La période des assemblées générales s’avère être celle des bilans, des bilans chiffrés. Seulement, formalisés par Alfred Sauvy, « les chiffres sont des êtres fragiles qui à force d’être torturés finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire ». Le triptyque de la FEVS, Fédération des Exportateurs de Vins et de Spiritueux, Philippe Castéja (président directeur général de la maison bordelaise Borie-Manoux), Antoine Leccia (président de la FEVS et d’Advini) et Patrice Pinet (président de la maison de Cognac Courvoisier et président du Syndicat des Maisons de Cognac, SMC) a décortiqué le bilan 2018 des exportations des vins et spiritueux français le 13 février dernier.
Dans les locaux de la Maison des Polytechniciens, dans le 7e arrondissement de Paris, la FEVS, présidée par Antoine Leccia, a présenté les résultats du bilan 2018 des exportations françaises en terme de vins et de spiritueux, exercice marqué par la « très faible récolte 2017 ».
Deuxième poste à l’exportation national, après l’aéronautique et devant les parfums et cosmétiques, les précieux flacons français présentent quelques lignes à retenir :
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chiffre d’affaires de 13,2 milliards d’euros, en hausse de 2,4% ;
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volume de vente de 193 millions de caisses, en baisse de 2,7% ;
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un excédent de 11,7 milliards d’euros, en hausse de 1,7%.
Qualité et quantité donc, avec une tendance à la qualité. Ainsi, le chiffre d’affaire à l’exportation franchit pour la première fois les 13 milliards d’euros, par la grâce d’une quatrième année consécutive d’augmentation. Une certaine rareté dans la production, conséquence de la petite récolte 2017, fut compensée par la valorisation croissance des bouteilles exportées, en vin comme en spiritueux.
Sérénité et prudence, le dynamisme des interprofessions
Dans un pays en proie aux crises sociale et économique, et encore plus dans une agriculture en proie à toutes les difficultés (suicide des professionnels, concurrences étrangères farouches, question de santé des sols et de santé publique, désamour de certaines filières… liste non exhaustive), la FEVS affiche sérénité et prudence. « Nous sommes confiants dans la capacité de nos produits à répondre aux demandes et attentes des consommateurs. Mais le climat d’incertitude actuel nous rend particulièrement vigilants du fait de notre présence croissante sur les marchés du grand export », précise Antoine Leccia. La politique américaine et ses choix géostratégiques (économiques et en relations internationales) ne posent, pour le moment, pas de soucis quant à la consommation de Cognac, ce dernier surfant sur la tendance sur les alcools bruns, les malts, les bourbons, la tequila. « Sans être seul, le Cognac est dans une bonne position de croissance. Nous profitons de la mode des produits premium sur le marché américain », détaille Patrice Pinet.
Inquiétudes géopolitiques, l’expérience de l’Histoire
Le lien historique entre les productions raffinées françaises et le monde américain ne se dément pas. Premier consommateur, les États-Unis pèsent pour près d’un quart dans les exportations et plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’Amérique du Sud reste en retrait, sous les 200 millions, notamment en raisons « des incertitudes économique et politiques au Brésil (-19%) ». Si les Saxons tirent les Latins, tout au long de son histoire, le milieu des vins et spiritueux a su s’adapter, comme récemment aux mesures anti-ostentation mises en place par le gouvernement chinois en 2013, qui a ralenti un temps, les exportations dans l’Empire du Milieu.
Le cas de la Chine reste à la fois emblématique et particulier. Si de manière brute le marché chinois perd 14% de sa valeur, il est compensé par ses plaques tournantes d’optimisation fiscale, Singapour (+8%) et Hong-Kong (+12 %), permettant au trio d’Extrême-Orient de combiner 2,5 milliards d’euros. « Les fondamentaux des vins et spiritueux en Chine sont bons de manière générale, avec des réseaux de distribution qui se sont bien structurés, avec des villes qui ont été touchées. Nous attentons de nouveaux consommateurs. Donc, sur le moyen et le long terme, nous restons confiants », détaille le Charentais. La FEVS mise sur le développement hors Shanghaï et Pékin, dans les villes secondaires et côtières du pays.
Si l’Europe reste un « marché mature », c’est-à-dire stable mais en légère baisse, en matière de consommation, le cas de la Grande-Bretagne reste particulier avec un Brexit dont les contours demeurent flous. « Les volumes ont peu évolué l’année dernière et nous avons affaire à un problème de taux de change avec la livre qui complique les ventes et les marges », explique Patrice Pinet. « Les gens dans le métier qui étaient très confiants des deux côtés de la Manche, commencent à s’inquiéter de voir qu’aucune décision n’a été prise. Le temps que les politiques se mettent en place. Les marchands anglais étaient très sereins jusque fin de l’année dernière, nous voyons poindre une inquiétude », résume-t-il. Il s’agira là, peut-être, d’un nouveau chapitre du « Cognac et des aléas de l’Histoire », comme l’écrivait Jean-Vincent Coussié. « Les incertitudes liées au Brexit ont peut-être pénalisées le marché, mais ont pu aussi des expéditions pour s’en prévenir », note Antoine Leccia dans le comportement outre-Manche (en valeur : -0,6% pour le vin, -7,1% pour les spiritueux).
Des alcools pas comme les autres ? La France, un pays comme les autres ?
Pendant que les exportations tournent au gré des réalités géopolitiques et économiques, des goûts et des rapports de force, la souveraineté des alcools français se trouvent au cœur des questions économiques et de santé publique, jusqu’au point culture. Le 16 janvier dernier, le ministre de l’Agriculture avait déclaré au micro de RMC : « Je ne crois pas que le vin soit un alcool comme les autres », provoquant quelques discussions âpres avec le ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Évidemment, il ne s’agit pas là d’une discussion autour de la molécule alcool, mais bien de l’esprit qui semble l’appeler du fond des âges. Rebondissant sur cette petite phrase, Patrice Pinet, président de la maison Courvoisier et des Maisons de Cognac, a renchéri : « Le Cognac est également un produit culturel, l’Armagnac aussi. » La France des flacons est un produit culturel. La France est un produit culturel.
La mode des alcools bruns tire à la hausse les ventes de Cognac, mais a également un impact sur les autres spiritueux. Le Rhum continue de bondir, avec près de 2,7 millions de caisses vendues (+ 9,3%) pour un plus de 7 millions d’euros de vente (+ 14,4%), quand la Vodka se stabilise à 12,2 millions de caisses mais une perte 3,2% en valeur, à près de 350 millions d’euros. Mais outre ces modes, Antoine Leccia table sur une force commune : « Nous faisons des beaux produits qui sont à mettre en valeur vis-à-vis des consommateurs. On ne va pas dénigrer l’un par rapport à l’autre, nous faisons des produits de grande qualité. Il y a un savoir-faire, une authenticité, une typicité faisant la force. » Et le futur développement, comme l’Afrique, nouvel horizon pour la FEVS. « L’Afrique du Sud et le Nigéria sont des pays en pleine croissance, dans un continent avec un pouvoir d’achat qui augmente », décrit, quant à lui, Patrice Pinet.
La diversité du Cognac, le digestif et les cocktails
Sans changer sa nature, l’eau-de-vie charentaise a vu son de consommation se diversifier. Patrice Pinet explique cette évolution par un détournement du classicisme vers une diversité autour du bar.« Nous sommes très présents en Angleterre où les gens buvaient leur cognac traditionnellement dans le pub. Désormais, ils viennent davantage de clientèles plus jeunes, qui boivent sous forme de cocktail haut de gamme. Le Cognac a toujours été considéré comme un digestif en France et nous ne buvons plus de digestif. Demain pouvons-nous nous repositionner sur des modes de consommation différents ? Cette nouvelle tendance se trouve à Paris, un peu importée d’Angleterre, dans cette montée des bars à cocktails » décortique-t-il.
Le soutien national ? Un souhait de la FEVS
Dans un contexte géopolitiquement mouvant et économiquement pluriel, les flacons français jouissent toujours d’une image très qualitative et très enracinée. Sous la pression de nombreux rachats de marques, de châteaux, de domaines, par des capitaux étrangers, la FEVS compte « sur le soutien et l’action des pouvoirs publics pour accompagner nos entreprises face aux enjeux présents et à venir. Nous attendons en particulier un renforcement de l’action diplomatique et régalienne de l’État, que lui seul peut conduire, afin de poursuivre la dynamique d’ouverture des marchés et de valorisation de l’image des vins et spiritueux français. »
Alors que la perte de souveraineté pluri-décennale de l’État français s’intensifie (voir le livre de Laurent Izard, La France vendue à la découpe), cet appel pourrait davantage résonner, quand il est l’écho du deuxième poste d’exportation national (+1,7% à 11,7 milliards d’euros). Dans le premier numéro du Paysan, juin 1925 (!), Pierre Lucquiaud écrivait déjà qu’il était « un des plus dévoués partisans de l’union de toutes les bonnes volontés de ce pays ». Sur les terres de la fille aînée de l’Église, tout ce qui attrait à la vigne et au calice restera toujours particulier.
La difficulté des « petits » Bordeaux
Si dans les périodes fastes même les petits peuvent trouver des deniers, lors des disettes le dicton disant qu’on ne prête qu’aux riches s’intensifie. Ainsi en est cette règle universelle, ainsi en est pour le Bordelais. « La petite récolte 2017 a provoqué une hausse des prix de 15 à 20% », précise Philippe Castéja, président-directeur général de la maison Borie-Manoux. Par ce manque de volume, les vins de Bordeaux d’entrée de gamme ont perdu des parts de marchés alors que la consommation en Chine a augmenté. « La baisse des volumes importants sur certains marchés est due à l’entrée de gamme, le chiffre d’affaires n’a pas baissé d’une façon aussi importante », explique le négociant.
La récolte 2018 a, quant à elle, subi la grêle du 26 mai dernier, et les mouvements économiques de Pékin. « En 2018, il y a eu des resserrements de crédit extrêmement importants. Les entreprises chinoises ont dû faire attention, il y a eu des baisses de stock qui ont été opérées. Elles ont occasionné un ralentissement. Pour Bordeaux intramuros, la hausse du cours a rendu certains marchés plus compliqués, car il faut intégrer toutes les taxes. Il y a eu un écart assez important avec les autres produits. Par la hausse des cours qui a été répercuté sur 2018, les ventes ont vraiment tassé. »
Toutefois, Philippe Castéja tempère cette dynamique morose. « Malgré la baisse de stockage, la croissance du marché est toujours là. Je ne suis pas inquiet. Le millésime 2018 est d’une très grande qualité, nous jouissons d’une image extrêmement sérieuse des produits français, une confiance importante du consommateur, un goût qui correspond au palais chinois. Il y a encore des grands points de croissances disponibles sur ce marché. »
Viêt Nam : sept ans de bonheur ?
Dans le cadre du développement du marché asiatique, la FEVS voit d’un œil gourmand les négociations entre l’Union européenne et le Viêt Nam pour l’accord de libre-échange prévu à partir de 2019, un démantèlement des taxations douanières prévu sur une durée de sept années. Philippe Castéja le précise : « Nous attentons beaucoup, comme tout le monde, des nouveaux accords de libre-échange, et ce sera extrêmement important pour les vins et spiritueux français, qu’il y ait quelque chose qui se passe au Viêt Nam. Il y a un marché important qui va se développer, avec une population jeune et qui a envie de consommer. »
De son côté, Antoine Leccia, explique que « les négociations sont terminées et il est à la phase de ratification et d’adoption par le Parlement européen. Mais avec le calendrier du Parlement européen, il n’est pas certain qu’il soit ratifié avant la fin de cette mandature, ce qui pourrait conduire à la différer jusqu’à octobre, lorsque le prochain Parlement sera accepté. C’est un gros marché, plus de 100 millions d’habitants, des barrières tarifaires qui sont importantes, autour de 50% des tarifs, sans compter les taxations internes. »
Le texte n’est pour le moment disponible qu’en anglais sur le site des douanes. La traduction française est à venir.