Qu’ont donné les derniers échanges entre les filières cognac et armagnac et les autorités françaises ?
Obtenues le 17 septembre 2024, à la suite de la forte mobilisation de la filière cognac, dont la dernière sortie dans la rue datait pour rappel de 1998, deux rencontres importantes avaient lieu ces 24 et 25 septembre dans le but de défendre une nouvelle fois le dossier des eaux-de-vie de vin européennes, cognac et armagnac en tête, aujourd’hui acculées par une enquête antidumping portée par la Chine en représailles aux (peut-être) imminentes surtaxes imposées sur les véhicules électriques chinois importés sur le marché européen.
Matignon le 24, Elysée le 25, avant d’obtenir quoi que ce soit, il s’est d’abord agi de présenter ou de rappeler l’empreinte économique de la filière cognac, de ses hommes, ancrés dans « la réalité » et sur un territoire, tous connectés et liés au sein d’un écosystème local et interdépendant représentant 15 000 emplois directs et 70 000 emplois indirects, générateurs de revenus et de vie, et qui, peut-être loin de la capitale et de ses arcanes dirigeantes, n’en sont pas moins une partie de la France et de ses actifs présents dans pas moins de 736 communes en local.
Plus qu’une partie de la France même, un symbole de cette dernière à l’étranger, jouissant d’une notoriété appréciée autant qu’elle expose, un atour affiché, offert, faisant partie de toutes les fêtes, vanté pour son excellence, son authenticité, son raffinement.
Une image de la France que l’Etat aime à diffuser, à exporter au moins autant que la part représentée par ces produits dans une balance commerciale française qui échoue à se redresser. Et à ce jeu-là, la filière accepte d’y participer, honorant toujours sa part d’un contrat tacite, diplomatique, ouvrant les portes de ses chais autant de fois qu’elle est sollicitée. Et c’est sans compter ici le rayonnement induit pour la France sur les marchés, un bénéfice collatéral lui permettant de jouir des investissements marketing et de la présence de marques portant ces mêmes valeurs auprès d’une clientèle, pour rappel, à 98 % internationale.
C’est dans ce contexte mais toujours fière et prête à contribuer à son échelle au rayonnement des savoir-faire français qu’elle défend par ailleurs au travers d’une appellation d’origine attachée à un territoire, que la filière redoute aujourd’hui et plus que jamais une décision hâtive de l’Etat français dont les conséquences auraient mal été appréhendées.
Point à date et échanges avec Raphaël Delpech, directeur général du BNIC.
Le Paysan Vigneron : Qu’attendiez-vous raisonnablement de ces deux rendez-vous ?
Raphaël Delpech, directeur général du BNIC : Nous souhaitions avoir la certitude que la réalité du risque qui pèse aujourd’hui sur nos filières cognac et armagnac, mais aussi sur nos territoires, était bien mesurée à son juste niveau au sein de la nouvelle équipe gouvernementale. [NDLR : Le nouveau Premier Ministre, Michel Barnier n’a été nommé que le 4 septembre 2024, pour un gouvernement composé et présenté le 21 septembre dernier, soit quelques jours à peines avant les échanges.]
Cette équipe, qui est au pouvoir depuis peu, hérite d’un dossier complexe sur lequel nous avons déjà le sentiment d’avoir échangé de nombreuses fois sans être écouté. S’il ne nous faut pas repartir de zéro aujourd’hui, il nous faut nous assurer que la mesure de l’enjeu est bien prise. Le dossier a été engagé par le précédent gouvernement, mais la décision reviendra au nouveau qui en prendra la responsabilité, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour nous.
Le Paysan Vigneron : Avant ces échanges, la filière se sentait abandonnée par le gouvernement, prête à être sacrifiée. Avez-vous senti une évolution quant à la posture adoptée ? Quelle position tenez-vous par ailleurs vis-à-vis du secteur automobile ?
Le Paysan Vigneron : Qu’attendiez-vous raisonnablement de ces deux rendez-vous ?
Raphaël Delpech, directeur général du BNIC : Nous souhaitions avoir la certitude que la réalité du risque qui pèse aujourd’hui sur nos filières cognac et armagnac, mais aussi sur nos territoires, était bien mesurée à son juste niveau au sein de la nouvelle équipe gouvernementale. [NDLR : Le nouveau Premier Ministre, Michel Barnier n’a été nommé que le 4 septembre 2024, pour un gouvernement composé et présenté le 21 septembre dernier, soit quelques jours à peines avant les échanges.]
Cette équipe, qui est au pouvoir depuis peu, hérite d’un dossier complexe sur lequel nous avons déjà le sentiment d’avoir échangé de nombreuses fois sans être écouté. S’il ne nous faut pas repartir de zéro aujourd’hui, il nous faut nous assurer que la mesure de l’enjeu est bien prise. Le dossier a été engagé par le précédent gouvernement, mais la décision reviendra au nouveau qui en prendra la responsabilité, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour nous.
Le Paysan Vigneron : Avant ces échanges, la filière se sentait abandonnée par le gouvernement, prête à être sacrifiée. Avez-vous senti une évolution quant à la posture adoptée ? Quelle position tenez-vous par ailleurs vis-à-vis du secteur automobile ?
Raphaël Delpech : L’équation n’était pas pour nous d’être dans la confrontation avec le secteur automobile. [NDLR : Les constructeurs européens de voitures électriques sont aujourd’hui plus que jamais dans une situation économique défavorable. Avec l’interdiction des ventes de véhicules thermiques dans l’UE à l’horizon 2035, votée définitivement en 2023, les fortes importations de véhicules électriques inquiètent quant à l’avenir des constructeurs européens. Pour la Commission Européenne, les surtaxes annoncées qui doivent être prochainement votées par le Conseil et qui constitueraient une réponse à la menace de préjudice économique pour les producteurs de véhicules électriques à batterie de l’UE, permettraient alors une compensation tendant à rééquilibrer l’équation.] Aider ce secteur, ce n’est pas forcément se prononcer et sacrifier le cognac et l’armagnac. Une bonne politique peut parfois être une politique qui ne choisit pas et concilie. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est que le dossier a été très mal conduit depuis le départ. Mais il n’est pas trop tard.
Il faut que tout soit fait pour que cette discussion puisse aller à son terme, et il faut pour cela que le vote du conseil soit repoussé à son échéance la plus tardive, a priori et au plus tard fixée au 31 octobre. Si l’Europe devait confirmer l’imposition de ces surtaxes dans les prochains jours, tout semble indiquer que la Chine répliquerait en retour par l’imposition de surtaxes à l’importation sur l’armagnac et le cognac, et nous perdrons rapidement un marché essentiel pour nous, irremplaçable à court et moyen terme. L’impact sur nos filières et nos territoires sera immédiat et dramatique.
Le Paysan Vigneron : En plus de cette demande de report de la date du vote du conseil sur les surtaxes, une autre demande a-t-elle été formulée ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Raphaël Delpech : Nous demandons à ce qu’une solution négociée écartant l’application de toute surtaxe sur nos produits en Chine soit activement recherchée par la Commission européenne qui doit faire des propositions en ce sens. Ces demandes ont été directement transmises au Premier ministre dont la venue à Cognac, pour aborder un plan d’action à court terme devrait être prochainement organisée.
Le Paysan Vigneron : A quoi pourrait ressembler ce plan d’action ? Quels sont les leviers sur la table ?
Raphaël Delpech : Le plan d’action vise d’abord à appuyer encore un peu plus nos demandes prioritaires précédemment évoquées et qui sont entre les mains de la Commission européenne, maîtresse de l’agenda. Nous souhaitons dans ce cadre que la France impulse une dynamique au sein de l’Union pour que les négociations redoublent d’intensité et que le cognac, l’armagnac et les autres eaux-de-vie de vin européennes soit sortis, définitivement sortis, d’une équation qui ne les concerne pas. Nous nous retrouvons là parce que-nos produits ont une forte charge symbolique, ils sont les porte-étendards de notre pays. Si à une époque nous étions protégés par les accords conclus dans le cadre de l’OMC, nous avons finis par les oublier avec les contentieux. Cela a commencé avec la surtaxation des spiritueux américains par l’Union Européenne et les représailles qui s’en sont suivies, et toujours nos filières, au milieu de conflits avec lesquels elles n’ont rien à voir.
« Nous ne voulons pas aujourd’hui envisager des arbitrages qui seraient manichéens et douloureux. »
Le Paysan Vigneron : La Commission européenne a déposé le 24 septembre une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, contestant l’enquête antisubventions menée par la Chine à l’encontre du secteur laitier européen. Il s’agit d’un fait inédit s’agissant de la précocité de la plainte comparée au stade de l’enquête. Pourquoi n’a-t-elle pas engagé une procédure similaire s’agissant de l’enquête sur les eaux-de-vie de vin européennes ? Est-ce à l’ordre du jour ?
Raphaël Delpech : Il s’agit d’une hypothèse que nous avons évoqué à plusieurs reprises Si nous l’avons bien en tête, nous ne souhaiterions la mobiliser qu’en dernier recours. En effet, ce n’est que si des surtaxes devaient être appliquées à nos produits que la question reviendrait sur le devant de la scène d’autant qu’une telle plainte n’est pas aujourd’hui en mesure d’atténuer les dommages qui viendraient immédiatement avec une surtaxation de notre produit en Chine, sur nos filières et notre territoire. Ce n’est pas une priorité, tout comme d’éventuelles compensations qui ne sont pas à l’ordre du jour. Nous croyons toujours aujourd’hui pouvoir plaider notre cause et arriver à une issue favorable. Nous ne voulons pas aujourd’hui envisager des arbitrages qui seraient manichéens et douloureux.
Le Paysan Vigneron : Quelques grandes maisons de cognac sont en ce moment auditées par les autorités sur leurs sites charentais. Pouvez-vous, en deux mots, expliquer comment se déroulent cette étape de la procédure. Quel est son objectif ?
Raphaël Delpech : Il s’agit tout d’abord d’un moment habituel de la procédure. L’Union européenne procède de même dans les enquêtes qu’elle est amenée à conduire. Ce sont des enquêtes complexes, précises, tatillonnes, et donc des moments redoutés. Des fonctionnaires du ministère chinois du commerce se déplacent en effet ces jours-ci dans lieux identifiés en amont et signalés. Ce sont des lieux appartenant à ces quelques maisons de cognac qui ont été sélectionnées par le Ministère chinois du commerce dans le but de procéder à une analyse plus détaillée. Cette étape vise à obtenir des informations complémentaires et à vérifier d’autres informations.
« Nous ne pensons pas être un secteur gâté et nous espérons que ce n’est pas la perception qui prévaut dans les arbitrages à venir. »
Le Paysan Vigneron : Quel est aujourd’hui l’état d’esprit de la filière cognac ?
Raphaël Delpech : Nous n’avons jamais rien demandé, et pourtant, nous nous développons depuis des siècles à l’export. Nos viticulteurs sont des entrepreneurs qui ont toujours eu la volonté de gérer leur filière avec le négoce. Notre secteur n’est ni aidé, ni soutenu. Nous sommes un secteur agricole et viticole dynamique, innovant, qui génère de la valeur et qui la partage. Nous ne pensons pas être un secteur gâté et nous espérons que ce n’est pas la perception qui prévaut dans les arbitrages à venir.
En ignorant cette réalité, notre réalité, le gouvernement lâcherait un pan tout entier de l’économie réelle au bénéfice de paris industriels, qui, probablement très légitimes, pourraient être réglés autrement. Des solutions existent, et elles ne nécessitent pas de nous sacrifier.
Michel Barnier, Premier ministre depuis le 5 septembre dernier, pourrait se déplacer à Cognac dans les semaines à venir pour prendre toute la dimension du dossier Chine, à la rencontre d’une filière cognac aujourd’hui prise en étau.
© : Service photographique de Matignon / Alexandra Lebon