Les problèmes de stabilité microbiologique des Pineaux des Charentes semblent être devenus plus fréquents depuis une quinzaine d’années et les professionnels ont sollicité la Station viticole du BNIC pour conduire des travaux de recherches sur ce sujet. Le déroulement des fermentations malolactiques occasionne une dégradation qualitative irréversible et les fûts et les tonneaux utilisés pour l’élevage sont aussi porteurs des agents contaminants. Les conclusions des expérimentations ont débouché sur des éléments très concrets sur la connaissance de ces phénomènes et les moyens de les prévenir.
Le Pineau des Charentes a longtemps été considéré comme un produit intrinsèquement stable du fait de son titre alcoométrique assez élevé aussitôt le mutage. C’est le développement de la production de Pineaux rosés et aussi la succession d’années de fortes maturités ou de faibles acidités (des moûts) qui ont contribué à favoriser l’apparition d’altérations microbiologiques.
Le déroulement des fermentations malolactiques provoque une perte de qualité irréversible sur les Pineaux blancs et rosés, et les recherches conduites maintenant depuis une dizaine d’années confirment que le meilleur moyen de lutte repose sur des approches préventives. Il existe désormais des moyens préventifs pour identifier les lots à risque, suivre leur évolution sur le plan analytique et intervenir en tout début du processus de dégradation microbiologique. Le maintien d’une parfaite hygiène au niveau du logement bois représente aussi un acte de prévention incontournable, car le bois est un support de survie « prisé » pour les bactéries.
Le déroulement de la fermentation malolactique nuit toujours à la qualité des pineaux
L’altération microbiologique du Pineau des Charentes demeure un problème technique important et, contrairement à certaines idées reçues, ce type d’accident de conservation ne concerne pas uniquement des lots de Pineaux produits à partir d’une vendange à l’état sanitaire déficient. En effet, les viticulteurs et les responsables de production des coopératives et des négociants constatent des déclenchements de fermentation malolactique sur des lots de Pineaux qui leur semblaient parfaitement sains quelques semaines auparavant. Le déroulement de la fermentation malolactique est soit rapide et précède la piqûre lactique à proprement parler, ou soit plus lente et concomitante à la dégradation des sucres. Dans tous les cas, la dégradation de l’acide malique s’accompagne d’une augmentation significative de l’acidité volatile et d’une dégradation irréversible des caractéristiques aromatiques et gustatives.
Depuis de nombreuses années, les notions de Pineaux « à risque » et de logement « à risque » étaient régulièrement soulevées par les œnologues de terrain qui ont en charge le suivi qualitatif des productions dans les chais, mais aucun travail scientifique n’avait permis jusqu’au milieu des années 90 de cautionner ces réflexions. C’est pour répondre à de telles attentes que les responsables du Syndicat des producteurs ont demandé à la Station viticole du BNIC de mener une action de recherche fondamentale pour mieux connaître les causes de ces altérations microbiologiques. Les travaux engagés depuis une dizaine d’années ont abouti à des conclusions intéressantes qui permettent aujourd’hui de gérer l’élevage des Pineaux en intégrant une démarche technique de prévention des accidents microbiologiques de conservation.
Deux espèces de bactéries qui vivent très bien dans un milieu alcoolisé
Mme Claudie Roulland, l’ingénieur en microbiologie chargée des études sur le Pineau des Charentes à la Station viticole du BNIC, a réalisé depuis une dizaine d’années un travail de fond à la fois sur l’identification des agents responsables et également sur les moyens à mettre en œuvre pour endiguer et prévenir les altérations microbiologiques. Les premiers travaux commencés en 1990 avaient pour objectif d’identifier les agents responsables des fermentations malolactiques, mais cela a nécessité la mise au point d’une méthodologie spécifique. En effet, le Pineau est un milieu de croissance limite pour le développement des bactéries les plus courantes et les méthodes de détection utilisées sur les vins de bouche ne donnaient aucun résultat. Mme C. Roulland a dû mettre au point une méthode pour « cultiver » les bactéries spécifiques du Pineau. Le déroulement des fermentations malolactiques dans les Pineaux est lié à deux espèces principales de bactéries qui sont en quelque sorte spécifiques des produits ayant une teneur en sucre résiduel importante et des titres alcoométriques plutôt élevés. La première bactérie identifiée est la Lactobacillus Hilgardii, une espèce rencontrée couramment dans les moûts sains et qui fait partie de la flore classique. Elle présente une bonne résistance à l’éthanol et peut vraisemblablement résister au mutage. Cette espèce est responsable de la grande majorité des cas d’altérations microbiologiques de vins doux naturels comme le Banyuls ou le Porto. En revanche, sa présence dans les Pineaux des Charentes est moins fréquente et elle n’est responsable que d’environ 10 % des altérations microbiennes. La deuxième bactérie, la Lactobacillus fructivorans, est une espèce très particulière qui est identifiée de manière très exceptionnelle dans les moûts de raisins, mais elle est tout de même responsable de 90 % des altérations microbiologiques dans le Pineau des Charentes. Elle est fréquemment isolée au niveau des chais, dans les lies de Pineau conservées d’une année à l’autre ou encore au niveau des logements bois. La principale caractéristique de cette bactérie est sa très bonne résistance à l’éthanol et sa croissance est même stimulée en présence d’alcool. La composition des membranes cellulaires de ces bactéries constituées d’acides gras à très longues chaînes explique probablement leur exceptionnelle résistance à l’alcool. Dans les essais de mise en culture réalisés à la Station viticole du BNIC, l’espèce s’est multipliée dans des solutions titrant jusqu’à 22 % d’alcool. La bactérie survit bien dans des milieux moyennement alcoolisés comme, par exemple, les fonds de barriques ou de foudres, et les douelles constituent un excellent support de contamination.
La limitation des risques de contamination au niveau des fûts et des foudres
La limitation des risques de contamination bactérienne représente sur le plan technique le premier moyen de prévenir les accidents de conservation. La mise en œuvre de mesures d’hygiène strictes au niveau de l’ensemble de la chaîne d’élaboration est indispensable, d’autant que le décret de production rend obligatoire le stockage sous bois. Le nettoyage et la désinfection des fûts et des foudres doivent être abordés avec beaucoup de rigueur, surtout quand les contenants restent vides pendant de longues périodes. Les études de la Station viticole du BNIC ont montré que les premières eaux de rinçage de logement ayant contenu des lots de Pineau contaminés ne sont pas forcément les plus riches en bactéries. A l’inverse, ce sont les deuxièmes ou troisièmes eaux de rinçage qui sont les plus contaminées, ce qui confirme que les bactéries peuvent être installées assez profondément dans le bois. Les soins apportés au nettoyage et à la désinfection des fûts et des tonneaux doivent être extrêmement rigoureux, et malgré cela les contenants « contaminés » ne sont pas forcément aseptisés. La nature de ce matériau poreux en périphérie du liquide et aussi propice aux phénomènes d’oxydations ménagées présente de nombreux avantages pour le vieillissement des productions et un certain nombre d’inconvénients si leur hygiène se dégrade. Des contenants bois contaminés doivent être parfaitement identifiés et traités afin, par la suite, de consacrer leur usage à des lots de Pineaux naturellement moins sensibles aux altérations bactériennes. Les logements bois parfaitement sains doivent être entretenus avec beaucoup de rigueur (nettoyés et désinfectés avec des produits adaptés après chaque utilisation) pour maintenir un niveau d’asepsie correct. La recherche d’une asepsie parfaite est illusoire sur un matériau comme le bois qui est une matière vivante. Il est indispensable d’utiliser des produits spécifiques pour les opérations de nettoyage et de désinfection, car les parois d’un fût ou d’un foudre ne se rincent pas aussi facilement que celles d’une cuve inox ou fibre de verre.
Des facteurs favorisant clairement identifiés
Les travaux de recherche fondamentale sur l’identification des bactéries ont permis de constater que parmi des lots de Pineaux contenant tous des populations de bactéries significatives, certains ne réalisaient pas leurs fermentations malolactiques. La prise en compte de ce phénomène a amené Mme C. Roulland à émettre l’hypothèse que certains facteurs en relation directe avec la nature et l’équilibre des Pineaux devaient favoriser ou pas le déclenchement des fermentations malolactiques. L’approfondissement de ce volet d’études a constitué un enjeu majeur pour définir à la fois des critères et des pratiques préventives au niveau de la phase d’élaboration (au niveau de la nature de la vendange sur souches et des moûts) et aussi pour être en mesure de quantifier le niveau de risque des lots de Pineaux à réaliser ou pas leur fermentation malolactique. Ces travaux ont été lourds à mettre en œuvre car très peu d’études avaient été réalisées sur des vins mutés liquoreux. Il a fallu aussi mettre au point une méthodologie de culture nouvelle car l’espèce Lactobacillus fructivorans ne se développait pas avec des milieux utilisés couramment pour toutes les autres bactéries. Après plusieurs années de travail, Mme C. Roulland est arrivée à cerner les facteurs qui pouvaient influencer de manière positive ou négative le déroulement de la fermentation malolactique dans les Pineaux. L’élément le plus déterminant semble être la valeur du pH qui joue un rôle direct sur l’aptitude naturelle d’un Pineau à réaliser ou pas la FML. En dessous des valeurs de pH de 3,5, les risques diminuent de manière significative alors que des teneurs autour de 3,7 en accentuent les risques. Le titre alcoométrique des Pineaux intervient seulement dans une moindre mesure et au cours des expérimentations, des productions contaminées avec TAV compris entre 17,5 % et 18 % vol. n’ont fait que « modérer » l’effet pH élevé. L’étude sur l’utilisation du soufre a aussi confirmé le rôle bloquant de cet adjuvant sur le déroulement de la fermentation malolactique. Cependant, la gestion des apports de soufre doit être abordée avec mesure car, d’une part l’efficacité de ce produit est assez éphémère dans le temps (se combine instantanément) et, d’autre part, le principal produit de transformation, le sulfate à forte concentration, entraîne une dépréciation gustative (des saveurs salines et un assèchement de la structure).
Le ph des moûts interfère directement sur l’aptitude des bactéries à se développer
Le pH représente la force acide du milieu et dans les moûts destinés à la fabrication de Pineau, l’acide malique est le plus concentré, suivi, en deuxième position, de l’acide tartrique, mais le pouvoir acide de ce dernier influence le plus fortement la valeur du pH. Les recherches ont mis en évidence que la valeur du pH joue un rôle direct sur le développement des populations de bactéries lactiques. En effet, chaque espèce de bactérie se développe uniquement dans des plages de pH bien précises et il existe des valeurs seuils (minimum et maximum) en dessous desquelles leur croissance est impossible. Les espèces isolées dans le Pineau ont un développement optimum pour une valeur de pH de 4,2 (valeur classique pour toutes les bactéries du vin) et plus la force acide des productions augmente, plus le niveau de résistance au déclenchement des FML est élevé. Une expérimentation, réalisée à la Station viticole du BNIC sur 54 Pineaux, illustre parfaitement la réactivité de la multiplication des bactéries aux valeurs du pH.
On observe qu’au-dessus une valeur de pH seuil de 3,5, les échantillons sont plus sensibles vis-à-vis des multiplications bactériennes. C’est pour cette raison que l’on constate dans la pratique une fréquence des altérations bactériennes plus importante dans les Pineaux rosés dont le pH des moûts avant mutage se situe souvent autour de 3,7. Le rôle déterminant du pH vis-à-vis de la stabilité microbiologique des Pineaux doit amener les producteurs à prendre plus en considération l’évolution de l’acidité totale des raisins au cours de leur maturation. Traditionnellement, les viticulteurs essaient de pousser le plus loin possible le processus de maturation en portant une attention particulière à l’augmentation des teneurs en sucres et à l’évolution de l’état sanitaire. Des cépages précoces comme le Merlot ou le Sauvignon sont généralement récoltés en ayant atteint des titres alcoométriques très élevés attestant d’une surmaturité, mais les niveaux d’acidités sont aussi très bas. De tels moûts confèrent aussitôt le mutage aux Pineaux une sensibilité accrue aux altérations bactériennes. Lors des contrôles de maturité, il serait souhaitable de suivre l’évolution de l’acidité totale et de tenir compte de ce critère pour raisonner la date de récolte.
Certaines années, une climatologie pluvieuse à l’approche des vendanges peut effectivement créer un effet de dilution dans les baies responsables de la chute brutale des teneurs en sucre et d’acidité, et l’équilibre qualitatif de la future récolte se trouve alors fragilisé. La décision de déclencher ou pas la récolte ne peut pas être gérée à l’échelle d’une grande région et c’est l’observation du comportement des parcelles qui doit être privilégiée.
Le TAV joue un rôle secondaire sur la stabilité biologique
Dans les vins, le titre alcoométrique constitue un facteur limitant pour le développement des micro-organismes et, par voie de conséquence, il joue un rôle important sur la conservation. Ce principe ne s’applique malheureusement pas sur le Pineau car les bactéries responsables des altérations possèdent une bonne « résistance » à l’alcool. Les travaux de la Station viticole n’ont pas permis de mettre en évidence le rôle du TAV sur le développement des populations de bactéries. Mme C. Roulland n’a constaté l’incidence des TAV sur les deux espèces de bactéries présentent dans le Pineau que de façon ponctuelle. La sensibilité bactérienne ne s’est révélée que sur des échantillons dont le TAV était supérieur à 20 % ; or, aucun Pineau dans la région n’est muté à ce niveau de richesse alcoolique. Les approches effectuées sur les autres échantillons qui présentaient une plage de TAV comprise entre 16,4 % et 18,4 % vol. n’ont jamais permis de valider l’effet positif de TAV supérieur à 17,5 % vol. Les Pineaux élaborés à des TAV compris entre 17,5 et 18 % vol. ne possèdent pas une capacité suffisante à résister aux altérations et la teneur en alcools plutôt forts ne fera que « modérer » l’effet pH élevé.
Les recherches ont aussi mis en évidence que quelques lots de Pineaux semblent réfractaires à la multiplication bactérienne alors que leurs niveaux de Ph élevés y sont favorables. Cela laisse à penser que d’autres éléments (comme peut-être une situation de carence en vitamines ou éventuellement la présence de composés inhibiteurs de la multiplication des bactéries…) doivent interférer sur la stabilité biologique des Pineaux. L’état actuel des travaux scientifiques n’a pas permis d’avancer sur ce sujet qui concerne tout de même un nombre limité d’échantillons.
Un effet antiseptique du soufre sur les populations de bactéries
Le soufre est un produit œnologique ancien dont l’utilisation lors des vinifications et de la conservation des vins demeure encore de pleine actualité. Cet adjuvant reste incontournable car il possède à la fois une action antiseptique et des effets antioxygènes et antioxydasiques. L’utilisation du soufre pour la production de Pineau des Charentes était interdite jusqu’en 1998, mais, pour faire face aux problèmes rencontrés au cours de l’élevage et du vieillissement, les professionnels ont obtenu l’autorisation de l’utiliser. Cela correspondait à une attente justifiée principalement pour la production de Pineaux rosés à la fois pour stabiliser la couleur et pallier un pH faible lors de la conservation. Les travaux de recherches conduits par Mme C. Roulland en justifient pleinement l’intérêt pour endiguer le développement des flores de bactéries. Des apports de 40 mg/l de SO2 total permettent d’obtenir une bonne efficacité antiseptique sur l’espèce de bactérie la plus fréquente et la plus dangereuse, la Lactobacillus fructivorans. Cependant, l’utilisation du soufre doit être gérée à la fois avec mesure et efficacité compte tenu « de sa rémanence » antiseptique limitée dans le temps et des risques organoleptiques liés à l’utilisation de trop fortes doses. Dans un produit riche en sucres comme le Pineau, le soufre libre se combine rapidement et comme l’efficacité antiseptique repose uniquement sur la teneur en soufre libre, l’appréciation de la vitesse de combinaison est déterminante.
Les expérimentations ont permis de démontrer le rôle positif d’un apport de soufre de 40 mg/l de SO2 total sur des lots en début de fermentation malolactique. Le sulfitage permet de bloquer le processus (en détruisant les bactéries) et d’éviter ponctuellement une augmentation importante d’acidité volatile. Néanmoins, la combinaison du soufre étant rapide, l’efficacité antiseptique de ce sulfitage « d’urgence » sur une nouvelle contamination bactérienne reste très limitée. Il convient ensuite d’isoler ces lots à risque et de les suivre très régulièrement sur le plan analytique.
Une gestion raisonnée et raisonnable des sulfitages
L’approche pour des lots de Pineaux sains peut être abordée d’une manière très différente et actuellement il existe en quelque sorte « deux écoles » pour la gestion des sulfitages. La première consiste à minimiser et à retarder le plus tard possible l’utilisation du soufre dans le cycle d’élevage des Pineaux. Plus concrètement, les apports de soufre seront réservés soit au moment où les FML se déclenchent (mais faut-il que les producteurs s’en aperçoivent à temps), soit seulement juste avant la mise en bouteille sur des lots parfaitement sains. Au moment de la mise en bouteille, un sulfitage sur la base de 20 mg/l n’a pas d’incidence gustative et procure une efficacité antiseptique significative. La deuxième approche consiste à apporter de manière préventive trois à quatre fois par an de petites doses de soufre total de 20 à 30 mg/l. Les deux approches doivent aussi être modulées en fonction de la nature des productions et des durées de vieillissement.
Par exemple, sur des Pineaux blancs, des ajouts de soufre trop fréquents ont tendance à diminuer la complexité aromatique des productions et à gêner leur évolution au cours du vieillissement. L’apport de soufre peut être utile en cas de macérations pré-fermentaires (pour les cépages blancs ou rouges) et de débourbages des moûts avant mutage. Sur les Pineaux rosés, un sulfitage raisonné et raisonnable contribue à favoriser une meilleure conservation des arômes de fruits rouges (la fraîcheur) et de la couleur, et, par ailleurs, leur durée d’élevage est en général plus courte. Néanmoins, il ne faut pas considérer que le soufre est un moyen « miracle » pour gérer la conservation des Pineaux car les sulfitages conduisent à la formation de produits successifs de combinaison dont les constituants finals sont des sulfates. Le dosage des sulfates représente un excellent marqueur des doses de soufre utilisées au cours de la chaîne d’élaboration. Une utilisation trop intense du soufre provoque une augmentation des teneurs en sulfates et à un certain niveau de concentration ce constituant provoque des déviation organoleptiques, et notamment l’apparition de saveur saline et un assèchement de la structure des Pineaux.
Seule la flash pasteurisation à 80 °C détruit les bactéries
Face à une altération bactérienne, le moyen le plus sûr de détruire les populations de bactéries est bien sûr la flash pasteurisation. Les deux espèces de bactéries résistent assez bien à la chaleur et l’idéal est de chauffer le liquide à 80 °C pendant 20 secondes pour obtenir une bonne efficacité. Seules les grosses unités de production sont équipées de ce matériel. Cette technique n’est pas accessible à la plupart des viticulteurs indépendants, sauf peut-être au travers de prestataires de services. Plusieurs coopératives et négociants de la région ont intégré la flash pasteurisation dans leur process de préparation des Pineaux à la mise en bouteille. Les filtrations stérilisantes ne semblent pas adaptées à la nature du Pineau des Charentes. Pour avoir une bonne efficacité, elles doivent être très serrées et cela entraîne une modification de la structure colloïdale. La mise en œuvre des filtrations occasionne des phénomènes de colmatage rapides et surtout une dégradation des caractéristiques organoleptiques (une perte de structure et de complexité aromatique).
Le bois est un hôte convoité par les bactéries
La prévention des accidents bactériens repose principalement sur deux choses, un suivi de la maturité de la vendange tenant compte des teneurs en acidité totale et du pH, et une très bonne hygiène au niveau des logements bois. En effet, les bactéries se conservent dans le bois à la fois en surface au niveau du tartre mais aussi un peu plus en profondeur au niveau des fibres des douelles. Cette capacité des bactéries à « s’incruster dans le bois » est une notion un peu nouvelle dont les producteurs de Pineaux n’ont pas toujours pris la juste mesure.
En effet, pendant très longtemps, le caractère intrinsèquement stable des Pineaux mutés entre 17,5 et 18 % vol. avaient peut-être fait passer au second plan les aspects d’hygiène des contenants bois. Pour beaucoup de producteurs, le fait d’aviner les fûts et les foudres avec les eaux-de-vie utilisées pour le mutage représentait aussi un acte antiseptique suffisant et sécurisant vis-à-vis d’éventuelles altérations bactériennes. Or, les logements bois deviennent des hôtes idéaux pour les bactéries dès que ces contenants sont vides, et ce n’est pas la présence de quelques dizaines de litres d’eaux-de-vie qui va permettre de contrôler les populations de bactéries.
Dans le cadre des études sur la maîtrise des contaminations de populations de bactéries, des essais de nettoyage de fûts ayant contenu des Pineaux altérés ont été réalisés par M. Bernard Galy, de la Station viticole du BNIC. L’objectif était de tester différentes approches de nettoyage et de désinfection, et aussi de définir une procédure d’hygiène pour les logements bois. Un protocole de nettoyage et de désinfection a été appliqué sur des fûts contaminés et les comptages de bactéries ont été réalisés dans les différentes eaux de rinçage. La concentration en bactéries dans les premières eaux de rinçage après un simple lavage à l’eau (pour éliminer les souillures) est nettement inférieure à celle des secondes eaux de rinçages recueillies après un nettoyage et une désinfection. Cela atteste bien de l’efficacité du nettoyage et de la désinfection qui ont en quelque sorte « décollé » les bactéries accrochées dans les fibres du bois. Après la phase de nettoyage-désinfection, un traitement à la vapeur à 90 °C a été réalisé pendant environ 30 minutes, ce qui a permis d’obtenir une bonne pénétration dans les 5 à 8 premiers millimètres de l’épaisseur des douelles.
Les eaux récupérées lors du traitement à la vapeur sont très colorées et riches en microorganismes, ce qui atteste du phénomène de pénétration en profondeur de l’opération. Par contre, les contrôles sur eaux de rinçage après le passage à la vapeur révèlent des concentrations en bactéries faibles, ce qui conforte le bien-fondé de ce traitement en matière de maîtrise des populations bactériennes.
La maîtrise de l’hygiène des logements bois nécessite de la rigueur
Les logements bois utilisés uniquement pour élever des Pineaux sains sur le plan microbiologique doivent être entretenus avec beaucoup de rigueur car l’hygiène du bois est délicate à réaliser compte tenu des propriétés de ce matériau, rugueux, poreux, absorbant et naturellement difficile à nettoyer et à rincer.
La première opération consiste à éliminer par un lavage à l’eau toutes les souillures organiques qui se déposent sur les parois et le fond des fûts et des foudres. La qualité du rinçage des barriques est souvent difficile à apprécier, mais l’utilisation de cannes de lavage équipées de mireur facilite grandement cette opération. Il existe aussi des cannes avec des buses rotatives (reliées à un groupe haute pression) qui permettent de nettoyer plus efficacement les parois. Dans les tonneaux, le fait de pouvoir pénétrer dans le contenant permet de laver efficacement en utilisant de l’eau froide ou chaude sous pression. Des produits détartrants peuvent être employés pour réaliser simultanément le nettoyage et le détartrage en prenant le soin d’utiliser des spécialités commerciales spécifiques au bois à base de carbonate de soude (soude tamponnée) et d’adjuvant comme des séquestrants et des tensio-actifs. Il ne faut absolument pas utiliser des spécialités détergentes et désinfectantes destinées à l’entretien des chais et de la cuverie, car leur formulation les rend impossibles à rincer sur un matériau comme le bois. Les fournisseurs de produits œnologiques commercialisent tous des solutions spécifiques pour l’entretien des logements bois avec un cahier des charges pour l’utilisation.
Les traitements de désinfection doivent être réalisés de préférence avec de l’acide péracétique (de l’eau oxygénée) et du permanganate de potassium suivi d’un rinçage à l’eau sulfitée. L’utilisation de produits à base de chlore et d’ammonium quaternaire est à proscrire car leur capacité de pénétration dans le bois les rend impossibles à rincer. Le meilleur moyen d’assurer une bonne désinfection étant un passage à la vapeur pendant au moins trente minutes, mais peu d’exploitations en sont aujourd’hui équipées. Si les fûts sont conservés vides pendant plusieurs mois, leur méchage s’avère indispensable pour créer à la surface et dans la première épaisseur des douelles une barrière antiseptique vis-à-vis des micro-organismes. Le méchage doit être renouvelé régulièrement tous les deux à trois mois et avant l’utilisation de la barrique, un rinçage à l’eau est conseillé.
L’acide L-lactique, un marqueur de démarrage de l’activité bactérienne
La mise en œuvre d’un suivi analytique régulier sur l’ensemble des stocks de Pineaux représente aussi un moyen efficace de suivre l’évolution qualitative des productions au cours de l’élevage. Le dosage de l’acidité volatile deux fois par an (au printemps et à l’automne) ne permet de constater que les conséquences de l’activité des bactéries à postériori. Cela permet d’isoler rapidement les lots en début d’altération, de les traiter et de procéder à une désinfection des logements bois. Cette approche d’appréciation sélective de la stabilité microbiologique d’un stock, bien qu’elle soit intéressante sur le plan de la connaissance qualitative et de l’hygiène des logements bois, n’est pas réellement préventive et cela a incité Mme C. Roulland à pousser la réflexion plus loin. En effet, dans le déroulement de la fermentation malolactique, il s’avère que l’augmentation des concentrations en acide L-lactique traduit une présence de populations de bactéries. L’acide L-lactique est un marqueur précoce de l’activité bactérienne permettant d’identifier le démarrage d’une altération bactérienne et l’augmentation de sa teneur précède la formation d’acidité volatile. Le dosage de ce composé doit permettre de mieux gérer les sulfitages en optimisant l’efficacité antiseptique de ce composé sur les populations de bactéries. Plus concrètement, cela permet de réaliser le sulfitage avant que les bactéries ne provoquent une augmentation des teneurs en acidité volatile. Les unités de production équipées de matériels de pasteurisation peuvent aussi détruire les populations de bactéries en utilisant ces matériels. Certains œnologues ont intégré le dosage de l’acide L-lactique dans leurs approches de suivi analytique des Pineaux.
Un test simple, fiable et peu coûteux de détection de la présence des bactéries pendant la phase d’élevage
D’autres pistes de recherches ont été exploitées notamment pour essayer de mettre au point des tests rapides d’identification des lots de Pineaux à risque. La présence des deux espèces de bactéries contaminantes dans les lots de Pineaux constitue un facteur de risque d’altération microbiologique dans la mesure bien sûr où les conditions permettent d’envisager un développement des populations. Mme C. Roulland a eu l’idée d’utiliser cette notion pour créer un test simple de détection de la présence des bactéries à partir d’un milieu de culture spécifique obtenu dans les laboratoires de la Station viticole du BNIC. L’apport de 15 ml de Pineau sur ce milieu de culture, maintenu pendant 3 à 4 semaines dans une ambiance de 20 à 25 °C, permet le développement des bactéries au bout de 10 jours environ si les micro-organismes sont effectivement présents dans le lot testé.
Les expérimentations ont permis de valider cette démarche qui constitue un moyen préventif d’identifier la présence d’agents contaminants. Le coût de test est aussi très accessible, ce qui ouvre de nouvelles possibilités aux œnologues dans leurs approches de suivi analytique préventif. En effet, des démarches de contrôles qualitatifs préventifs se mettent en place en s’appuyant sur divers dosages, l’acidité volatile, le pH, l’acide L-lactique et le test de présence d’agents contaminants. C’est un moyen d’anticiper le risque d’apparition d’éventuelles altérations microbiennes et de gérer plus finement le suivi qualité des stocks. La quantification des différents facteurs de risque en matière de conservation des Pineaux représente une avancée technique importante.
Un test de stabilité microbiologique par Épifluorescence au moment de la mise en bouteille
Une autre approche microbiologique a été développée à partir de la technique d’épifluorescence pour contrôler les populations de bactéries dans les phases de finition des Pineaux juste avant la mise en bouteille, c’est-à-dire après les opérations de collage et de filtration. Le test ne détecte les bactéries qu’à partir d’un niveau de concentration en micro-organismes (100 micro-organismes/ml). Cela signifie que si le test se révèle négatif, des bactéries à faible concentration peuvent être présentes dans les Pineaux.
Néanmoins, les expérimentations ont révélé que le risque de déroulement ultérieur des FML en bouteilles était peu fréquent quand le test est négatif et cela constitue un gage de bonne conservation. A l’inverse, des résultats de tests positifs attestant de fortes teneurs en bactéries représentent un risque pour la bonne conservation du produit dans le temps.
Il semble que la technique d’épifluorescence permette aussi d’identifier, parmi les bactéries vivantes, celles qui sont dans un état de latence et celles qui sont dans une phase de multiplication active. Le seul inconvénient de ce test d’appréciation du risque de stabilité microbiologique est son coût élevé et apparemment, seuls un ou deux gros opérateurs de la région l’ont intégré dans leurs démarches d’assurance qualité au niveau de la mise en bouteille.
Bibliographie :
– Mme Claudie Roulland, microbiologiste de la Station viticole du BNIC.
– M. Bernard Galy, œnologue à la Station viticole du BNIC.
– MM. Joël Micheaud et Christian Guérin, œnologues.
– M. François Thibault, maître de chais d’UNICOOP.