Impact technico-économique du désherbage mécanique sous le rang de vigne

18 avril 2011

Le travail du sol sous le rang a une action parfois marquée sur le rendement ou la vigueur. Son action sur le réseau racinaire superficiel de la vigne, surtout lors d’une phase de transition à partir du désherbage chimique, en est la principale raison. La persistance d’une concurrence adventice modérée joue aussi sur ces paramètres. L’impact sur le rendement, qui peut s’atténuer avec le temps, a des conséquences économiques variables suivant le niveau de rendement souhaité. En revanche, l’entretien mécanique du cavaillon a des conséquences très importantes sur l’organisation du travail et le coût de production. L’amélioration du matériel permet en partie de compenser la perte de confort liée à l’abandon des herbicides. Néanmoins, l’optimisation de la technique imposera sans doute des adaptations au vignoble : l’emplacement relatif des piquets et des plants par exemple.

Le désherbage chimique a apporté au viticulteur confort et facilité de mise en œuvre, avec un coût raisonnable et une efficacité intéressante, tout en conservant des rendements et une qualité satisfaisants (ANPP et ITV, 1986). Dans le contexte général de réduction d’emploi des produits phytopharmaceutiques fixé par le Grenelle de l’environnement, les alternatives à l’utilisation des herbicides font l’objet de plus en plus de questionnement de la part des viticulteurs. Le désherbage mécanique entre les souches est une alternative parmi d’autres, qui a une certaine antériorité puisque, avant d’être désherbées, les vignes étaient travaillées. Or, les modes de conduite ont changé, l’enherbement de l’inter-rang s’est développé dans les vignobles où cela est possible, et les structures d’exploitation ont évolué vers une augmentation des surfaces cultivées et une mécanisation plus présente.

Le retour à des façons aratoires, même superficielles, après des années de non-culture est susceptible de bouleverser à la fois l’alimentation hydrominérale de la vigne (Martin, 2000), mais aussi l’organisation du travail sur les exploitations. Les années à forte pluviométrie entraînent en effet une augmentation du nombre d’interventions nécessaires (Chaler, 1991), et le raisonnement des stratégies de désherbage mécanique (quels outils, à quel moment ?) devient une nécessité (Gaviglio, 2007). L’entretien mécanique entraîne une modification progressive de la flore présente sur le vignoble et modifie la vigueur et les équilibres acido-basiques des moûts (Crozier et al, 2004). Les impacts induits par le changement de pratique d’entretien du sol sous le rang sont-ils importants ? Sont-ils les mêmes quels que soient les outils employés ? Sont-ils durables ou réversibles ? Comment les limiter ? A quel coût s’effectue ce changement ? Les parcelles sur lesquelles ont été mises en place les expérimentations de désherbage mécanique sous le rang en 2005 commencent à apporter des éléments de réponse.

les CARACTéRISTIQUES DES PARCELLES D’ESSAI

Site du DEVT (Brame-Aigues, Tarn), parcelles de Fer Servadou et Duras

Cépage Fer Servadou clone 420 sur Gravesac clone 264.
Cépage Duras clone 554 sur Gravesac clone 264.
Les parcelles ont été plantées en 1999, avec un écartement entre rangs de 2,2 m pour un espacement entre souches de 1 m, soit 4 545 pieds par hectare.
Les inter-rangs ont été enherbés en totalité depuis 2001 jusqu’en 2009. En 2010, un inter-rang sur deux a été travaillé pour répondre à une problématique de rendement sur l’ensemble de l’exploitation.
Le sol est limoneux à tendance battante.

Site de la ferme expérimentale d’Anglars (Lot), parcelle de Merlot

Cépage Merlot clone 343 sur RGM (Riparia Gloire Montpellier)
La parcelle a été plantée en 1994.
Tous les inter-rangs sont enherbés depuis 1998.
Le sol est sablo-argileux.
Ces deux sites expérimentaux étaient désherbés chimiquement sous la ligne des souches avant le début de l’expérimentation en 2005.

DISPOSITIF EXPERIMENTAL ET OBSERVATIONS

Le dispositif retenu est en bandes (aspect pratique pour le passage des engins) avec répétitions le long du rang.
Les observations viticoles portent sur les critères de rendement (poids par souche et nombre de grappes par souche), de vigueur (poids de bois de taille par souche) et de qualité des baies (sucre, AT, pH, IPT, anthocyanes). Les modalités ont été vinifiées séparément et dégustées à l’aveugle. L’aspect économique est pris en compte par le dénombrement des interventions et la mesure de la vitesse de travail. Le calcul du coût des opérations de désherbage comprend : la traction, la main-d’œuvre, l’amortissement du matériel. Toutes ces observations se sont étalées de l’année 2006 à l’année 2009.
La climatologie des millésimes est enregistrée pour chacun des sites avec une station météo.

MODALITES

Les modalités sont les suivantes : témoin désherbage chimique sous le rang et désherbage mécanique. Les modalités de désherbage mécanique sont différenciées par le type d’outil employé. On distinguera seulement deux groupes : les modalités utilisant une décavaillonneuse et les autres, avec lames interceps et houes rotatives.

Le désherbage chimique du rang témoin a été effectué avec un passage de glyphosate avant le débourrement complété d’une application d’un herbicide de pré-levée lorsque la parcelle est propre.

MATERIELS D’ENTRETIEN DU SOL UTILISE

Site du DEVT (Tarn), parcelles de Fer Servadou et Duras

L’entretien du sol a été réalisé grâce au Tournesol Pellenc, et à un ensemble Humus Hugg composé d’une houe rotative « interplanet », d’une lame intercep « lame sarcleuse » et d’une décavaillonneuse. Le Tournesol Pellenc est un outil rotatif animé par une centrale hydraulique branchée sur prise de force. Il réalise un travail de binage sous le rang avec des couteaux disposés sous une cloche de plastique qui protège les ceps. Il désherbe une bande de 80 cm de large sous le rang. L’ensemble Humus Hugg « interplanet » utilise l’hydraulique du tracteur uniquement. La largeur désherbée de part et d’autre des ceps est de 60 cm en tout. La lame sarcleuse a un fonctionnement complètement mécanique qui ne sollicite pas l’hydraulique du tracteur. La profondeur de travail avec les outils rotatifs n’excède pas 4 cm. Avec le soc décavaillonneur on peut en revanche atteindre 8 cm.

Site de la ferme expérimentale d’Anglars (Lot), parcelle de Merlot

Le site a été equipé avec du matériel Souslikoff : décavaillonneuse Décalex et lame intercep bineuse Binalex dont l’action se limite à un binage à plat en entretien estival à faible profondeur. En complément, le Tournesol Pellenc du DEVT a aussi été utilisé, notamment pour compenser les déplacements de terre induits par la décavaillonneuse.

L EVOLUTION DES RENDEMENTS

Globalement, toutes modalités d’entretien mécanique confondues

figure_2.jpgNous constatons des effets très contrastés du désherbage mécanique sous le rang par rapport au désherbage chimique. La parcelle de Merlot semble supporter le changement de pratique sans difficulté alors que le rendement de la parcelle de Duras est très fortement pénalisé, a priori de façon durable car aucune inflexion de la chute des rendements n’est observée année après année. Sur la parcelle de Fer, après trois années de baisse de rendement, nous avons observé une inversion de tendance. Les années suivantes nous permettront de savoir si cela se confirme. Deux hypothèses peuvent expliquer ce phénomène : d’une part la destruction d’une partie du réseau racinaire de la vigne, et d’autre part la persistance au cours de la période végétative d’une concurrence hydro-azotée modérée. La part de sol couverte par les adventices (majoritairement vivaces) au moment des vendanges oscille en effet entre 5 et 25 % (Gaviglio, 2007) alors que le désherbage chimique permet de maintenir le sol propre.

 

Ces parcelles ayant été désherbées mécaniquement avec des outils différents qui n’ont pas le même profil, nous avons voulu mettre en évidence l’impact du type d’entretien mécanique.

Selon le mode d’entretien mécanique

figure_3.jpg

 

 

 

Les résultats montrent nettement, sur la parcelle de Merlot que l’utilisation d’une décavaillonneuse dans l’itinéraire de désherbage mécanique a un impact plus important sur le rendement que l’utilisation d’une houe rotative. Une décavaillonneuse a un profil plus agressif sur les racines de la vigne, et ce à une profondeur plus importante que d’autres outils. Cette différence n’a pas été mise en évidence sur les deux autres parcelles d’essai, affectées de manière identique par tous les modes d’entretien du sol. Ceci pourrait être expliqué par une implantation du système racinaire beaucoup plus exposée aux interventions mécaniques, superficielles ou non.

 

L’EVOLUTION DE LA VIGUEUR

figure_4.jpg

 

 

Nous avons constaté pour toutes les années de suivi une baisse de vigueur par rapport au témoin comprise entre 5 et 20 %. Sur la parcelle de Duras, l’impact est beaucoup plus marqué et paraît s’accentuer. La tendance pour les parcelles de Fer et de Merlot semble être un retour vers le niveau de vigueur du témoin désherbé chimiquement.

 

 

 

 figure_5.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

De la même façon que pour le rendement, la figure 5 nous montre que le poids de bois de taille est très affecté par l’utilisation d’une décavaillonneuse dans l’itinéraire de désherbage.

 

L’EVOLUTION DES PARAMETRES ANALYTIQUES

Nous avons constaté un simple effet de concentration lié à la très forte chute des rendements sur Duras, qui se traduit par un TAP plus important (1,4° et 1,6° de plus respectivement pour 2008 et 2009) et des teneurs plus fortes en anthocyanes (+ 35 %) et polyphénols (+ 19 %). Ceci se vérifie dans une moindre mesure sur Fer Servadou (écarts de 0,5° maximum et 12 % sur anthocyanes), et n’est pas du tout marqué sur la parcelle de Merlot.

LES DEGUSTATIONS D’ESSAIS

Les dégustations effectuées en triangulaires avaient pour objectif de savoir s’il le mode d’entretien du sol sous le rang peut discriminer les vins d’un point de vue organoleptique. C’est uniquement sur les dégustations des vins de 2009 que nous avons constaté des écarts significatifs sur Duras.

le COûT DU DéSHERBAGE MéCANIQUE SOUS LE RANG

Le climat des différents millésimes n’a pas permis de réaliser moins de quatre interventions par an. Cela positionne le coût du désherbage mécanique autour de 250 € par hectare alors que le désherbage chimique sous le rang revient entre 140 et 230 € par hectare avec deux interventions, selon le prix des produits employés (glyphosate, flazasulfuron, propyzamide). Il est à noter que, quels que soient les outils employés pour le désherbage mécanique, la part de l’investissement (amortissement) dans le coût total ne dépasse par 25 %. Le coût est majoritairement composé de frais de traction et de main-d’œuvre, c’est-à-dire de temps de travail. Le coût de l’entretien est quant à lui très variable et fonction du type d’outil et du type de sol. Les outils ne demandant pas d’hydraulique seront naturellement moins coûteux que les houes rotatives qui vont s’user plus vite dans le sol et qui sollicitent les pompes et les moteurs hydrauliques.

DISCUSSION

figure_6.jpgNos expérimentations mettent en évidence un risque de perturbation de la production par le travail du sol sous le rang. Nous devons toutefois relativiser ce risque car le rendement et la vigueur ne sont très fortement affectés que sur la parcelle de Duras du DEVT, que nous aurions pu classer dès le départ de l’expérimentation comme « délicate à travailler » car les souches étaient plutôt frêles, avec beaucoup de racines superficielles.

Au vu de ces résultats, très variables d’un site à l’autre, il nous semble important de faire ressortir un élément prépondérant dans l’impact de la technique sur la vigne : l’établissement du vignoble. En effet, les conditions dans lesquelles est faite la plantation : état du sol, discontinuités ou pas, porte-greffe choisi, jouent sur les capacités d’exploration du réseau racinaire. La conformation des ceps et leur rigidité déterminent leur capacité à supporter un changement de pratique aussi radical. Eviter de placer les piquets entre les souches permet de limiter les zones non désherbées dans lesquelles les outils ne peuvent pas travailler faute de place (cf. figure 6).

 

la CONCLUSION

Le désherbage mécanique sous le rang est une technique d’entretien du sol compatible avec le maintien de la production, tant en quantité qu’en qualité, à certaines conditions. Aussi, pour éviter les impacts importants sur le rendement que l’on a pu observer, nous préconisons :

– De privilégier le choix de parcelles bien implantées, avec des souches présentant une certaine résistance physique.
– De réserver l’utilisation des décavaillonneuses à des situations bien précises dans lesquelles la butte maintenue sous le rang n’amènera pas à travailler avec les interceps sous le niveau de l’inter-rang.
– De soigner le maintien des ceps au niveau du fil porteur afin d’assurer une rigidité suffisante de l’ensemble.

La viabilité économique du désherbage intercep passe par une bonne adéquation entre la surface à entretenir, la capacité de travail des outils et le contexte pédoclimatique (directement lié à la pression adventice). Une mécanisation adaptée et si possible combinée à d’autres opérations (épamprage) permet de rendre la technique plus efficace et surtout moins gourmande en temps de travail. En effet, les jours disponibles pour intervenir en désherbage mécanique lors de la saison dépendent de plusieurs facteurs : jours de pluie, concurrence avec les autres opérations au vignoble demandeuses de main-d’œuvre ou de traction, capacité de réessuyage des sols. La vitesse de travail et le nombre d’interventions nécessaires dans l’année vont déterminer la surface qu’il est envisageable de désherber mécaniquement avec un ensemble tracteur – outil – chauffeur. Nos observations montrent que cette surface se situe entre 10 et 15 ha, c’est un paramètre qu’il faut bien prendre en compte indépendamment des considérations de qualité et de rendement.

REMERCIEMENTS

Pour la réalisation de cette étude et sa poursuite, nous remercions particulièrement :
– pour la mise à disposition des parcelles concernées : le DEVT (Domaine Expérimental Viticole Tarnais), la Ferme expérimentale d’Anglars-Juillac :
– pour la mise à disposition et le prêt du matériel intercep : les sociétés Pellenc, Souslikoff et Humus Hugg.
C. Gaviglio
(IFV pôle sud-ouest V’innopole – BP 22 – 81310 Brame-Aigues)
Bibliographie
ANPP et ITV, 1986 – Incidences des différentes techniques sur les sols. IIe Symposium international sur la non-culture de la vigne et les autres techniques d’entretien des sols viticoles, 319-377.
Chaler G., 1991 – Intérêts et limites de quelques techniques d’entretien des sols autres que le désherbage chimique et l’enherbement. Cahier technique Euroviti, 97.
Crozier P., Heinzlé Y., Perez C., 2004 – Incidence sur la vigne et les vins de quatre itinéraires techniques d’entretien des sols en Bourgogne. AFPP – Dix-neuvième conférence du Columa Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes.
Gaviglio C., 2007 – Alternatives au désherbage chimique : quelles stratégies pour l’entretien mécanique des vignes ? AFPP – Vingtième conférence du Columa Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes.
Martin R., 2000 – Retravailler un sol désherbé. Terroirs 117, octobre 2000

 

 

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