L’intelligence artificielle : un nouveau contrat entre terroir et technologie ?

28 avril 2025

La Rédaction

Une chose est sûre : à l’heure où les vignes se développent sous un ciel incertain, la filière viticole, elle, bourgeonne de propositions innovantes, explorant les promesses d’un univers plus que jamais en pleine effervescence, celui de l’intelligence artificielle (IA).
Loin d’être un simple effet de mode, cette dernière n’est plus une abstraction, s’ancrant déjà dans nos terroirs, nos quotidiens, à la vigne, au bureau, au chai comme sur les marchés. Si elle promet un gain de temps, d’efficacité, de précision, elle fait aussi craindre une certaine déshumanisation, standardisation, un déracinement, soulevant alors autant de questions que de perspectives : à qui appartiennent les données collectées ? Comment garantir leur sécurité ? Quel rôle pour l’humain dans un monde viticole de plus en plus connecté et automatisé ?

Elle interroge aussi sur notre rapport au temps, à la transmission, à l’essence même de nos métiers. Peutelle remplacer le viticulteur ? Non. Peut-elle devenir son alliée ? Oui, si elle est bien encadrée. De l’opportunité à la vigilance, la filière viticole se jauge alors, se cherche, expérimente pour trouver ses marques et sa place dans ce champ des possibles désormais (presque) infini.
À Segonzac, le colloque de l’université de Poitiers, organisé le 17 avril dernier, aura permis de traiter la question sous un angle inédit rassemblant juristes, chercheurs, producteurs et institutions pour débattre des fondements juridiques, éthiques et patrimoniaux d’une transition en cours.

A Royan, le même jour, cette même thématique était appréhendée à l’occasion du 101e Congrès national de la CNAOC, dans une approche plus opérationnelle, tournée vers le retour du terrain :
• Deux lieux pour deux regards complémentaires, deux approches à considérer de concert pour bâtir une stratégie robuste pour l’avenir.
• Deux lieux pour une même ambition : penser un avenir où les appellations d’origine contrôlée seront préparées à épouser un mouvement déjà bien en marche, sans renier leurs fondamentaux.
• Deux lieux pour un constat partagé : l’automatisation, la robotisation, l’analyse prédictive sont déjà à l’oeuvre dans bien des domaines viticoles.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est les adapter aux spécificités des AOC, les intégrer aux exigences de traçabilité, de qualité, d’éthique aussi. Résumant non sans humour la (r)évolution en marche, Jérôme Bauer, président de la CNAOC, l’affirme : « L’IA dans le vignoble, c’est le passage du cheval au tracteur ». Mais derrière la formule, une certitude se fait jour : les appellations doivent muter, s’adapter, se réinventer, à la vigne, à la bouteille, dans les instances aussi. Mais attention : l’IA ne saurait être un cheval de Troie. Car si les promesses sont grandes, les risques le sont tout autant. Responsabilité juridique, protection des données personnelles et sensibles, biais algorithmiques, propriété intellectuelle des contenus générés… Autant de questions qui appellent des réponses précises auxquelles le colloque de Segonzac, organisé d’une main de maître – de conférences – par Jean-Victor Maublanc, aura apporté de nombreuses réponses à retrouver au fil des pages de cette édition de mai.

Le droit viticole, déjà complexe, doit maintenant intégrer cette nouvelle dimension. Comme l’ont rappelé les experts présents, l’enjeu est de passer d’un « droit flou » à un « droit net », capable d’assurer la transparence, l’éthique et la résilience des systèmes. L’Union européenne, avec l’IA Act et le Digital Services Act, pose les premiers jalons. Mais il reste beaucoup à faire et à écrire. Car derrière ces débats techniques et juridiques, c’est une vision nouvelle du monde qui se dessine. Dans un contexte de tensions commerciales, de repli des marchés, de remise en cause des équilibres géopolitiques, il ne suffit plus d’avoir un bon produit. Il faut pouvoir le défendre, le raconter, le tracer, le protéger, en ligne comme sur le terrain. Le combat pour la pérennité et l’excellence ne se limite plus à la qualité du vin, du vin de liqueur ou de l’eau de-vie : il se joue aussi et désormais sur le terrain de la donnée.

À Segonzac comme à Royan, les acteurs de la filière ont démontré qu’ils ne voulaient en rien subir cette transition, mais bel et bien la faire leur. Si la viticulture a son art de vivre, sa culture, son langage, les AOC n’en sont pas pour autant des labels figés, mais des pactes vivants scellés entre un lieu, des savoir-faire et une communauté. Si elles nécessitaient hier un oeil au bout du rang, un oeil au bout du monde, elles demandent aujourd’hui le concours d’un troisième oeil, bionique ou ésotérique selon l’obédience de chacun, déterminé à bien lire les conditions générales d’utilisation ! Car rappelons qu’en matière d’IA, ce qui compte ce n’est pas tant la technologie que l’usage qui en est fait.

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