Maurice Chapuis (viticulteur à Aloxe-Corton) : La dificile transmission du foncier

14 mai 2012

Les vignerons bourguignons le disent tous : le problème n° 1, c’est le foncier. Dans les grands crus, son prix atteint des sommets. La transmission devient alors très compliquée. Maurice Chapuis exploite 12 ha à Aloxe-Corton, un village dont il est le maire. L’exploitation a été fondée par les moines d’Autun, au 14e siècle. En témoigne sa très belle cave voûtée.

 

 

p34.jpgMaurice Chapuis, dans sa cave du 14e siècle, taillée dans la pierre calcaire bourguignonne par les moines du chapitre d’Autun. Dans les grands crus, à Pommard, Meursault, Savigny-lès-Beaune, chaque village compte au moins cinq ou six caves moyenâgeuses. Partout en Bourgogne, les corps de ferme ont leur équivalent en sous-sol, souvent plus vaste que les bâtiments de surface. Et ne parlez pas aux Bourguignons de « caveaux ». Ici l’on ne connaît que les caves. « Les caveaux, c’est pour les cimetières. »

Vous êtes propriétaire de 12 ha de vignes.

J’aimerai bien le dire ainsi mais ce n’est pas le cas. La règle, en Bourgogne, est justement de ne pas être propriétaire des vignes que l’on exploite. Au fil des générations, les héritiers conservent leur patrimoine. Mon père, à sa retraite, a très bien fait les choses. Il a fait une donation-partage et un GFA entre mon frère et moi. Mais mon grand-père – celui qui a donné l’élan à l’exploitation – avait deux enfants. L’exploitation était donc déjà divisée en deux, entre mon père et ma tante. Aujourd’hui, je fais partie de la 3e génération. Du côté de mon père, nous sommes quatre et il y a la part de ma tante, de mes cousins et de leurs enfants, avec qui les liens se sont un peu distendus. A ma retraite, il est prévu de mettre en vente la part de ma tante. C’est inscrit dans le bail de 25 ans. Qui achètera alors ? Ce sera la surprise. Ici, en Bourgogne, les « joignants » achètent encore un peu mais on voit arriver de plus en plus d’investisseurs.

Vous êtes inquiet ?

Je n’ai aucune inquiétude pour moi-même. Je sais que l’exploitation m‘emmènera jusqu’à la retraite. Mais, pour mon fils, oui. S’il reprend, je ne sais pas sur quelle superficie il exercera. Aujourd’hui, nous sommes propriétaire de la partie du vignoble que j’ai reçu en héritage ainsi que de quelques parcelles de vignes que j’ai achetées, mais pas dans les grands crus. Et malgré tout, l’intérêt, ce sont les grands crus.

A quel prix se négocie l’ha de vigne dans ces grands crus ?

Ici, l’on parle en ouvrée. Dans un ha, il y a 24 ouvrées, représentant, chacune, approximativement, 4 000 m2. Le mot « ouvrée » vient d’ouvrage, le travail que pouvait faire un vigneron dans une journée. Une ouvrée en Corton-Charlemagne, qui est le grand cru blanc du village, coûte, au bas mot, 150 000 €. A ce prix-là, les gens du cru n’achètent guère plus de 2 ou 3 ouvrées.

Que représente le fermage chez vous ?

Je me situe dans la tendance régionale. Grosso modo, le fermage occupe 60 % des surfaces, contre 40 % pour l’exploitation en propriété. En Aloxe-Charlemagne, le prix du fermage, fixé par arrêté préfectoral, s’élève à 6 400 € la pièce bourguignonne (de 228 litres ou 300 bouteilles*). Le nombre de pièces résulte d’un accord entre propriétaire et locataire. En général, il se situe entre 4 et 5 pièces à l’ha.

Dans quelles appellations produisez-vous ?

Comme beaucoup de gens ici, je produis dans toutes les appellations présentes sur l’exploitation. En Bourgogne, la hiérarchie des appellations s’établit de la façon suivante : le grand cru campe au sommet, puis, en descendant d’un cran, on trouve le premier cru. Vient ensuite l’appellation village (Aloxe-Corton par exemple), suivie des Côtes-de-Beaune village en ce qui nous concerne (ou des Côtes-de-Nuits par exemple), pour terminer sur l’appellation générique, Bourgogne blanc, Bourgogne rouge, Bourgogne aligoté. Il est très exceptionnel de voir quelqu’un ne vendre que dans une seule appellation. Il vaut mieux commercialiser une gamme. C’est plus facile.

Économiquement, comme cela se passe-t-il ?

L’activité est rentable, c’est clair, même si je n’ai pas tellement de point de comparaison. Sur l’exploitation, nous sommes quatre à travailler dans les vignes, trois salariés et moi-même. Mon épouse s’occupe du bureau. J’ai tout de même pu acheter des vignes. Je gagnerais certainement plus si je vendais tout en bouteilles. Mais, j’ai besoin du contact avec la terre. Le travail dans les vignes est nécessaire à mon équilibre. Les Anglais parlent de « job satisfaction ». Je ne suis pas d’accord avec ceux, très nombreux en Bourgogne, qui souhaitent réaliser la totalité de leurs ventes en bouteilles. Pour cela, je devrais aller au-devant du client, changer de dimension, me « décarcasser » commercialement. Je n’en ai pas envie. Nous vendons grosso modo deux tiers en bouteilles et un tiers au négoce, en moût ou en raisin. Comme ailleurs, le négoce bourguignon a de plus en plus tendance à acheter en raisin, pour appliquer le style de la maison. En 2008, nos ventes ont chuté légèrement et se sont assez vite rétablies. Cela m’a d’ailleurs un peu étonné car, après tout, nous ne sommes pas en dehors du monde.

Vos ventes en bouteilles se situent dans quelle fourchette de prix ?

Elles démarrent à 5 € pour l’Aligoté et finissent à 40 € pour le Corton-Charlemagne, le grand cru blanc.

Et en terme de rendement ?

C’est un peu compliqué de parler de rendement. Selon les années, il peut varier du simple au double voire au triple. En Bourgogne, nous sommes très impactés par les variations de récolte. Cette variabilité conditionne notre chiffre d’affaires qui, après tout, n’est autre que le rapport entre la production et le coût/ha. En 2010, un gel de printemps a emporté 35 % de la récolte. Il y a aussi les maladies du bois – un véritable fléau – et le botrytis, qui nous cause pas mal de soucis. Il n’est pas rare que nous soyons obligés d’éliminer 15 à 20 % de la vendange. Personnellement, je n’ai pas de table de tri. Le tri se fait à la vigne, lors de la récolte. Pour revenir au rendement moyen, en Corton-Charlemagne, il se situe entre 42 et 44 hl ha.

Qu’est-ce qui fait la typicité de vos vins ?

La Bourgogne est une région de mono-cépages. Tous les blancs sont des Chardonnay et tous les rouges des Pinot noirs. L’assemblage, on ne connaît pas. C’est peut-être pour cela que l’effet millésime est très fort en Bourgogne. D’une année à l’autre, dans une même appellation et chez un même vigneron, on ne retrouvera jamais le même vin. La nature commande. Elle nous donne la matière première. Selon les gens, certains peuvent nous le reprocher, d’autres au contraire l’apprécier. Chez nous, quand on fait une dégustation à l’aveugle, il est toujours plus facile de retrouver l’année que l’appellation. Le millésime 2004 avait un goût végétal assez marqué. Le millésime 2003 se reconnaît entre tous. C’était l’année de la grosse chaleur, avec des vins plus colorés que d’habitude, qui viraient presque au noir, alors que le Bourgogne est généralement d’un rouge cerise. Rien à voir avec un Côtes-du-Rhône ou même un Bordeaux. Le Bourgogne a un nez très fruité, avec beaucoup de fruits rouges ou de fruits noirs, mais tout de même plus de fruits rouges, type cerise.

Faites-vous vieillir vos vins ?

Cela dépend du marché. C’est un peu en fonction de la demande. Mais j’estime qu’au-delà de 2 ans, un vieillissement en fût ne sert à rien. Ici, dans la cave, j’ai en stock entre une année et demie et deux ans de récolte. Par contre, pour respecter la typicité du Bourgogne, une bouteille que vous achetez ne doit jamais être ouverte avant 5 ans. Dans ma cave, j’avais des vins de 1929. Nous avons fini la dernière bouteille il y a trois ans. Je me souviens de 1934 et de 1936 comme deux années magnifiques en Bourgogne.

Introduisez-vous beaucoup de fûts neufs ?

J’en introduis un petit pourcentage tous les ans mais je ne suis pas un fan du bois. Le fût neuf, on doit le sentir en arrière-plan. Pas au premier plan.

Que pensez-vous de la menace de libéralisation des droits de plantation ?

Évidemment, je suis contre. Cela entraînerait la venue de grands groupes de capitaux qui planteraient des centaines et des centaines d’ha, je ne sais pas très bien où d’ailleurs. Les prix, chez nous, sont stables. Il y a un bon équilibre entre la production et les ventes. Pourquoi aller déstabiliser ce qui marche bien ? C’est pour ça que le statu quo nous semble préférable à l’aventure. Le conseil municipal a pris une résolution en ce sens, pour marquer son hostilité au projet.

Vous êtes maire de la commune d’Aloxe-Corton.

Aloxe-Corton est un beau village, situé dans une appellation bien connue mais il s’agit d’un tout petit village. Il compte 266 ha, dont 240 ha en vignes. Il ne reste pas grand-chose pour les maisons.

* Tarif fermage de l’Aloxe Village : 1 250 e la pièce bourguignonne.

 

 

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