Interrogé sur l’actualité mondiale, Patrice Pinet, Président Directeur-Général de Courvoisier, est revenu sur la période mouvante que vit le Cognac. L’eau-de-vie charentaise continue de vivre certaines de ses plus belles heures, avec autant de perspectives joyeuses qu’incertaines, avec le marché émergent africain et les doutes qui accompagnent les suites du Brexit – ou une nouvelle page de la chaotique histoire franco-anglaise.
Comment jugez-vous l’actuelle situation internationale ?
La situation internationale est complexe. La première des choses qui nous impacte à très court terme est le Brexit, avec toujours une incertitude sur la date. La conséquence sur notre maison correspond à une légère anticipation des expéditions si toutefois il y avait des mesures de dédouanement des produits, que nous n’ayons pas de rupture de stocks sur nos marchés, à court terme. A moyen-long terme, sur les droits de douane, c’est encore trop tôt pour dire ce qu’il pourrait se passer. Les vins et spiritueux sont un enjeu économique pour la Grande-Bretagne et l’Europe. Et c’est l’intérêt d’aucune des parties de mette en place de nouvelles taxes. Je crois toujours à l’intelligence des différents protagonistes.
Beaucoup de déclarations ont été faites sur la santé du Cognac aux États-Unis et en l’Asie, notamment la Chine. Il semble que le Cognac fasse également une intégration réelle vers l’Afrique, Afrique du Sud et Nigéria notamment. Ce travail s’intensifie-t-il ?
Les marques intensifient leurs démarches commerciales sur ces pays. Notre groupe investit beaucoup sur l’Afrique du Sud, une démarche volontaire de développement sur l’Afrique en général, car il y a un potentiel de clientèle qui aime nos produits et qui a, maintenant, suffisamment de pouvoir d’achat pour les acheter.
Y a-t-il un parallèle avec la communauté noire aux États-Unis ou est-ce un goût différent ?
C’est un peu différent, pour autant il y a des modes, avec les réseaux sociaux, les voyages, une mode qui se met en place dans un pays peut plus facilement s’exporter vers d’autres. L’influence des stars de la musique, de la mode, sur la consommation est flagrante. Ce qui était beaucoup plus difficile autrefois va très vite avec les réseaux sociaux.
Quel est le type de consommation ?
Le Cognac se consomme beaucoup en Long Drink, mais il y a toujours des amateurs qui boivent le Cognac pur. C’est un marché qui s’ouvre un peu plus de part la croissance économique de l’Afrique. Tout ne va pas mal en Afrique, contrairement à une vision parfois biaisée. Il y a du développement économique, des populations qui ont du pouvoir d’achat, donc ce sont des marchés potentiels à conquérir pour le Cognac.
La mode des alcools bruns se stabilise-t-elle ?
Ils ont une richesse historique à raconter, toujours intéressante, pour les bourbons, les scotch-whiskys, les Cognac. Il y a le processus de vieillissement faisant que nous avons une élaboration de produits plus importante et plus complexe que les alcools blancs et notamment pour le Cognac. Notre capacité à faire des produits de grande qualité contribue à cette dynamique.
En tant que grande maison, quels sont vos rapports avec la viticulture, dans un allant d’augmentation parcellaire et de production intense ?
Ils sont excellents, car nous essayons chacun de comprendre les enjeux de l’autre. Nous avons une bonne écoute de part et d’autre. La viticulture prend en compte le Business Plan et les perspectives de vente du négoce, et nous fait confiance pour continuer à développer les marchés. Parallèlement, nous prenons en compte les demandes viticoles depuis plusieurs années, par rapport à un soutien, notamment sur les prix, pour accompagner la démarche environnementale, et pour accompagner toute la démarche de croissance du vignoble.
Quelles sont les bases de cette confiance dans l’avenir du Cognac ?
Nous avons confiance en à notre modèle économique et notre développement, ainsi que, en même temps, nous prenons en compte de contraintes environnementales assez fortes et de capacités de production liées à celles-ci. Il faut que nous prenions en compte ces deux sujets. Nous n’aurons pas tous les ans des rendements Cognac à 14,63. Ce n’est pas pensable. Il va falloir tenir compte des capacités de la vigne à produire, et à produire bien, en respectant toutes nos contraintes environnementales. Nous avons vu ces dernières années que nous ne sommes pas à l’abri des aléas climatiques, et en regardant sur trente ans, les cycles d’aléas semblent s’accélérer. Les années à grêle ou gel reviennent plus souvent même si elles ne touchent pas tout le vignoble. Cela revient de manière un peu plus fréquente. Nous devons le prendre en compte et les plantations des hectares supplémentaires vont servir également non seulement à alimenter les marchés mais à constituer une réserve climatique, qu’il nous faut absolument pour passer les aléas.
Où vous situez-vous par rapport aux altercations autour de l’alcool, de la culture des vins et spiritueux, qu’il y eut entre le ministre de l’Agriculture et le ministre de la Santé ?
Nous sommes toujours attentifs à ce qui se met en place par rapport au discours sur les alcools. Nous considérons qu’à partir du moment où il y a de l’alcool dans un produit, tous les produits doivent être considérés dans la même façon. C’est la quantité d’alcool que vous absorbez qui peut être néfaste, donc il faut avoir une consommation responsable, nous insistons beaucoup sur le sujet. Nos produits sont chers, le Cognac n’est pas un produit de premier prix, cela évitant une consommation immodérée. Les consommateurs prennent du plaisir avec nos produits.
Sur les différentes qualités de Cognac, y a-t-il une stratégie commune ou ciblée ?
Nous avons de tous les produits pour tous les marchés. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a des marchés, par leur mode de vie et de consommation, davantage tournés vers les jeunes eaux-de-vie. Les États-Unis sont un pays où le Cognac VS est aimé car il y a beaucoup d’instants de consommation Long Drink, donc il faut être présent sur ce segment de marché. Il faut y être présent aussi sur les segments VSOP, qui sont des produits plus élaborés, alors qu’en Chine il s’agit de l’entrée de gamme. Il faut être présent aussi sur les qualités supérieures, et également sur les niches de marchés en Europe. L’équilibre régional que nous avons aujourd’hui entre VS, VSOP, XO, nous ne le remettons pas en cause : 50% de VS, 40% VSOP, 10% XO, même cela peut évoluer. Cela fait partie des choses que nous allons observer. Nous remettons le Business Plan à jour tous les trois ans. Dans deux ans, quand nous ferons la mise à jour, il faudra regarder si nous gardons, ou non, les mêmes proportions.
Certains rachats de grandes marques françaises par de groupes asiatiques ou américains, est-ce une tendance qui vous inquiète ou vous gardez une vraie autonomie ?
Avec l’expérience de Courvoisier, cela ne m’inquiète pas. Nous sommes sous contrôle externe depuis 1909 [N.D.L.R. : Courvoisier a été racheté alors par le groupe japonais Suntory, propriétaire de nombreuses marques de vins et spiritueux, ainsi que des bières, des boissons non alcoolisées, et des aliments diététiques], cela n’a pas empêché la marque de se développer. Les grands groupes apportent une force de distribution plus importante et nous voyons aujourd’hui, que pour développer des activités au niveau mondial, il faut des forces de distribution importantes, et les grands groupes ont cette capacité-là. C’est plutôt une chance pour la région de Cognac d’avoir de tels groupes derrière pour promouvoir les produits.
Même quand le Cognac était moins flamboyant il y a une vingtaine d’années ?
Nous gardons cette force-là. Les groupes de spiritueux aiment avoir des marques Premium et les marques de Cognac en font partie, donnant une image de qualité qui est importante.
Quels sont les projets pour la maison Courvoisier dans un futur plus ou moins proche ?
Au-delà du Brexit, nous allons suivre l’actualité de très près pour voir quelles seront les conséquences, droits de douane ou pas, et l’impact sur la Livre sterling. Va-t-elle rester à son taux de parité actuelle ou va-t-elle bouger ? Nous nous sommes préparés à toute éventualité. Dans les sujets importants pour la région, Courvoisier, avec Hennessy, sommes très demandeurs de rouvrir la ligne fret ferroviaire sur la gare de Cognac. J’espère que des solutions vont être trouvées dans l’année 2019. D’un point de vue impact environnemental, cela a du sens de mettre nos conteneurs sur les rails à Cognac plutôt que de faire descendre nos camions à Bordeaux. Nous sommes actifs sur ce sujet. Cela se passe avec Naviland, qui gère le fret, qui, lui, pour relancer son activité doit la rentabiliser, et il n’avait pas suffisamment de volumes. Comment arriver à avoir un schéma économique pour relancer cela ? Je pense qu’il est dans l’intérêt de tout le monde de relancer cette activité. Il y a des choses à faire mais il nous faut l’aide des pouvoirs publics à ce niveau-là.
La privatisation partielle de la SNCF a-t-elle joué sur ce dossier ?
Naviland étant un partenaire privé, cela ne change rien, mais c’est plutôt le schéma économique d’une activité de transport par le train au départ de Cognac qui doit être rentable. Aujourd’hui, elle ne l’est pas. Comment peut-elle le devenir ? Nous essayons de voir si d’autres entreprises ne peuvent pas se greffer sur l’activité, qui est déjà en place, pour la rendre rentable.
À qui pensez-vous ?
Tous les interlocuteurs pouvant faire de l’export en conteneurs, qui, pour différents problèmes logistiques internes à leurs entreprises, n’utilisaient pas la gare de Cognac. Certains pourront peut-être s’y raccrocher en changeant leurs flux logistiques.