 2 avril 2025 par Donald Trump introduit un tarif de 20 % sur les vins et spiritueux de l’Union européenne à compter du 9 avril, dans le cadre d’un plan dit de « réciprocité ». Ce plan vise à compenser ce que la Maison Blanche considère comme une absence de traitement équitable dans les échanges commerciaux bilatéraux. Dans ce décret, le président Trump justifie sa décision en invoquant une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et l’économie des États-Unis » en raison de « déficits commerciaux annuels importants et persistants ».

La FED alerte sur l’effet inflationniste des nouveaux tarifs

Dans une déclaration prononcée le 4 avril 2025 à Arlington, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a mis en garde contre les effets macroéconomiques de cette décision : « À l’avenir, la hausse des droits de douane se répercutera sur notre économie et devrait manifester par l’inflation au cours des prochains trimestres », mettant par ailleurs en garde contre un risque préoccupant d’une inflation plus durable. Selon les données de la FED, les prix totaux des dépenses de consommation personnelle (PCE) ont déjà augmenté de 2,5 % sur 12 mois (février 2025), et les prix de base (hors alimentation et énergie) de 2,8 %. L’ajout de nouvelles taxes sur les biens importés essentiels pourrait aggraver cette tendance.

L’effet psychologique des taxes déjà visible sur la consommation

Avant même que les prix n’augmentent réellement, la simple anticipation d’une hausse peut influencer le comportement des ménages et des entreprises. Ces anticipations d’inflation définissent les prévisions que les acteurs économiques se font de l’évolution future des prix.

Il n’est donc pas étonnant de constater que les effets psychologiques des droits de douane sur les consommateurs et les entreprises américaines sont déjà visibles. Comme l’indiquait Adriana Kugler, gouverneure de la FED, juste après l’annonce des taxes US « les consommateurs comme les entreprises citent les nouveaux tarifs douaniers et les propositions de tarifs comme une raison importante » de la hausse des anticipations d’inflation.

Elle soulignait, pour preuve, que l’augmentation « significative » des anticipations d’inflation à court terme était perceptible dans plusieurs enquêtes mensuelles, notamment celle conduite par l’Université du Michigan, où les prévisions à un an atteignaient leur plus haut niveau depuis 1993. Elle note également une « divergence préoccupante entre la baisse des perceptions d’inflation passée et la hausse des anticipations futures », signe que les consommateurs anticipent une aggravation de la situation.

Dans un contexte où les prix de l’alimentation, des biens électroniques ou de certains produits manufacturés sont sensibles aux importations, les ménages redoutent une hausse directe du coût de la vie. Certains ajustent déjà leurs comportements : réduction des achats non essentiels, arbitrages budgétaires, ou rapport de certaines dépenses.

Dans son analyse, la gouverneure ajoute que « les entreprises signalent déjà non seulement des coûts plus élevés, mais aussi des anticipations de coûts plus élevés », ce qui renforce le risque que ces hausses soient répercutées sur les prix à la consommation.

Une spirale à double détente

Le choc tarifaire ne se limite pas à une hausse ponctuelle des prix. Il engendre une incertitude plus grande qui redoute les entreprises. Et dans ce contexte, les craintes de la filières vins et spiritueux ne sont pas isolées. Philip Jefferson, vice-président de la FED, « de nombreuses entreprises, notamment dans la construction, l’agriculture, les soins aux personnes âgées et la restauration, expriment également des inquiétudes quant à l’impact des politiques commerciales sur leurs coûts et leur capacité à recruter »

Et plus encore le Livre Beige de la FED, qui compile les témoignages économiques à travers les 12 districts de la Réserve fédérale, note une recrudescence inédite du mot « incertitude », mentionnée 45 fois, contre 12 un an auparavant. Cette incertitude se répercute sur les décisions d’investissement, de recrutement et de fixation des prix.

Ce climat de doute peut amplifier les effets du choc tarifaire : baisse de la confiance, diminution de la consommation, et tensions sur le marché du travail. Si ces tendances se confirment, elles pourraient ralentir la croissance américaine, compliquant alors la tâche de la Fed tentant aujorud’hui de ramener l’inflation à son objectif de 2 % sans provoquer une récession.

Une croissance menacée par la politique commerciale et une politique monétaire sous pression

Jerome Powell a également rappelé que « les effets économiques comprendront […] un ralentissement de la croissance », sans toutefois en estimer précisément l’ampleur. Il souligne qu’« il sera très difficile d’évaluer les effets économiques probables d’une hausse des droits de douane tant que les détails ne seront pas plus précis », mais l’équation est assez claire : hausse des prix générale = baisse de la consommation = ralentissement de la croissance.

Face à ces risques, la FED reste prudente, souhaitant « attendre davantage de clarté avant d’envisager tout ajustement de sa politique monétaire ». « Il est trop tôt pour déterminer quelle sera la trajectoire appropriée »

Le taux directeur reste donc maintenu entre 4,25 % et 4,5 %, malgré les appels à plus de réactivité. Pour Adriana Kugler, maintenir ce niveau est justifié tant que « les risques à la hausse sur l’inflation persistante, et que l’activité économique et l’emploi restent stables ».

Les marchés financiers rattrapés par l’incertitude

L’annonce des nouveaux tarifs douaniers a déclenché une onde de choc sur les marchés boursiers mondiaux. À Wall Street, l’indice S&P 500 a chuté de 3,29 % et le Nasdaq, plus exposé aux valeurs technologiques et aux chaînes d’approvisionnement asiatiques, a plongé de 4,41 %. En Europe, les valeurs du luxe et les établissements bancaires ont accusé de fortes baisses, tandis que le FTSE 100 britannique limitait les pertes grâce à l’exemption partielle du Royaume-Uni. Ces mouvements traduisent une inquiétude croissante des investisseurs, confrontés à une double pression : ralentissement économique et résurgence des tensions inflationnistes. Le retour d’un protectionnisme assumé par Washington fait ressurgir un climat d’incertitude que les marchés détestent — et que la Réserve fédérale devra désormais intégrer dans ses arbitrages.

Des effets boomerang redoutés par l’industrie américaine des spiritueux

De son côté, l’industrie américaine des spiritueux se montre particulièrement préoccupée par cette nouvelle escalade tarifaire. Le Distilled Spirits Council (DISCUS), qui représente les producteurs de bourbon, de Tennessee whisky et d’autres spiritueux emblématiques, rappelle que ces produits sont protégés par des statuts d’origine géographique et ne peuvent être fabriqués qu’aux États-Unis. Leur inclusion dans les mesures de rétorsion commerciale n’offre donc aucun levier de négociation efficace, tout en exposant le secteur à des représailles ciblées. Dans un contexte où 86 % des exportations américaines de spiritueux sont destinées à des pays ayant supprimé leurs propres droits de douane, DISCUS alerte sur le risque de rupture avec des partenaires commerciaux clés. Son président, Chris Swonger, appelle au maintien d’un commerce réciproque sans barrières, estimant que cette industrie « non transférable » est injustement prise en otage dans des conflits qui la dépassent. Pour les 3 100 distillateurs américains, dont une majorité de petites et moyennes entreprises, l’impact potentiel sur les exportations, les prix et l’emploi est loin d’être négligeable.

Vers une escalade ou une négociation ?

Le plan tarifaire de Donald Trump, conçu pour rééquilibrer les échanges, semble d’ores et déjà peser sur les épaules du consommateur américain. Hausse des prix, inflation anticipée, incertitude économique : les préoccupations sont nombreuses, et la FED ne cache pas sa vigilance.

Face à cette offensive commerciale américaine, la France n’entend pas rester passive. Dès le 3 avril, Emmanuel Macron a réuni à l’Élysée les représentants des filières économiques concernées pour bâtir une riposte structurée. Le chef de l’État a présenté un plan d’action en deux temps, en lien étroit avec la Commission européenne, visant à conjuguer réactivité et stratégie de long terme. Sur le court terme, une première série de mesures ciblées est attendue dès la mi-avril, notamment sur les secteurs déjà touchés comme l’aluminium et l’acier. Une seconde salve, plus large, interviendra fin avril après une analyse sectorielle approfondie menée aux côtés des États membres. Pour piloter cette mobilisation, Laurent Saint-Martin, ministre délégué au Commerce extérieur, a été désigné comme interlocuteur unique des filières exportatrices. Le président a également insisté sur l’importance de la solidarité européenne et du refus des « échappées solitaires », appelant à une réponse collective, coordonnée et cohérente. En parallèle, le gouvernement français prévoit un accompagnement spécifique pour les secteurs les plus exposés, à commencer par la viticulture, les spiritueux — notamment le cognac — et l’agroalimentaire, afin de préserver à la fois la compétitivité et l’emploi.

Des propositions ciblées pour préserver un accès au marché américain et diversifier les débouchés des vins et spiritueux européens

Face au risque commercial lié à l’instauration des droits de douane américains, la filière des vins et spiritueux européens formule une série de propositions articulées autour de deux objectifs principaux : atténuer les effets immédiats sur les exportations vers les États-Unis et renforcer la résilience du secteur à moyen terme.

À court terme, elle demande une action diplomatique ciblée pour obtenir l’exemption des vins et spiritueux européens des mesures tarifaires américaines, en s’appuyant sur les mécanismes existants de la législation commerciale américaine. Elle appelle également au retrait de ces produits des listes de représailles liées à d’autres contentieux commerciaux, notamment ceux concernant l’acier et l’aluminium. Une demande de relance des discussions en vue d’un accord bilatéral spécifique sur les échanges de vin entre l’UE et les États-Unis est également formulée.

À moyen terme, la filière insiste sur la nécessité de sécuriser le principe de réciprocité tarifaire – notamment le maintien du régime « zéro pour zéro » sur les spiritueux – et de renforcer les coopérations réglementaires avec les partenaires stratégiques. Elle appelle enfin à accélérer la diversification des débouchés à l’export, en activant les leviers d’accords commerciaux existants ou en cours de négociation à l’échelle mondiale.

Ces mesures visent à la fois à limiter les pertes économiques immédiates, préserver la compétitivité à l’international et réduire la dépendance à un marché unique dans un contexte d’incertitude commerciale accrue.

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