Les évolutions dans le domaine de la pulvérisation viticole semblent actuellement être à l’actif d’une nouvelle génération de constructeurs dont la qualité première est d’être à l’écoute des attentes des viticulteurs. Chercher à localiser plus de produit sur les vignes, récupérer la fraction diffusée dans l’atmosphère et réduire la mise en œuvre des intrants phytosanitaires sont devenues des préoccupations de premier plan dans beaucoup de propriétés. La société Dagnaud a décidé de développer la fabrication d’une nouvelle génération de pulvérisateurs, les Turbipano, dont le fonctionnement repose sur des tunnels de pulvérisation ventilés.
Traiter les vignes de manière plus efficace tout en minimisant les dérives de flux de pulvérisation dans l’atmosphère semble être un challenge technologique qui intéresse de plus en plus de viticulteurs et aussi quelques constructeurs. Les premières innovations sont apparues il y a 10 ans avec la société S21, puis plus récemment, plusieurs entreprises italiennes ont développé des équipements sophistiqués. La volonté de réduire les charges économiques liées à la protection du vignoble et la montée en puissance des exigences environnementales sont les deux éléments qui justifient cette évolution. La société Dagnaud, une PME installée au cœur du vignoble de Cognac, s’est forgée une image de sérieux depuis 25 ans grâce à deux types de fabrications, les enfonce-pieux et les panneaux récupérateurs de bouillie. A l’origine, les panneaux récupérateurs Dagnaud avaient été conçus pour effectuer les traitements d’hiver (à base d’arsénite de soude) pour lutter contre l’esca mais, à la demande de certains clients, Frédéric Dugué a fait évoluer la conception des matériels pour faciliter leur utilisation au printemps, en début de cycle végétatif. Au départ, c’était une demande essentiellement charentaise liée au développement d’une maladie, la nécrose bactérienne, qu’il fallait combattre dès l’éclosion des bourgeons en appliquant deux ou trois traitements à faible concentration de cuivre. Utiliser un pulvérisateur pneumatique ou aéroconvection pour localiser la pulvérisation sur une végétation de 1 à 3 cm occasionnait des pertes importantes, d’où l’idée d’utiliser les panneaux récupérateurs de bouillie en adaptant les buses.
Un pulvérisateur traîné équipé de deux tunnels confinés entièrement nouveaux
Les fabrications de panneaux récupérateurs de bouillie Dagnaud ont progressivement évolué pour devenir des équipements facilement utilisables à la fois pour les traitements d’hiver et les trois premières applications en végétation. La nouvelle génération d’équipements, les Pulpano, sont devenus plus fonctionnels et plus simples à utiliser grâce à des panneaux polyesters plus enveloppants, une récupération de bouillie effectuée avec une deuxième pompe (et non plus des hydro-injecteurs), une filtration plus performante et une rampe de pulvérisation à 5 buses modulable. A partir de 2002, le retrait du marché de l’arsénite de soude n’a pas empêché l’entreprise de continuer de vendre des équipements pour les trois premiers traitements et un certain nombre de viticulteurs de Charentes et de Gironde ont même décidé d’utiliser le Pulpano toute l’année dans des vignes palissées. Frédéric Dugué et Patrick Guillory ne cachent pas que ce sont les réflexions des clients qui ont contribué à faire évoluer le matériel : « Si on était resté sur les principes historiques des panneaux récupérateurs de bouillie destinés aux traitements d’hiver, ces fabrications n’auraient plus trouvé de débouchés. Les remarques négatives et aussi l’intérêt de certains clients nous ont permis progressivement d’évoluer et de proposer un tunnel de pulvérisation classique avec une rampe haute pression performante. On était conscient depuis quelques années que les Pulpano dans leurs configurations actuelles ne pouvaient pas correspondre aux attentes de toutes les propriétés. Le matériel donnait pleine satisfaction à une catégorie de viticulteurs (souvent des propriétés de petites à moyennes surfaces) qui estimaient que l’utilisation d’air pour porter les produits de traitements occasionnait trop de pertes dans l’atmosphère. D’autres manifestaient de l’intérêt pour notre matériel mais regrettaient justement l’absence d’air pour porter le flux de pulvérisation dans le cœur de la végétation. Nos ventes de Pulpano se sont globalement maintenues ces dernières années mais, l’hiver dernier, on a décidé de se pencher sur une nouvelle approche de tunnel de pulvérisation intégrant cette fois un apport d’air. Le principal reproche que l’on nous faisait concernait la difficulté à localiser le flux de bouillie au cœur des grappes pour les traitements insecticides et anti-botrytis. Dans les conduites non palissées de type arcure haute ou cordons, on nous reprochait également notre manque de capacité de pénétration dans le cœur de la végétation. L’intégration d’une source de production d’air dans un tunnel de pulvérisation nous a obligés à reconcevoir l’ensemble du pulvérisateur. Dans la mise en œuvre de ce projet, nous avons essayé d ‘imaginer un matériel qui soit à la fois fonctionnel, simple à utiliser et peu demandeur de puissance. »
Une centrale hydraulique pour rendre le pulvérisateur plus autonome du tracteur
Le prototype de pulvérisateur Dagnaud a été mis au point et testé dans le vignoble charentais au cours de l’été 2010. L’expérience acquise avec la fabrication du Pulpano représentait un capital de connaissances et d’expérience pour construire le projet de tunnel de pulvérisation ventilé. Toute l’énergie et les compétences de l’entreprise ont été mobilisées pour définir les principes du futur pulvérisateur. F. Dugué a souhaité s’appuyer sur quelques idées majeures : minimiser au maximum le poids des cellules de pulvérisation, ne pas transporter d’air, utiliser et positionner la production d’air de façon à optimiser les phénomènes de turbulence au cœur de la végétation des rangs et rendre le fonctionnement du pulvérisateur le plus indépendant possible des variations de régime moteur et de la vitesse d’avancement du tracteur. Un jeune ingénieur, Anthony Dugué (de l’EI-CESI d’Angoulême), en formation par alternance travaille depuis presque un an sur ce dossier. Le nouveau pulvérisateur Turbipano est un appareil tracté de 1 000 l équipé d’une centrale hydraulique indépendante, de deux cellules de pulvérisation confinées conçue pour optimiser l’efficacité de la diffusion d’air et de la récupération. Le châssis dispose d’un attelage articulé avec à l’avant l’ensemble de pulvérisation et à l’arrière le réservoir et la centrale hydraulique. Un tel agencement présente l’avantage d’assurer une bonne répartition des charges, de faciliter les manœuvres en bout de rang et de conférer au matériel un encombrement normal (en position fermée comme au travail).
La puissance du tracteur n’est utilisée que pour assurer le fonctionnement des deux pompes et celui de la centrale hydraulique qui est utilisée pour toutes les fonctions d’élargissement, de réglage en hauteur et l’utilisation des turbines. Le débit d’huile de la centrale hydraulique se règle de manière totalement indépendante du régime moteur du tracteur. Le débit d’air des turbines est totalement indépendant des variations d’allures et puissance du tracteur.
Quatre turbines équipées de buses de pulvérisation centrifuges
La cellule de pulvérisation a fait l’objet d’une réflexion technologique importante dans le choix du type de production d’air et dans la distribution du flux d’air à l’intérieur du tunnel. L’idée de départ était de positionner la production d’air dans une zone où elle est la plus efficace pour fouiller le cœur des rangs de vignes (où se trouve les grappes) et provoquer un retournement des feuilles sans phénomène de plaquage. Le phénomène de turbulence devait être à la fois suffisamment puissant pour localiser le traitement sur toutes les fractions de végétation mais pas trop non plus pour limiter les phénomènes de dérive. Après divers essais, le fait de « souffler » la végétation par dessous en installant les turbines juste en dessous la tête des ceps dans une position d’environ 30° par rapport au plan de palissage s’est avéré concluant. Le positionnement des deux turbines décalées d’environ 0,50 m dans le sens de la longueur sur chaque panneau permet d’obtenir deux flux d’air qui ne se contrarient pas.
Dans une telle configuration, la production d’air s’avère constante et est totalement protégée des effets de dérive extérieure par une conception des panneaux très enveloppants. Les panneaux fabriqués en fibre de verre (matériau léger, rigide et parfaitement lisse) sont constitués de quatre plans, un vertical parallèle au plan de palissage, un second au niveau des têtes de souches incliné de 30°, un troisième dans la partie supérieure aussi incliné de 45° et un quatrième horizontal au-dessus le sommet de la végétation. Cette forme des deux panneaux enveloppe parfaitement la végétation au moment des traitements et crée un véritable tunnel protégé des effets de l’environnement extérieur (principalement du vent). Le positionnement des turbines d’un côté à l’avant et de l’autre à l’arrière des deux panneaux à proximité des rampes de pulvérisation confère au flux d’air un grand volume et une constance qui sont propices à un phénomène de turbulence intervenant de bas en haut sur toute la hauteur de la végétation.
quatre turbines équipées de buses centrifuges
Une réflexion importante a été conduite au niveau du principe et du fonctionnement des turbines pour rechercher les besoins en puissance nécessaires à une parfaite exploration des vignes en pleine végétation. F. Dugué explique que les effets conjugués de monter une turbine sur chaque côté de rang et de créer un flux d’air de bas en haut non contrarié optimisent le rendement volumique d’air à l’intérieur du tunnel :
« Tout le volume d’air aspiré par les turbines est intégralement restitué et la vitesse de diffusion d’air permet de bien explorer la végétation. Après divers essais de turbines, notre choix s’est porté sur des turbines équipées à leur centre de buses centrifuges dont la rotation permet d’obtenir des gouttelettes de bouillie de grande finesse. Les flux d’air chargés de bouillie sont directement dirigés vers l’intérieur des rangs, ce qui représente un avantage pour la réalisation des traitements contre la pourriture et les vers de la grappe. Les années de forte pression oïdium et mildiou, le fait d’avoir deux buses par rang qui ciblent uniquement l’intérieur de la végétation doit aussi permettre d’optimiser la qualité générale des traitements. La turbulence d’air à l’intérieur du tunnel véhicule aussi la bouillie des quatre porte-jets installés sur toute la hauteur de plan vertical du palissage. Les turbines centrifuges sont utilisées depuis longtemps et leur fiabilité a été éprouvée dans le domaine de la protection des cultures dans l’hémisphère sud (sur les céréales et le coton). Nous équipons les rampes de buses Teejet dont l’efficacité a été démontrée sur nos Pulpano. En fonction de la hauteur de la végétation à traiter, une simple vanne permettra de mettre en service et d’arrêter le fonctionnement de chaque buse. »
Une demande de puissance de seulement 55 cv
La dernière innovation au niveau des turbines se situe au niveau de leur fonctionnent mis en œuvre grâce à des moteurs hydrauliques, ce qui facilite considérablement leur utilisation. La centrale hydraulique indépendante du pulvérisateur permet de maîtriser parfaitement la constance du débit d’air produit quelle que soit la vitesse d’avancement du tracteur. Un système de diviseur de débit permet de régler simplement et de manière fiable la vitesse de rotation des turbines. Le chauffeur peut instantanément intervenir sur la vitesse de rotation des turbines. Les essais ont révélé que la puissance d’air émise dans chaque cellule de pulvérisation correspondait à celle d’un ventilateur aéroconvection de 750 mm, sachant que dans le cas du Turbipano, 90 % du flux restent confinés dans le tunnel de pulvérisation. L’expérience de la société Dagnaud dans la conception des centrales et des circuits hydrauliques a permis de réduire fortement les besoins en énergie nécessaires à la production d’air. Les quatre turbines absorbent une puissance totale de 15 CV et la traction du pulvérisateur peut être envisagée avec un tracteur de 55 cv qui ne tournera pas à pleine puissance. Le poids de chaque tunnel de pulvérisation ne dépasse pas 150 kg, ce qui est aussi un gage de longévité pour la structure des supports. L’écartement intérieur des deux panneaux est réglable, ce qui permet à la fois d’utiliser l’appareil dans des vignes palissées et à port libre de type arcures hautes et cordons hauts rognés. L’ensemble des fonctions d’ouverture, de fermeture et de réglage en hauteur des tunnels sont commandées par le chauffeur à partir d’un boîtier électrique positionné dans la cabine du tracteur. Les essais au vignoble au mois d’août ont permis de faire fonctionner le pulvérisateur avec 10 buses à un débit de 100 l/ha (une récupération de 15 % de bouillie a été constatée cette saison), ce qui lui confère une autonomie de 10 ha avec une cuve de 1 000 l. En début de saison, il est possible de débrayer les turbines (un cache facile en polyester vient protéger les turbines) et d’utiliser les cellules comme un Pulpano traditionnel. F. Dugué et P. Guillory ont déposé plusieurs brevets sur leur nouveau matériel, ce qui a retardé sa présentation au public. Le lancement officiel du Turbipano aura lieu lors du salon Vinitech et son prix se situera entre 27 000 et 30 000 € ht selon le niveau d’équipement. Pour la prochaine campagne, le constructeur souhaite mettre en essai le matériel auprès de l’IFV durant toute une saison, pour mieux cerner les performances et en optimiser les conditions d’utilisation.
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