« Le Paysan Vigneron » – A votre avis, comment évolue le marché russe ?
Dominique Andreu – C’est l’un des plus dynamiques qui soit en Europe aujourd’hui. C’est vrai que le renchérissement des eaux-de-vie de Cognac a fait baisser le volume des expéditions de Cognac en vrac, traditionnellement importantes. D’où des statistiques d’expéditions en baisse. Cependant pour avoir une idée du poids réel du marché russe, il convient de procéder à une consolidation des chiffres. La plupart des exportations vers les pays baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – aboutissent en réalité en Russie (1), à cause notamment des difficultés liées aux bandelettes fiscales. A une époque, la Chine connaissait un phénomène similaire et même encore avec les plates-formes de redistribution.
« L.P.V. » – En quoi le marché russe est-il porteur ?
D.A. – Le marché russe est un marché gigantesque, dopé par l’envolée des cours des matières premières. A Moscou aujourd’hui, 70 % des voitures sont des voitures importées. La capitale russe est une ville gigantesque de 14 millions d’habitants. C’est la plus grosse ville d’Europe, plus grande que Paris ou Londres. Il ne faudrait pas croire qu’il n’y a que des « super-riches » en Russie. La classe moyenne existe et la grande distribution ne s’y trompe pas. Toutes les enseignes y sont, les Auchan, Metro, Carrefour… La Fédération de Russie est un territoire immense, le plus grand au monde, couvrant 9 fuseaux horaires. Le système de distribution régional commence à être bien rodé. Il se rapproche du modèle américain.
« L.P.V. » – Avec des expéditions Cognac de 140 000 hl AP à fin août (sur l’année mobile), le marché américain reste largement dominant, même si lui aussi est orienté à la baisse. Sur 12 mois, il a perdu 10 000 hl AP.
D.A. – Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure mais, selon moi, la baisse des ventes de Cognac sur le marché américain ne fait que commencer. Plusieurs facteurs se conjuguent aux Etats-Unis pour affecter les expéditions de Cognac : la récession économique d’abord, qui se traduit par un déficit patent de consommation et ensuite la concurrence importante des Vodkas et Tequilas. Le plus grand concurrent d’Hennessy aux Etats-Unis, ce n’est pas Rémy Martin mais Grey Goose.
« L.P.V. » – Le marché chinois résiste bien. Mieux, il progresse : + 15 % en volume et + 18 % en valeur sur la seule Chine intérieure sur l’année mobile arrêtée à fin août 2008.
D.A. – Certes mais il va falloir regarder la suite. Le plus gros des exportations chinoises part en Amérique du nord. Ne serait-ce qu’à ce titre, la récession américaine menace la Chine.
« L.P.V. » – Quand on évoque la Russie, le chiffon rouge du brandy est régulièrement agité. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D.A. – Effectivement, le marché russe est à la fois un marché de Cognac et un marché de brandy. Personnellement, je n’oppose absolument pas les deux produits. Le consommateur de brandy est juste un consommateur de Cognac qui n’a pas assez d’argent. On l’a constaté aux Etats-Unis. Il y a dix ans, la population afro-américaine consommait du brandy. Quand elle en a eu les moyens, elle s’est offerte du Cognac. Le consommateur sait très bien faire la différence entre un brandy et un Cognac, ne serait-ce que par le prix. Il n’y a pas « photo » entre un brandy qui coûte 10 $ et un Cognac qui en vaut 100. C’est une bêtise de dire que l’ennemi du Cognac, c’est le brandy. Bien au contraire. Le brandy développe le goût aux eaux-de-vie de vin pour le jour où le consommateur sera prêt à passer à autre chose.
« L.P.V. » – De nombreux Russes investissent en Charentes.
D.A. – C’est vrai que depuis environ deux ans, des opérateurs russes, entre 6 et 10, ont pris pied en Charentes. Et à mon avis, le mouvement va continuer. Cela me paraît d’ailleurs assez normal dans une région qui s’est toujours projetée sur les marchés extérieurs. Le phénomène des investisseurs étrangers n’est pas nouveau. Hennessy n’est pas à proprement parler un nom auvergnat, Hine, Brastaad ou Bache-Gabrielsen non plus. Meukow, c’est russe à l’origine, Staub suisse, de Fusigny italien. Que des Russes arrivent dans la région, alors que leur marché est en pleine expansion, me semble naturel. Je ne serais pas autrement surpris qu’un jour des investisseurs chinois s’intéressent à la région.
(1) Expéditions vers la Russie et les pays baltes à fin août 2008 (sur l’année mobile) : Russie : 9 600 hl AP pour 59 M € (- 31 % en volume, – 9 % en valeur) – Estonie : 4 800 hl AP pour 40 M € (+ 38 % en volume, + 53 % en valeur) – Lettonie : 3 600 hl AP pour 22 M € (- 11 % en volume, + 9 % en valeur) – Lituanie : 937 hl AP pour 4,5 M € (- 46 % en volume, – 5 % en valeur) soit un total Russie + satellites de 19 000 hl AP pour 125 millions d’ € sur l’année mobile 2008-2009 arrêtée à fin août, contre 23 000 hl AP pour 116 millions d’€ sur la même période en 2007-2008.
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