Pascal Bobillet-Monnot, directeur de la CNAOC (Confédération nationale des producteurs de vins d’appellation d’origine contrôlée), parle déjà de « feu l’OCM vitivinicole ». « Le vrai sujet aujourd’hui, dit-il, c’est l’intégration du nouveau texte dans une OCM dite “unique”, regroupant les vingt et une OCM (Organisations communes de marché). » Il est même prêt à pronostiquer une date, celle du 1er août 2009. « Assez malicieusement, constate-t-il, la Commission européenne a avancé à grand pas sur le sujet. Durant les vacances d’août, elle a fait adopter la proposition d’intégration par le Parlement européen alors que ce même Parlement avait manifesté quelques velléités de résistance à l’égard de la nouvelle OCM vin. » Par ailleurs, l’Europe envisage dès la fin d’année 2008 de modifier le règlement dit « OCM unique » de 2007 afin d’intégrer l’OCM vitivinicole. In fine, la Commission souhaiterait faire reposer l’ensemble de la PAC (Politique agricole commune) sur quatre textes principaux : le règlement sur l’OCM unique régissant les aides de marché, le règlement sur le paiement des aides (RPU), le règlement sur le développement rural (RDR) et le règlement sur le financement de la PAC (règlement financier).
Techniquement, comment pourrait se passer l’intégration de l’OCM vin dans une OCM unique ? Si cette intégration devait avoir lieu, elle se ferait « à droits constants », c’est-à-dire sans changement. La nouvelle OCM vitivinicole (Règlement 479/2008 du Conseil) passerait avec « armes et bagages » dans l’OCM unique. « Encore heureux ! » s’exclame le directeur de la CNAOC. Ceci dit, de l’avis de nombreux exégètes du droit communautaire, le Règlement 479/2008 et ses textes d’application portent déjà en germe les règles horizontales en vigueur dans l’OCM unique. Certaines parties de la nouvelle OCM vitivinicole déclinent tout bonnement les dispositions du règlement sur l’OCM unique de 2007. Une sorte de « copier-coller » en quelque sorte. C’est le cas des aides découplées, sans référence aux quantités produites ou encore du transfert financier vers le développement rural, pour l’installation des J.A par exemple.
Pour la Commission européenne, ce schéma d’OCM unique présente moult avantages. L’objectif de simplification administrative est particulièrement mis en avant par Bruxelles. Alors que l’OCM vin compte déjà 129 articles, le règlement « OCM unique » n’en compte que 200. Une vraie aubaine si tout le secteur agricole pouvait être couvert par un seul règlement ! Cependant les professionnels subodorent d’autres intentions de la Commission, liées bien sûr à l’aspect
« gros sous ». « L’Europe s’est élargie à 27 mais elle ne dispose pas de davantage d’argent. Et quand le gâteau ne grossit pas, on a tendance à se battre sur la taille des parts. Le problème c’est qu’aujourd’hui la PAC absorbe 42 à 43 % du budget européen. » Une diminution du budget agricole de 20 ou 25 % serait donc la bienvenue. D’où l’idée d’augmenter la marge de manœuvre de la Commission en réduisant le panel de discussion. On estime généralement à dix ans le temps de négociation pour réformer une OCM. Et il y en a vingt ! Le « fantasme » de la Commission ? Qu’en appuyant sur un seul bouton, celui des DPU (Droits à paiement unique) par exemple, le Comité de gestion agricole unique puisse décrocher 10 % de baisse et s’épargne ainsi dix ans de négociations. A rebours, les secteurs économiques redoutent une augmentation considérable du « pouvoir d’agenda » des négociateurs de la Commission. « Face à des questions horizontales, les professionnels auront beaucoup de mal à défendre leurs intérêts sectoriels. Pour eux, ce sera une énorme perte de compétences et de prérogatives. La Commission fera ce qu’elle voudra ! » Dans le sillage, on peut légitimement redouter une perte de terrain du particularisme viticole, un émiettement de l’autonomie ainsi qu’un déficit de cohésion d’ensemble, selon le vieil adage « qui trop embrasse, mal étreint ». Et, pour faire bonne mesure, nombre de professionnels dénoncent le danger de renationalisation larvée de la politique viticole européenne, par le biais d’enveloppes nationales laissées à la libre disposition des Etats.
libéralisation
Si le terme « d’harmonisation » marque la nouvelle OCM vitivinicole, une autre expression la caractérise tout autant, celle de « libéralisation ». Et là, il faut y voir l’incontestable influence de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), présentée par les juristes comme « la principale source d’évolution du droit agricole européen ». C’est tout le discours sur la fameuse « boîte orange », dans le collimateur de l’Organisation mondiale du commerce. Cette « boîte orange » regroupe les mesures de soutien interne, perçues par l’OMC comme des obstacles techniques au commerce, au même titre que les droits de douanes. On peut le comprendre quand on sait que nouvelles technologies et développement des échanges sont identifiés par l’économie mondiale comme les deux leviers de la croissance. Non sans une pointe d’humour, Patrick Aigrain, économiste à Viniflhor, parle de la « monstruosité que devait représenter aux yeux de l’OMC un truc aussi aberrant que la distillation obligatoire administrée ». C’est en partie pour se mettre au clair vis-à-vis des règles de l’OMC que la nouvelle OCM vitivinicole s’es t donc dépouillée de la plupart de ses anciens oripeaux. Professeur de droit à l’université Paris I, Michel Menjucq souligne un assouplissement évident de l’OCM vin dans au moins trois domaines : les pratiques œnologiques, l’étiquetage et les droits de plantation. Faut-il regretter cette évolution ? Peu ou prou, beaucoup conviennent de la nécessité de la réforme mais disent aussi que la Commission est allée trop loin. C’est la position de la CNAOC. « L’échec des précédentes OCM était patent. Il fallait y remédier. Pourtant la réforme, excessivement libérale, peut déboucher sur un amalgame total entre vins standards et les vins sous signe de qualité. De même, la libération des droits de plantation risque de se traduire par une augmentation importante de la production d’AOC, avec pour conséquence un effondrement des prix et une perte de qualité. » Patrick Aigrain, de Viniflhor est sur la même longueur d’onde. Lui aussi parle des errements de la dernière décennie. « L’orientation massive de la production française vers le haut de gamme apparaît rétrospectivement comme une “déséconomie d’échelle” ». « Avec 85 % des vins sous IGP, nous avons largement dépassé l’optimum. La réforme de l’OCM, qui vise un décloisonnement du marché, une meilleure segmentation des vins entre vins standards et vins sous signe de qualité est à ce titre positive. » L’économiste évoque également la concentration de la distribution face à une production éclatée ainsi que la perte de compétitivité des pays traditionnels au profit des pays du nouveau monde. « La part des nouveaux pays vinicoles dans les importations de vins aux Etats-Unis est passée de 3 % dans la décennie 80 à 28 % aujourd’hui. Par comparaison, les exportations françaises de vins aux Etats-Unis ne représentent plus que 34 % en valeur contre 51 % en 90. » Il était donc urgent de réagir.
« les vendeurs de vin font le vin »
Par contre, P. Aigrain pointe du doigt les dérives d’une libéralisation excessive, sur le mode anglo-saxon. « En Europe, jusqu’à présent, c’étaient les producteurs de raisins qui faisaient le vin. Dans les nouveaux pays, ce sont les gens qui vendent le vin qui le font. Aux Etats-Unis par exemple, il est admis d’augmenter le volume de vin jusqu’à 30 % par sucrage et mouillage. » Va-t-on revenir à une industrialisation du vin, comme la tentation a pu exister en Europe au 19e siècle ? P. Aigrain fait en effet remonter le choix du « modèle viticole européen » à la crise phylloxérique de 1875. « A l’époque, l’introduction des hybrides pour lutter contre le phylloxéra faisait progresser énormément les rendements. Le choix a pourtant été fait de remonter les vignes en coteaux, en contrecarrant ainsi le début d’industrialisation de la viticulture. Quelque part, ce fut la victoire de la matière première raisin et de la sphère agricole contre les marchands. Depuis 1962, les cinq OCM vins successives ont fait prévaloir la suprématie de l’amont sur l’aval, sans doute à outrance. » La sixième et peut-être dernière OCM vitivinicole sonne-t-elle un retour de balancier, une « vengeance » des marchands contre les paysans ? En tout cas, la viticulture européenne est à un de son histoire.
Enveloppes nationales – OCM vin
Trois pays se taillent la part du lion
Comme on peut le penser, le débat sur le budget communautaire affecté à la nouvelle OCM vin n’a pas été facile entre pays producteurs, non producteurs, petits producteurs, gros producteurs. Au final, la répartition s’avère très peu égalitaire. Sur les 18 pays producteurs européens, trois d’entre eux héritent de la part du lion. Par ordre décroissant, il s’agit de l’Espagne, de l’Italie et de la France. Ensuite, les autres enveloppes s’avèrent très nettement inférieures. En ce qui concerne l’utilisation de ces ressources communautaires, Commission et Etats membres ont abouti à un compromis : laisser la libre disposition des fonds aux Etat membres. Certains inclinent à penser que c’était le prix à payer pour que la Commission obtienne de ses partenaires un changement radical des règles. « L’Espagne conserve son aide aux alcools de bouche, l’Italie son aide aux moûts concentrés et la France la distillation des sous-produits de la vinification. » Des commentateurs considèrent par ailleurs que cette liberté s’assimile à une renationalisation larvée de la politique viticole communautaire. « Elle porte en germe l’éclatement de la nouvelle OCM vin. »
dix régimes de soutien
Dans la nouvelle OCM surnagent dix régimes de soutien, regroupés en trois catégories : les mesures visant la restructuration ou la reconversion du vignoble ; les mesures favorisant l’amélioration de la production vitivinicole (promotion des marchés vers les pays tiers, investissement matériels ou immatériels, distillation des sous-produits, alcool de bouche…) et enfin les mesures dites « de crise », sans distinction entre les mesures de nature préventive (assurance récolte, vendange en vert…) ou plus traditionnelles (aide à la distillation de crise ou utilisation des MCR). Dans cette panoplie de mesures, la France, via le comité directeur Viniflhor de juin dernier, en a sélectionné six ou, plus exactement, six + une : aide à la promotion, aide aux investissements, aide à la restructuration du vignoble, aide à l’enrichissement par utilisation de moût concentré ou moût concentré rectifié, assurance récolte, distillation des sous-produits de la vinification (prestations viniques). La distillation de crise constitue la septième mesure mais sa mise en œuvre, par définition aléatoire, ne fait pas l’objet d’une ligne spécifique. En France, trois mesures absorbent 75 % de l’enveloppe nationale : la restructuration, la promotion et les prestations viniques. Les trois autres dispositions émargent à des niveaux plus modestes.
Pour se conformer au règlement 479/2008 portant OCM vitivinicole, la France a communiqué en septembre dernier à la Commission européenne l’ensemble des mesures choisies, reprises sous la forme d’un programme. Ce programme a lui-même vocation à être traduit en un plan quinquennal, applicable jusqu’en 2012-2013. Des budgets vont être alloués, même si, annuellement, existera toujours une possibilité de faire bouger les curseurs. Décrets et circulaires sont dans les tuyaux, pour préciser les mesures. En ce qui concerne l’application de ces mesures, aucune révolution n’est à attendre. Aussi bien la restructuration que l’aide aux investissements ou les prestations viniques se situent dans le droit fil de l’existant. La seule véritable nouveauté concerne l’assurance récolte. Abondée sur fonds européens, le dispositif est sans doute appelé à connaître un certain élargissement. On peut imaginer que l’assurance récolte devienne un outil de gestion de crise.
Etat Et Enjeux De La Réforme : Une Conférence Organisée Par l’Assocation Française De Droit Rural De l’OCM Vitivinicole
Le 24 septembre 2008, l’AFDR (Association française de droit rural) a organisé une conférence sur le thème de l’OCM vitivinicole (voir article) à l’université des sciences sociales de Toulouse. Par ordre d’intervention, contribuèrent à cette conférence Audrey Vitu, présidente de l’AFDR Midi-Pyrénées, Me Philippe Goni, président AFDR nationale, Michel Menjucq, professeur à l’université Paris I Sorbonne, Patrick Aigrain (Viniflhor), Jean-Marc Bahans, directeur du Master II de droit de la vigne et du vin (université Montesquieu, Bordeaux IV), Me Jeanine Rossier, du barreau de Toulouse, Paul Fabre, directeur de l’Interprofession des vins du Sud-Ouest (AIVSO), Xavier de Volontat (Vignerons indépendants de France) et Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC. Pressenti, Joël Castany, président du Copa-Cogeca, n’a pu se libérer.
Créée en 1958 par Jean Mégret et Jean Rozier*, respectivement avocat à la cour d’appel de Paris et bâtonnier du barreau de Bordeaux, l’AFDR se donne pour mission d’aborder tous les thèmes d’actualité juridique concernant l’agriculture et l’agro-alimentaire. Organisée en sections régionales (au nombre de 15), elle propose régulièrement des conférences comme celle de Toulouse. Depuis 1983, elle tient un congrès national annuel, où sont débattues des questions transversales : « Quelle place demain pour la coopération agricole », « La liberté d’entreprendre en agriculture », « Quelle stratégie juridique pour la commercialisation des produits agricoles… » « L’entreprise agricole à la recherche de son statut » a constitué le fil rouge du 25e congrès national de l’AFDR, à Lille, en octobre dernier.
* Les présidents successifs de l’AFDR : Jean Mégret, Raymond de Silguy, Xavier Massart, Daniel-Henri Fournal, Jean-François Lepetit, Philippe Goni.