Lieutenant de louveterie : une fonction hors d’âge mais toujours d’actualité

10 juin 2015

Agent assermenté chargé d’organiser des prélèvements de gibier et/ou de nuisibles, le lieutenant de louveterie a un rôle de régulation de la faune sauvage. Sa fonction principale ? Aider les propriétaires fonciers à surmonter les problèmes de dégâts sur leurs biens. Il assume aussi une mission prophylactique (par exemple capture de blaireaux, dans le cadre de la tuberculose bovine). « Bras armé de l’Administration », son action en tant que louvetier s’exerce toujours sur arrêté préfectoral, via des « battues administratives », un terme juridique qui désigne diverses formes de prélèvements (tir, furetage, piégeage…). Il apporte aussi son expertise aux sociétés de chasse, pour une bonne gestion des prélèvements.

 

 

p22.jpgLes origines de la fonction remontent à plus de 1 200 ans. C’est Charlemagne (environ 742-814) qui créa le corps des louvetiers. A l’époque, il s’agissait de lutter contre les loups. D’où le nom de louvetier. Et puis les loups disparurent mais les louvetiers (ou lieutenants de louveterie) restèrent. Un anachronisme ! Pas vraiment. A toutes les époques, la faune sauvage perpétra des dégâts aux biens, agricoles ou non agricoles. Et notre siècle, moins que tout autre, n’y échappe. Le nombre de chasseurs a beaucoup diminué. Les espèces protégées prolifèrent parfois. Les nuisibles deviennent plus nuisibles encore. Dans certains secteurs, le territoire « s’ensauvagine », rendant les prélèvements compliqués. La tempête de 1999 n’a pas arrangé la situation. Et puis les attentes de la population évoluent. Les golfeurs apprécient modérément que les lapins creusent des trous dans leurs greens. Quand une bande de chevreuils, une harde de sangliers s’attaquent aux cultures, des pertes sont à la clé et l’indemnisation ne règle pas tout. Dans ce contexte, le lieutenant de louveterie a toute sa place. Nommé par le préfet pour une période de 5 ans renouvelable, il a le statut d’agent assermenté, bénévole qui plus est. « Nous sommes les seuls agents bénévoles de l’Etat » souffle l’un d’entre eux en souriant.

« Il n’y a pas d’école »

Comment devient-on louvetier ? Il n’y a pas d’école ni de parcours balisé. En général, on devient louvetier en suivant la trace de louvetiers en place. « En pratiquant, en observant. C’est une formation de terrain » confirme un homme de l’art. Accéder au grade de titulaire requiert plusieurs conditions. Il faut faire acte de candidature auprès du préfet, détenir bien évidemment un permis de chasse ; avoir de solides connaissances cynégétiques car le louvetier exerce une mission de police de la chasse et, last but not least, posséder au moins quatre chiens courants, spécialistes de la chasse au sanglier, au renard… En règle générale, les lieutenants de louveterie en compte bien plus à leur actif (aux alentours de 20-25) car la passion des chiens nourrit souvent leur vocation, comme leur amour de la nature (voir le témoignage d’Alain Lebecq, lieute-nant de louveterie de la circonscription n° 5 de la Charente, couvrant une bonne partie de la Grande Champagne et un pan du Jarnacais). Le lieutenant de louveterie a un uniforme, qu’il doit revêtir en certaines circonstances. Pourquoi ? Pour être identifié, tout simplement. « Quand nous circulons la nuit, en ville, hors période de chasse, cela rassure les personnes de nous voir en uniforme » indique un louvetier.

Des circonscriptions

Le préfet attribue une circonscription au lieutenant de louveterie. En Charente, il y en a treize. Les circonscriptions portent généralement sur des aires géographiques de deux ou trois cantons limitrophes, voire moins (cas du secteur des Borderies, près de Cognac, confronté à une surdensité de gibier).

Contrairement au chasseur classique, le lieutenant de louveterie peut chasser toute l’année, y compris et surtout quand la chasse est fermée aux autres chasseurs. Ce pas de temps de quelques mois, du 31 mars au fin août, correspondant à la période de fermeture totale ou partielle de la chasse selon les espèces, représente l’espace privilégié du louvetier, là où s’expriment le mieux son art et ses prérogatives. D’ailleurs l’un des regrets récurrents des louvetiers est de voir s’éroder d’année en année cette « fenêtre de tir ». Aujourd’hui, la fermeture totale de la chasse à toutes les espèces se limite à deux mois, du 31 mars au 1er juin.

Comment se déclenche l’action d’un lieutenant de louveterie ? Le plus souvent, l’initiative en revient à la personne victime de dommages. Elle appelle directement le louvetier pour lui signaler le problème. « Les chevreuils mangent mes vignes ; les corbeaux s’attaquent à mes melons ; les lapins embusqués sur le terrain voisin commencent à envahir ma propriété… » Première obligation du louvetier : entendre la demande et prendre la mesure du pro-
blème en menant sa propre enquête. Il vérifie l’espèce concernée (parfois il peut y avoir confusion), la surdensité de la population en cause (renard, sanglier, chevreuil, lapin…). Si le diagnostic aboutit à la nécessité d’un prélèvement, pour faire baisser la pression, deux solutions s’offrent à lui : soit persua-
der la société de chasse d’intervenir en son nom propre (quand le terrain ou l’espèce en cause le permettent), soit intervenir lui-même, en « prenant la main ». « Quelque part, note un louvetier, notre action est toujours la manifestation d’une “carence”. » Ce qui n’interdit pas au louvetier de tenter de travailler en bonne intelligence avec les chasseurs locaux, en recherchant leurs concours lors des prélèvements.

La « battue administrative »

Dès lors que le lieutenant de louveterie agit en tant qu’agent assermenté, il le fait sous couvert de l’administration territoriale. Au nom du préfet, la DDT (direction départementale des Territoires) lui délivre un arrêté préfectoral dit de « battue admi-
nistrative ». Par « battue administrative », il ne faut pas forcément entendre battue de tir, avec chiens courants, chasseurs postés, gilets fluorescents, etc. Non ! Le terme fait juste référence à une notion juridique, celle d’autorisation administrative de chasse. Le louvetier a ensuite toute liberté de choisir le moyen de prélèvement qui lui semble le plus approprié à l’espèce et au terrain (tir à l’affût, de jour, de nuit, battue, furetage…). Si des battues administratives peuvent être déclenchées n’importe quand dans l’année, c’est vrai qu’elles le sont davantage entre avril et fin août, là où le lieutenant de louveterie a lui seul la maîtrise du territoire de chasse. Cela se vérifie notamment pour les battues administratives visant le grand gibier, chevreuil, sanglier…

Pour être plus efficaces lors de leurs battues administratives, les lieutenants de louveterie peuvent non seulement solli-citer les chasseurs locaux mais aussi des chasseurs volontaires extérieurs. Parfois, une trentaine de chasseurs, en plus du louvetier, se retrouvent sur le terrain. « En général, ce sont des personnes qui aiment chasser avec des chiens courants. Elles sont contentes de venir et d’entendre chasser les chiens. »

Un formalisme extrêmement précis entoure la battue administrative. Par courrier, le louvetier doit informer de sa date la mairie, la gendarmerie, la DDT. Ensuite, un compte rendu sera envoyé à la DDT. « Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça une battue
administrative », témoigne un lieutenant de louveterie.

Souvent, la menace d’organiser une battue administrative suffit à réveiller les cons-ciences des chasseurs du cru. Parce qu’ils n’ont pas envie d’être « mis sous tutelle » de l’Etat ou de son représentant, le lieute-
nant de louveterie, ils acceptent d’en pas-ser par un plan de chasse « grands gibiers » qu’ils géreront eux-mêmes, avec achats de deux ou trois bracelets.

« Tant qu’il s’agit de battue aux renards, cela ne froisse personne que nous intervenions, note un louvetier. Mais dès que l’on touche à un gibier consommable comme le sanglier, c’est une autre paire de manches. » Un autre rajoute : « Il faut parfois pousser très fort dans le dos des chasseurs pour qu’ils accomplissent leur part de boulot, notamment en ce qui concerne la chasse au chevreuil, peu prisée dans nos contrées. La chasse aux sangliers, elle, est jugée bien plus « amusante » par les chasseurs, tellement d’ailleurs que l’on peut voir la création de « sanctuaires ». D’où, in fine, des populations qui prolifèrent. Le corps des louvetiers regrette que tous les chasseurs ne comprennent pas qu’en contrepartie du droit de chasse gratuit concédé par les propriétaires fonciers, ils doivent assurer à ces mêmes propriétaires la protection de leurs biens. « Une règle du donnant/donnant plus ou moins bien respectée » constatent-ils.

Une dimension sanitaire

p23.jpgLes louvetiers ne se mobilisent pas à la seule sollicitation des propriétaires fon-ciers. L’administration territoriale peut leur demander d’intervenir. Ce droit d’initiative laissé à l’Administration se manifeste notamment dans un cadre prophylactique. Aujourd’hui, ce qui illustre sans doute le mieux la dimension sanitaire du rôle des louvetiers, c’est le piégeage des blaireaux. Les lieutenants de louveterie consacrent une part non négligeable de leur temps à cette tâche. Car l’omnivore fouisseur doté de jolies bandes blanches est le principal vecteur de transmission d’une maladie, la tuberculose bovine. L’épidémie ne cesse de gagner du terrain et menace les élevages, y compris dans la région. Piéger les blaireaux pour l’analyse revient donc à mesurer la propagation de la maladie, dans l’objectif de la cantonner. Beaucoup de lieutenants de louveterie y voient une tâche ingrate mais nécessaire. « Nous sommes dans notre mission d’agent du service public. On a le sentiment d’être utile. » La dimension sanitaire en moins, c’est un peu la même chose pour la chasse aux cormorans ou aux corbeaux, pas très « glamour » et d’autant plus qu’elle se passe sans chien. « Déloger des corbeaux, c’est un truc de fou, témoigne un louvetier. Les oiseaux sont intelligents et s’adaptent. »

Le louvetier a aussi un rôle de spécialiste et de gestionnaire de la chasse. Cette fonction, il l’exerce entre autres au sein du Conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage. La structure rassemble à peu près toutes les personnes impliquées dans la gestion de la faune sauvage : associations protectrices de la nature, chasseurs, Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), Office national de la forêt (ONF), représentants des agriculteurs, des sylviculteurs, DDT, louvetiers… Chaque année, cet aréopage se réunit pour examiner à la loupe les IKA (indices kilométriques d’abondance) de chaque espèce. Ce sont les techniciens de la fédération départementale qui assurent les comptages, de jour ou de nuit.

Pour cerner les prélèvements, le conseil départemental s’appuie sur deux sources d’information : les bracelets attribués pour le grand gibier soumis à plan de chasse obligatoire (chevreuils, sangliers…) et les carnets de prélèvements qui remontent tous les ans des sociétés de chasse à la fédération départementale.

Bien sûr, sachant que cette approche se fait sur une base déclarative, si la photographie est biaisée, le diagnostic le sera aussi. Malgré tout, il s’agit d’un outil de travail incontournable et puis le principe de réalité joue. « Si l’on commence à voir des chevreuils en pagaille, évidemment qu’on le signale à l’Administration » commente un louvetier.

« Bras armé de l’Administration » en tant qu’agent assermenté, le lieutenant de louveterie peut aussi agir en tant que personne privée, comme n’importe quel chasseur. Sociétés de chasse, actionnaires de chas-ses gardées lui demandent parfois de venir aves ses chiens, pour les aider à organiser une battue (consignes de tir, sécurité…). Ben sûr, cela ne s’envisagera que pendant les périodes d’ouverture de la chasse. A cet égard, le louvetier « personne privée » ne jouit d’aucun passe-droit.

Huit questions à Alain Lebecq, lieutenant de louveterie en Charente

p24.jpgD’où vous est venue votre vocation ?

J’ai toujours aimé la nature. J’ai voulu en profiter pleinement et pas seulement à titre contemplatif. En me rendant utile aussi. Et puis il y a la passion des chiens courants, en l’occurrence, pour moi, l’anglo-français de petite vénerie, une race de chiens courants spécialisée dans la chasse au renard. Un renard qui fait de moins en moins de dégâts au poulailler mais de plus en plus sur les gibiers. Sans le grand intérêt que je trouve à l’élevage des chiens, je ne serais pas louvetier. Le tir de nuit, le piégeage du blaireau se feraient sans moi.

Comment avez vous franchi le pas ?

Je fus l’élève de Philippe Mitterrand. Pendant 20 ans, je l’ai suivi sur toutes ses missions. En 1988, je fus nommé louvetier et quand Philippe Mitterrand est décédé en 1992, j’ai pris sa suite. C’est quelqu’un qui a marqué la louveterie.

Que représente pour vous la louveterie ?

C’est 90 % de mes loisirs et de mon temps disponible. Pratiquement tous mes samedis et dimanches sont consacrés à la louveterie. Car, si besoin s’en fait sentir, il est tout de même plus facile de gérer les emplois du temps et trouver des tireurs le week-end. En semaine, j’interviens tôt le matin, tard le soir, pour m’adapter aux circonstances (tirs de nuit, tir à l’affût, effarouchement…). Et il y a un peu de temps à passer autour des tâches administratives. Je ne prends que huit jours de vacances par an. La fonction, totalement bénévole, engendre un gros budget : le louvetier achète son uniforme, paie son permis de chasse, assure ses déplacements avec souvent un véhicule adapté qui ne sert qu’à ça… Il n’y a que depuis la tuberculose bovine que nous percevons des remboursements de frais kilométriques et une indemnité forfaitaire liée à la capture des blaireaux.

Alors, la louveterie, une forme de sacerdoce !

On peut dire ça. Pour exercer notre charge telle qu’on l’entend, il faut y consacrer beaucoup de temps et de moyens. J’ai la chance d’avoir une épouse extrêmement conciliante. Nous nous sommes mariés
alors que j’étais déjà louvetier.

Comment concilier métier et louveterie ?

Je fais passer mon métier de viticulteur en premier car ce qui me fait vivre, c’est la viticulture, pas la louveterie.

Des regrets ?

Je ne sais pas si la « société civile » se rend toujours très bien compte de notre investissement personnel et des services que
nous rendons. Autrefois, le jeu en valait vraiment la chandelle car la louve-
terie représentait une formidable opportunité de faire chasser les chiens. Nous avions de grands moments de plaisirs. Aujourd’hui, cet avantage devient plus relatif. L’Administration, sous la pression sociale, fait de plus en plus appel à nous pour attraper blaireaux, corbeaux, nuisibles et de moins en moins renards ou sangliers, notre mission d’origine. Bientôt on nous demandera de déloger les taupes des jardins publics et les pigeons des toits des villes ! Or le chien courant est un athlète, avec une masse musculaire, un poids de forme à entretenir. L’intelligence de la chasse ne s’acquiert qu’avec la pratique du terrain. A l’heure actuelle, l’équilibre subtil entre satisfactions et obligations liées à la charge de louvetier devient de plus en plus ténu. Certes, le lieutenant de louveterie remplit les nouvelles missions que lui impose la société avec sérieux et disponibilité, dans l’esprit de la louveterie. Mais ces missions sont de plus en plus lourdes à supporter quand, dans le même temps, les chiens restent au chenil. Au sujet du renard par exemple, les « préleveurs » passent souvent devant nous.

Le lieutenant de louveterie jouit toujours d’un privilège, celui de pouvoir chasser avec ses chiens en forêt domaniale, une fois par mois.

Certes mais, en ce qui me concerne, les forêts domaniales sont loin de ma circons-cription. Trois fois par an, je réponds à l’invitation de mes collègues de la forêt de Chizé.

Des espoirs ?

J’aimerais passer le flambeau à la jeune génération, comme Philippe Mitterrand l’a fait pour moi. Cependant, à cause de la fonte des effectifs, le vivier des chasseurs s’appauvrit. Je crains qu’au sein de la louveterie, il n’y ait un jour des blancs. J’émets le vœu qu’un frémissement se produise chez les jeunes chasseurs et que des vocations naissent, dans l’esprit de la louveterie. La louveterie reste un formidable vecteur relationnel et un moyen de rester relié à la nature.

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