Extournement obligatoire de 15 % du vignoble

25 février 2009

La Charente-Maritime, soudée sur le dossier, fait de l’extournement obligatoire de 15 % du vignoble à d’autres productions que le Cognac, un élément central de sa réflexion. Président du SVC (Syndicat des viticulteurs charentais), Didier Braud exprime cette position, également portée par Jacques Maroteix, président de la Chambre d’agriculture 17.

 

didier_braud.jpg« Revue Le Paysan » – Pourquoi manifestez-vous une telle détermination autour des 15 % ?

Didier Braud – La défense des 15 % d’extournement obligatoire pour tous les viticulteurs découle d’une approche terrain. On ne puise pas les idées derrière un bureau mais parmi ceux qui vivent la réalité. Appliquée à la viticulture, on pourrait presque dire que c’est la prise en compte de la « France d’en bas ». La crainte des viticulteurs de Charente-Maritime, c’est de voir s’instaurer une partition de la zone Cognac, entre des régions qui ne vivraient que du Cognac alors que d’autre seraient abandonnées à l’arrachage ou aux « autres débouchés ». Nous croyons pourtant que la qualité du Cognac naît de ses assemblages et que chaque cru a sa place, même si le négoce s’emploie aujourd’hui à nier les crus pour des questions de prix. Mais qui peut dire aujourd’hui comment évoluera le goût du consommateur. Peut-être aura-t-il envie demain de Cognacs plus typés ?

« R.L.P. » – Etes-vous contre le principe d’affectation des parcelles défendu par le SGV Cognac ?

D.B. – Comment être contre dans la mesure où c’est le PRAV lui-même qui en avait lancé l’idée, idée qui fut reprise et retravaillée par la suite pour aboutir au projet d’avenir viticole 2010.

« R.L.P. » – Vous souhaitez conférer un caractère obligatoire à l’affectation des surfaces. Pourquoi ?

D.B. – Tout simplement parce que nous tirons les leçons du passé. Le Plan interprofessionnel de 1998, promu par Bernard Guionnet, prônait lui aussi un extournement de 15 %, mais sous une forme libérale. Nous en avons vu les résultats. La forme incitative n’a pas porté ses fruits. Il faut en tirer les conséquences et passer à autre chose. Aujourd’hui, le mandat que nous adressent les viticulteurs est très clair : ou nous sommes efficaces ou ça n’est plus la peine. Sortir de la crise est l’affaire de tous, de l’ensemble des viticulteurs, même si certains ne sont pas disposés à faire d’efforts et préfèrent tout attendre des autres. D’ailleurs, je ne pense pas que l’extournement obligatoire de 15 % des surfaces hors de la production Cognac représente une grosse contrainte pour beaucoup d’exploitations des deux Charentes. Chez la plupart, la diversification existe déjà.

« R.L.P. » – Qu’entendez-vous par extournement ?

D.B. – Ce sont les parcelles affectées à d’autres productions que le Cognac. En font partie les parcelles de moût pour Pineau, les parcelles affectées aux vins de table, aux vins de base mousseux, aux moûts et jus de raisin, les parcelles produisant des vins de pays et bien sûr les droits en portefeuille issus de l’arrachage temporaire. S’y insère aussi l’arrachage définitif même si cet arrachage ne fait pas partie de ma tasse de thé. J’ai toujours dit que je préférais travailler pour la vie que pour la mort. L’avenir économique de notre région ne me semble pas nécessairement passer par l’arrachage. Ceci étant, il convient d’aider ceux qui veulent arrêter.

« R.L.P. » – Quel écho recueillent vos propositions auprès des autres syndicats ?

D.B. – Jusqu’à maintenant, quand j’en parlais au SGV Cognac, je recevais une fin de non-recevoir. On avançait des arguments juridiques pour me dire : « ce n’est pas possible. » Nous avons consulté un cabinet d’avocats parisiens. Il s’avère que si la profession est unanime sur le sujet, le projet peut passer. Après cette consultation juridique, on ne peut plus nous taxer d’être des utopistes. Qui mieux est, lors de la table ronde qui s’est tenue le 15 novembre dernier à l’invitation du SGV Cognac, un consensus s’est dégagé autour de l’idée des 15 %. Même le SVBC, qui était là, ne s’est pas déclaré contre. A l’unanimité, les participants de la réunion ont décidé d’envoyer un courrier commun au ministère de l’Agriculture, pour poser officiellement la question de la faisabilité juridique d’un régime obligatoire. Je souhaite que la demande soit faite de manière cohérente, avec la volonté d’aboutir et non d’échouer. La lettre commune doit porter sur ce que nous appelons le « paquet charentais », un tout indissociable entre reconversion, extournement obligatoire et arrachage définitif. C’est l’ensemble qu’il faut défendre.

« R.L.P. » – Que ressort-il de votre propre consultation juridique ?

D.B. – Les juristes que nous avons rencontrés établissent un parallèle entre la distillation de retrait de l’article 28 et la distillation de crise de l’article 30. L’OCM prévoit que des distillations de crise trois années de suite entraînent, pour l’Etat membre, l’obligation d’agir sur le structurel. Les textes ne précisent pas de quelle manière. A nous d’émettre des propositions autres que l’arrachage pour résorber la crise structurelle. Quand une région manifeste la volonté réelle de s’en sortir, en général les politiques l’écoutent et adaptent les textes en face.

« R.L.P. » – Dans votre esprit, comment fonctionnerait l’extournement obligatoire ?

D.B. – Prenons l’exemple d’une exploitation de 10 ha. Sur la base de 15 %, elle va extourner 1,5 ha de la production Cognac. Il lui restera 8,5 ha au Cognac, sur lesquels elle conservera un potentiel de 60 hl AP (10 ha x 6 hl AP/ha). Ce potentiel de 60 hl de pur, réparti sur 8,5 ha au lieu de 10, donne une QNV de 7. Au-delà de ce minimum obligatoire, le viticulteur peut extourner 20 % de son vignoble. Sur les ha restant au Cognac, il obtient une QNV de 7,5 hl AP/ha, portée à 8 hl AP/ha à partir de 25 % d’extournement. Au-delà, la QNV est bloquée à 8. Notre but n’est pas de voir se profiler des extournements à hauteur de 50 % dans une zone et seulement 15 % de l’autre.

« R.L.P. » – Dans votre approche, la QNV régionale est bloquée à 6 de pur.

D.B. – Si, au niveau individuel, la QNV varie suivant le taux d’affectation, au plan global elle est effectivement bloquée à 6 de pur, ce qui représente déjà un potentiel de production régionale de 480 000 hl AP. Tant que le structurel n’est pas verrouillé sur une surface moindre, il nous paraît hautement risqué de bouger la QNV. Imaginez une QNV de 8 de pur appliquée à 80 000 ha. Une production régionale de 640 000 hl AP serait une véritable catastrophe. Et si, un jour, les ventes partaient en flèche, nous serions toujours à même de faire évoluer les choses, par une augmentation de la QNV régionale ou par une baisse du taux d’extournement obligatoire. L’augmentation n’est pas un sujet qui m’inquiète. On arrivera toujours à le régler.

« R.L.P. » – Sur quelle durée feriez-vous porter l’extournement obligatoire ?

D.B. – Tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’une durée d’un an ne résoudrait rien. Le gros intérêt d’une affectation substantielle réside dans la fidélisation des marchés, comme les marchés de vins de base mousseux, de jus de raisins ou de vins de table. Une durée trop longue entamerait la latitude à gérer de l’exploitant. Il faut trouver un moyen terme qui permette de tenir les marchés et intéresse les acheteurs. A été évoquée une durée de 10 ans pour un extournement qui porterait sur le minimum obligatoire. Pour les viticulteurs qui souhaiteraient extourner davantage, la durée devra être plus courte pour ménager plus de souplesse.

« R.L.P. » – Croyez-vous à la réalité économique de la diversification. Le viticulteur peut-il en vivre ?

D.B. – J’ai l’exemple de ma propre exploitation. Un ha de vin de pays charentais à 75 hl vol./ha rapporte 28 000 F de l’ha. Une production de Cognac, même à 8 hl AP, payé 3 500 F l’hl AP – si je me réfère au prix moyen pratiqué dans la région – ne dégage pas plus d’argent. La diversification marque des points en Charentes. Les vins blancs de qualité, Colombard, Sauvignon, affichent des prix plus élevés que certains pays d’oc. On a vu dans les étals des vins de pays charentais rouges supplanter des bordeaux génériques. Si nous nous battons sur le terrain de la qualité, toutes les portes nous sont ouvertes.

« R.L.P. » – Dans l’hypothèse où vous n’obtiendriez pas gain de cause avec les 15 % d’extournement, qu’adviendrait-il ? Avez-vous prévu une position de repli ?

D.B. – Nous les obtiendrons. Je ne nous donne pas de position de repli. Par contre, nous sommes ouverts aux propositions. L’extournement obligatoire pourrait prendre la forme d’une affectation obligatoire des surfaces.

« R.L.P. » – L’actualité syndicale – la création du SVBC notamment – vous conduit-elle à penser que la Charente-Maritime est en position de force aujourd’hui ?

D.B. – L’arrivée d’un nouveau syndicat ne nous confère ni plus ni moins de force. Le SVC a pris une position claire vis-à-vis du SVBC en excluant de ses rangs ceux qui adhéreraient au syndicat. Je pense seulement qu’en Charente-Maritime, l’alliance forte entre FVC, FDSEA et Chambre d’agriculture donne un peu plus de poids à notre position. Tout est question de volonté.

« R.L.P. » – Si vos thèses ne passaient pas la rampe, iriez-vous au « clash » syndical ?

D.B. – Pour nous, l’intérêt de la viticulture représente un enjeu trop fort pour aller à la rupture. Nous avons tout à gagner à la négociation.

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