Le cognac chez « les rois du shaker »

15 février 2010

En janvier 2008 naissait le Summit, cocktail de l’interprofession du Cognac. Son ambition ? Devenir un « moderne classique » de l’univers du bar. Mais le Cognac et les cocktails ont partie liée depuis bien plus longtemps. Leurs chemins se croisent dès le milieu du dix-neuvième siècle, notamment à la Nouvelle-Orléans, la plus française des villes américaines. A l’occasion du Festival Cognac Blues Passion – dédié comme on le sait à la musique noire des bords du Mississipi – Fernando Castellon, mixologue réputé, a retracé l’histoire des cocktails, une saga où le Cognac a sa place.

 

 

fernando_castellon.jpgPour beaucoup, l’origine des cocktails se rattache à la période de la prohibition américaine, dans les années 20. Or ses racines plongent beaucoup plus loin dans le passé. Sans remonter aux vins aromatisés, boissons favorites de l’Antiquité et du Moyen Age, on peut considérer le punch, au XVIIIe siècle, comme l’ancêtre des cocktails. Certes, il s’agissait d’une boisson chaude, préparée dans une vasque (bol) et servie à la louche dans des verres à température ambiante, mais l’on y retrouvait les ingrédients de base du cocktail : un alcool, de l’eau, du sucre, un « bitter », décoction de fruit (souvent des oranges), chargée d’apporter de l’amertume à la boisson. En 1768, est signalé un « Mint Julep », mélange d’un « Cognac brandy » – expressément nommé – et de menthe. Plutôt médicinal au départ, le breuvage deviendra la boisson favorite des Américains. Sauf qu’après le phylloxera, la recette intégrera non plus du « Cognac Brandy » mais de l’alcool de seigle, autrement dit du Whisky. C’est en 1803, dans un journal – The farmer cabinet – qu’est mentionné pour la première fois le mot « cocktail ». Il y est dit qu’un verre de cocktail « est excellent pour l’esprit ». Un autre journal américain – The Columbian Repository – livre en 1806 la première description d’un cocktail : comme déjà dit, un alcool, du sucre, de l’eau, un bitter. Par bitter, il faut entendre ces élixirs à base de plantes, à qui l’on prête volontiers des vertus thérapeutiques. Au XIXe siècle et plus encore au début du XXe, ces bitters vont sortir du rayon des apothicaires et devenir très populaires. Ils connaîtront un extraordinaire succès outre-Atlantique. Avant la prohibition, on dénombrait plus d’un millier de marques de bitters. Une dizaine sortiront du lot, dont le célèbre Angostura bitter, qui reste encore aujourd’hui un fonds de bar indispensable. Les républicains se moquaient des démocrates qui offraient des bitters à leurs électeurs avant les suffrages : « tous ceux qui en boivent peuvent avaler n’importe quoi ! »

tout commence avec la glace

Mais plus encore que les bitters, c’est la glace qui va conférer au cocktail son essor. Dès 1805, des expéditions lointaines s’organisent pour aller récolter la glace sur les sommets enneigés. Un businessman aventureux réussit même à la convoyer par bateau jusqu’aux Antilles. On le surnomme le « roi de la glace ». Cependant, en 1853, John Gorrie, médecin de son état, invente une machine à fabriquer de la glace artificielle. D’autres projets avaient existé auparavant. Mais le sien est le plus abouti. Il dépose un brevet. Ses amis, enthousiastes, louent un wagon pour promouvoir la glace dans les grandes villes des Etats-Unis. Très vite, les lieux huppés adoptent la mode des cocktails glacés, consommés avec une paille, pour des raisons d’hygiène mais aussi pour l’amusement. C’est un fait avéré ! Plus un cocktail est froid, meilleur il est. Par ailleurs, les barmen n’ignorent pas qu’un cocktail qui se réchauffe se boît moins vite. Fernando Castellon évoque l’importance de la boisson glacée dans la culture américaine. « Quand, en France, l’on se contente de deux glaçons, aux Etats-Unis les verres débordent de glace. » Le mixologue insiste sur la qualité des glaçons. « Plus les glaçons sont creux, plus ils se diluent dans les boissons. C’est une idée reçue, poursuit-il, de croire que la masse de glaçons augmente la dilution. C’est tout le contraire qui se passe. Une fois le verre descendu aux alentours de 0, la dilution s’arrête. Dans un cocktail, il faut donc mettre beaucoup de glaçons. » Aujourd’hui, dans le monde entier, des barmen se remettent à fabriquer leurs propres blocs de glace, pour s’assurer de leur qualité. A ce sujet, le mixologue livre une recette à l’usage des ménages : prendre un récipient isotherme, ôter le couvercle, le remplir d’eau et le filmer, pour éviter toute entrée d’air ; le mettre au congélateur. Les minuscules cristaux vont tomber au fond du bac car le récipient isotherme refroidi par le haut. Ainsi, le processus de refroidissement se fait plus lent et progressif. Le bloc de glace reste transparent.

brandy fizz et autre julep

Pour revenir à l’histoire du cocktail, le premier ouvrage sur le sujet date de 1862. C’est un Américain encore, Jerry Thomas, qui en ait l’auteur. A l’époque, il identifie une dizaine de familles de cocktails, les Fizz (Gin fizz, Rhum fizz, Brandy fizz…), les Julep… Suivra le premier manuel du bar qui, lui, s’intéresse au métier (comment aérer le saloon, laver les verres, procéder à la mise en place…). C’est Harry Johansson qui l’écrira en 1882. En 1888, il le complète par des photos. La France ne reste pas muette sur le sujet. Louis Fouquet, le fondateur du restaurant du même nom, sur les Champs-Elysées, livre son bréviaire, Bariana, en 1896. Deux ans plus tard, il ouvre son estaminet « sur la plus belle avenue du monde ».

Et la Nouvelle-Orléans dans tout cela ? La capitale sudiste, sous ses airs créoles, figure comme l’un des bastions du cocktail. Le Cognac n’y est pas en reste, dès le XIXe siècle. Lors de sa conférence à Blues Passions, Fernando Castellon a présenté cinq cocktails ayant vu le jour dans la capitale de la Louisiane. Le premier remonte à 1840. C’est la recette du Santini’s Pousse Café. Il est inventé par un Espagnol, Santini, pour la « 2e tournée », celle d’après-dîner, dite aussi « poussette ». Il s’agit d’un mélange de Cognac, Maraschino (liqueur de noyaux de fruits, au goût légèrement anisé), Curaçao orange et Rhum. A l’époque, ce cocktail se buvait couche par couche – un peu à la manière des shooters actuels – à la différence près qu’il pouvait compter jusqu’à douze étages ! Existait aussi le Brandy Crusta, créé en 1850 par le même Santini. En ajoutant à la trilogie alcool, sucre et eau un jus de citron, pour contrebalancer la douceur et ajouter de la fraîcheur, on peut dire que le Brandy Crusta préfigure le célèbre Side-car, emblématique cocktail au Cognac où l’eau-de-vie s’associe à la liqueur d’orange et au jus de citron. A son tour le Side-car, créé à Paris en 1924, inspirera le très célèbre Margarita, certainement le cocktail le plus populaire aujourd’hui aux Etats-Unis, à base de Tequila, liqueur d’orange et jus de citron. Autre déclianison avec le Cosmopolitan : Vodka, liqueur d’orange, jus de citron et jus de Cranberry (jus d’airelle).

En 1860, le Royal St Charles Hôtel, une institution à la New Orleans, lance le St Charles Punch, mélange de Cognac, Porto rouge, jus de citron et Curaçao orange. Ce cocktail, très visuel, au goût agréable, se prépare au verre (et non au shaker) et, contrairement à beaucoup d’autres, joue sur la dilution. Il réclame donc de la glace creuse. Quelques années plus tard, en 1869, apparaîtra ce qui va devenir une boisson culte à la Nouvelle-Orléans, encore aujourd’hui : le Sazerac. A l’origine, le cocktail est élaboré à partir de Cognac. Mais, après le phylloxera, le Whisky se substituera à l’eau-de-vie de vin. Entre un verre remplit de glace et un verre sans glace, un morceau de sucre, de l’absinthe et un bitter de la Nouvelle-Orléans – le Peychaud’s bitter, au goût de gentiane – la boisson fait l’objet d’un véritable rituel de préparation. Fernando Castellon terminera son tour d’horizon des cocktails historiques de la Nouvelle-Orléans avec le Café brulôt, qui apparaît dans la capitale sudiste en 1890. Cette décoction, association de Cognac clous de girofle, cannelle, le tout flambé, était initialement préparée dans une vasque à brûlot. Aujourd’hui, beaucoup de barmen s’essayent à la préparer au verre. Effet visuel garanti.

Alors que, juillet 2009, le ciel déversait des trombes d’eau sur le jardin public de Cognac, la petite cinquantaine de personnes qui assistaient à la conférence – bien au sec sous une tente et au son d’un vieux blues des familles – ont pu faire comme les cigognes : plonger leurs becs ou plutôt leurs pailles dans les cinq cocktails décrits par Fernando Castellon. Que le goût aide à remonter le temps ! Une occasion rare, à apprécier à sa juste valeur.

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