M. François Roy, qui exploite une propriété de presque 30 hectares à Mareuil, a profité des possibilités de reconversion du vignoble pour planter, à partir de 1999, 4 ha de cépages rouges. Cet engagement dans une nouvelle production a été motivé par la passion de ce viticulteur pour le vin. L’amateur qu’il est a d’ailleurs été à deux doigts d’acheter une propriété dans le Bergeracois au début des années 90. F. Roy, bien qu’il n’ait pas suivi un cursus d’études dans l’univers viti-vinicole, fait preuve d’une grande curiosité en matière de dégustation de vins et de connaissances viticoles. La volonté d’implanter un vignoble de vins a donc continué de « mûrir » dans son esprit au point qu’il a réussi à mobiliser toute sa famille autour de ce centre d’intérêt. La plantation des 4 hectares de Merlot et de Cabernet franc à Mareuil est donc véritablement l’aboutissement d’une passion qui s’est transformée en un projet familial.
Avant de mettre en terre les premiers plants, F. Roy avait une idée précise du type de vin qu’il souhaitait élaborer : des vins rouges de haute qualité susceptibles de capter une clientèle à la recherche de typicité. La démarche de reconversion a été construite dans le cadre d’un véritable projet d’entreprise en essayant d’avoir une cohérence globale au niveau du choix du terroir, du système de conduite de la vigne et de la maîtrise des vinifications. Ce viticulteur a su s’entourer de compétences en nouant des relations avec les techniciens et les œnologues de la région, des viticulteurs produisant déjà des vins de pays et aussi des amis travaillant dans l’univers du vin dans le Bordelais. Progressivement, la finalisation du projet lui a fait prendre conscience que la mise en œuvre d’une démarche de production de vins de pays à la propriété nécessitait des moyens techniques et financiers importants. En effet, la production d’un vignoble de vins rouges de 5 à 6 ha doit être abordée avec du professionnalisme si l’on veut aller jusqu’à la bouteille et assumer totalement la commercialisation. Cette réflexion concerne bien sûr l’implantation des vignes, le soin à apporter à l’obtention de raisins ayant atteint une pleine maturité et les moyens de vinification. La récolte, la vinification et l’élevage à terme de plusieurs centaines d’hl de vins ne peuvent pas être réalisés avec les moyens du bord mais avec un équipement rationnel. L’absence de bâtiment de vinification pouvant être facilement aménagé l’a contraint à créer un chai. François Roy avait dès le départ parfaitement pris la juste mesure des investissements que nécessitait son engagement dans la production de vins rouges de qualité. Il s’est donné les moyens de ses ambitions pour mener à bien toute la démarche qualitative en n’hésitant pas à vendre un peu de foncier pour « boucler » son budget et aussi en programmant des investissements bien pensés.
Une attention particulière pour bien installer la vigne dans le terroir
Les plantations ont été réalisées au sein d’un îlot homogène situé en demi-coteau sur des sols de rendzines brunes argileux, calcaires et possédant une couche arable de 30 cm. Ce type de sols dispose de réserves hydriques suffisantes qui permettent d’assurer une alimentation correcte des vignes. Ce terroir a la caractéristique de favoriser la précocité et d’être propice à une bonne maturation des raisins. La première plantation de Merlot a été réalisée au printemps 1999 à une densité de 4 000 ceps/ha (2,50 sur 1 m) avec deux porte-greffes, du RSB et de 161 49. En 2000, un hectare de Merlot et un hectare de Cabernet franc supplémentaires ont été plantés et actuellement toutes les vignes arrivent en production. Le Cabernet franc a été préféré au Cabernet Sauvignon pour des raisons de précocité car ce dernier cépage a parfois déjà du mal à mûrir certaines années dans le Bordelais. Par ailleurs, certains spécialistes considèrent que sur des terres calcaires moyennement profondes, le Cabernet franc est en mesure d’exprimer toutes ses potentialités qualitatives (sur le plan de la structure tannique et des arômes). Les vignes sont établies en cordon de Royat Oméga double avec un palissage très haut (1,80 m de surface foliaire) et une attention particulière est portée à l’agencement de la surface foliaire. La principale préoccupation est de créer un environnement propice au développement de raisins bien aérés et exposés aux rayons lumineux. Le palissage est réalisé manuellement en deux ou trois passages successifs.
Pour l’instant, F. Roy réalise un entretien mécanique du sol avec seulement des apports d’herbicides foliaires sous le rang au printemps. Ce choix est motivé par le souci de faire plonger le système racinaire dans les couches profondes du sous-sol moins fertiles et cela constitue, d’une part, un gage de longévité pour la parcelle et, d’autre part, un moyen naturel d’apporter des notes du terroir aux vins. Une fois que les vignes seront bien installées, il envisage d’enherber partiellement les interlignes mais la climatologie extrême de 2003 le conforte dans sa philosophie d’implantation des jeunes vignes. L’inconvénient de cette méthode est actuellement qu’il ne peut pas utiliser l’herbe comme régulateur de vigueur et de la charge de grappes. Un effeuillage manuel est réalisé côté levant entre la fermeture de la grappe et la véraison, et à ce stade l’appréciation du potentiel de récolte est assez facile à réaliser. Certaines années comme 2002, une vendange verte s’impose en tout début de véraison alors qu’en 2003 la sécheresse a régulé les rendements.
La réussite d’un millésime se fait à la vigne
L’objectif de rendement se situe autour de 40 à 45 hl/ha pour obtenir des maturations les plus complètes possibles, mais pour l’instant les jeunes vignes ne l’ont pas atteint. En 2002, les plantations qui étaient en troisième feuille ont été volontairement ramenées à des niveaux de rendements bas (22 hl/ha) après avoir fait tomber 50 % des grappes en début de véraison. L’année se présentait de manière assez tardive et les priorités étaient de récolter des raisins bien mûrs et de ne pas « fatiguer » les jeunes souches. En 2003, un peu de coulure sur le RSB et la sécheresse se sont chargés de réguler les rendements qui dépassent juste 30 hl/ha. F. Roy porte une attention particulière à ses vignes à partir de la floraison qui représente le début de la période où se joue la qualité du futur millésime : « Avec ces jeunes plantations de merlot et de cabernet, j’ai eu des angoisses comme jamais je n’ai eu avec les Ugni blancs. 90 % de la réussite d’un millésime se fait à la vigne et j’ai découvert un métier différent où tout repose sur l’observation de l’évolution des raisins. J’ai beaucoup dialogué avec des techniciens, d’autres producteurs et des amis dans le Bordelais qui m’ont aidé à conduire mon vignoble. Dans les vignes, nous avons réalisé avec ma femme un travail énorme depuis cinq ans et la bonne qualité des raisins que nous avons vinifiés représente une grosse satisfaction. J’estime que la charge de main-d’œuvre nécessaire à la conduite des merlot et des cabernet est supérieure de 40 % à celle des Ugni blancs en vignes larges palissées rapidement. Dans l’avenir, les travaux d’hiver seront moins lourds avec le prétaillage mécanique des cordons de Royat. »
Un chai de vinification pensé pour respecter la vendange et vinifier des petits lots
La principale difficulté pour ce nouveau producteur de vins de pays a été d’acquérir des références en matière d’appréciation de la qualité des raisins destinés à être vinifiés. C’est véritablement une compétence que l’on acquiert seul en dégustant des baies régulièrement (à la fois la pellicule, la pulpe et aussi les pépins) durant la phase de maturation. Il faut en quelque sorte se former le palais pour être en mesure de détecter et de suivre l’évolution qualitative des arômes, de percevoir les transformations des saveurs de la pulpe (évoluant de notes amères vers des notes de fruits) et d’évaluer l’équilibre gustatif général. F. Roy a donc fait ce travail seul mais en entretenant un dialogue régulier avec un responsable d’un domaine dans le Bordelais qui l’a aidé dans le commentaire de ses dégustations. La récolte est volontairement effectuée manuellement dans des bennes élévatrices (sans vis d’Archimède) de petites capacités afin de respecter l’intégrité des baies jusqu’au moment de l’éraflage. Un chai a été créé de toutes pièces en utilisant la structure d’un ancien hangar agricole. L’aménagement a été abordé de manière fonctionnelle en utilisant une différence de niveau naturelle du terrain pour faciliter les transferts de vendange. Le chai est constitué d’un quai de réception de la vendange en surélévation dont la hauteur se situe à mi-hauteur des cuves. La récolte est éraflée, puis transférée (avec une pompe à queue de cochon) sans aucune pression vers des cuves inox de vinification sur pieds d’une capacité de 80 hl (plus larges que hautes). Le choix de cuves de petites capacités correspond à la volonté d’isoler des lots de vendange de qualité différente et de créer des conditions optimales lors des extractions de matière colorante. Le fait d’avoir des cuves de grand diamètre permet d’avoir un gâteau de marc le plus large possible, ce qui facilite considérablement la maîtrise et l’efficacité des opérations des remontages et des piégeages. Le sol et la base des murs du chai sont protégés par un revêtement époxy qui permet de maintenir une parfaite hygiène dans l’ensemble du chai. L’installation est constituée de deux cuves inox de vinification de 80 hl sur pieds, de trois garde-vins de 100 hl, d’un ensemble érafloir-pompe à vendange et d’un petit pressoir horizontal acheté d’occasion. A terme, 200 à 300 hl de vins pourront être vinifiés dans le chai car le bâtiment est conçu pour recevoir au moins quatre cuves supplémentaires.
Une approche de vinification logique privilégiant la recherche d’arôme et d’un bon équilibre
La vinification est conduite à partir de principes simples fondés sur le respect de la qualité de la vendange et la volonté d’élaborer des vins riches ayant un bon équilibre. F. Roy, qui se présente comme un autodidacte en matière de vinification en rouge, a su s’entourer de conseils avisés et il s’est formé en suivant divers stages et aussi en dégustant beaucoup de vins provenant d’origines très diverses : « Pour l’instant, je suis dans la phase où je découvre le métier de vinificateur et mon objectif est d’essayer de travailler d’une manière logique et la plus simple possible. Le maintien d’une hygiène parfaite durant toutes les phases de vinification et d’élevage du vin constitue un enjeu important pour tirer le meilleur profit de la vendange. Mon souhait n’est pas d’élaborer des vins rouges marqués par une surextraction mais de privilégier la recherche d’un bon équilibre entre les arômes, le fruité et les tannins. Il me semble que, pour l’instant, la jeunesse des vignes n’est pas compatible avec la recherche de vins très corsés susceptibles de supporter des élevages très longs. »
En 2003, la récolte est intervenue les 6 et 7 septembre car les merlot comme les cabernet francs avaient atteint un bon niveau de maturité phénolique, ce qui confirme la précocité et les potentialités du terroir. La vendange aussitôt éraflée a subi une macération pré-fermentaire à froid de 2 à 3 jours. La fermentation alcoolique est ensuite lancée et la cuvaison dure au total une quinzaine de jours. La fréquence des remontages et des piégeages est gérée en dégustant quotidiennement les moûts en cours de fermentation et les vins faits. La fermentation malo-lactique se déroule en cuve et les vins sont ensuite élevés en barriques pendant une période courte de 4 à 5 mois. L’objectif de cet élevage en fûts n’est pas de marquer les vins de notes boisées (puisque seulement 20 % de bois neuf est utilisé) mais de profiter des phénomènes d’oxydation ménagés si bénéfiques à l’affinage de la structure. L’assemblage Merlot à 70 % et Cabernet franc a permis d’obtenir un vin rouge aromatique, ayant une structure en bouche riche mais extériorisant aussi de la finesse.
Un positionnement prix volontairement assez élevé plutôt bien accueilli par les distributeurs et les consommateurs
La mise en bouteille du millésime 2002 est intervenue à la fin du mois de juillet dernier et la commercialisation des 6 500 premières bouteilles a été bien préparée. F. Roy avait commencé à construire toute sa démarche commerciale depuis presque une année à la fois en travaillant sur le packaging, en faisait une analyse juste de son coût de production, en multipliant les dégustations dès le printemps et en nouant des contacts informels avec des cavistes et des restaurateurs (le plus souvent en dehors de la région). Les premières réactions positives de quelques responsables de caves ont permis à ce viticulteur de se rendre compte que la qualité du vin permettait d’envisager un positionnement prix consommateurs dans la fourchette des produits vendus entre 4 à 6 € TTC la bouteille. Restait ensuite à trouver un nom commercial au vin ou au vignoble et toute la famille s’est mise à plancher sur le sujet. Finalement, l’idée du fils de F. Roy a fait l’unanimité et le vignoble de vins rouges s’appelle le domaine de la Courtilière, en référence à la découverte de ce petit insecte du sol dans le jardin en face du chai. La commercialisation du millésime 2002 a réellement commencé à la fin du mois d’octobre dernier, une fois les vinifications terminées. Le positionnement à un prix plutôt élevé (4,65 € TTC/bouteille au particulier) n’a pas posé de problème et les ventes de fin d’année dans le Centre de la France et à Paris sont encourageantes. Le millésime 2002 du domaine de la Courtilière a été bien accueilli dans les produits de cœur de gammes des cavistes et des restaurateurs. M. F. Roy, qui craignait que le manque de notoriété des vins de pays charentais soit un handicap, s’est en fait rendu compte qu’en dehors de la région l’effet nouveau produit suscite un véritable intérêt dans la mesure où le rapport qualité/prix est bon. L’objectif est d’essayer de cultiver ces contacts dans le temps pour tisser progressivement un réseau commercial qui permettra d’écouler plus de 30 000 bouteilles d’ici quelques années.