Le 29 janvier 2010 – un mois exactement avant la tempête du 28 février – Lionel Quillet, président de la Communauté de communes de l’île de Ré, employait une métaphore marine qui, à la lumière des faits, résonne d’étrange façon. Il disait : « On ne peut pas lutter contre la vague de l’environnement. Cette vague nous submergera tous. » Bingo ! Il disait aussi que, pour les digues, c’était acquis : « on double le budget ! » Une initiative arrivant un peu tard malheureusement. Car, sans vouloir céder à un populisme facile, beaucoup ont vu dans le retard pris dans la consolidation des digues, la main des environnementalistes. Depuis, les intenses travaux de terrassement, en cours et à venir, sont en passe de régler le problème. Il n’en reste pas moins que l’épisode traumatique du raz-de-marée sur une partie de l’île de Ré illustre la marge étroite, le difficile équilibre à trouver entre des attentes contradictoires. Le dossier « lapin de garenne » s’insère dans cette problématique. « Drolatique » direz-vous. Pas tant que ça, quand vous voyez l’écorce de vos vignes systématiquement boulottée par de sympathiques rongeurs. La question a vraiment commencé à se poser il y a quatre ans puis n’a cessé d’aller crescendo depuis. Aujourd’hui, les agriculteurs rétais sont devenus épidermiques sur le sujet. Ils sont nombreux à évoquer le « calvaire » que leur font subir les lapins. Cette année, on estime à une dizaine d’ha la superficie de vignes probablement décimée par les mammifères à grandes oreilles, principalement dans le sud-est de l’île. Tel exploitant du côté de Loix annonce qu’il va peut-être perdre cette année
18 000 € sur ses céréales cette année après en avoir perdu 20 000 l’an dernier. Dans certains endroits, l’exaspération touche à son comble. Les causes de cette invasion sont connues et archi-connues. Elles s’appellent zones boisées et friches. « Quand les friches avancent, la culture recule. » CQFD. En dix ans, les friches boisées auraient plus que doublé sur l’île. Un élu comme le maire de La Flotte, Léon Gendre, par ailleurs chargé des questions de l’urbanisme et de l’environnement au Conseil général 17, pointe du doigt ces propriétaires qui ne veulent pas signer de baux ruraux sur leurs terrains. « Les grands fautifs, ce sont eux. Ils sont d’accord pour prêter leurs terres mais ne veulent pas les lâcher. En tant qu’élus, nous sommes en butte avec l’égoïsme des propriétaires fonciers. Avant toute chose, il faut maîtriser le foncier. » Mais les agriculteurs dénoncent aussi l’attitude du Conservatoire du littoral qui préempte les terres sans les gérer derrière. Et quand la friche est classée boisée, « on ne peut plus y toucher », car elle rentre dans le périmètre des zones naturelles.
la guerre des terriers
Devant l’impuissance des ACCA, pourtant de bonne volonté, le lapin serait-il en passe de gagner la guerre des terriers ? En tout cas, dans le camp des producteurs, on pense que l’équilibre est rompu et gravement encore. Face à une telle situation, ils sont nombreux à réclamer l’éradication de l’espèce, c’est-à-dire la suppression définitive du lapin, sans doute par des voies radicales (empoisonnement…). Mais pour cela, il faut l’autorisation de l’Etat et tout particulièrement du préfet. Pour Lionel Quillet, relayer la demande de l’éradication n’est pas la bonne stratégie. « Bien sûr, vous pouvez essayer de la jouer “virile” mais vous n’y arriverez jamais. L’Etat et les représentants de l’Etat sont très clairement favorables à l’environnement. Il faut bien comprendre que la richesse de l’île de Ré appartient à tout le monde. » L’élu défend l’idée d’un « Plan de gestion », beaucoup plus recevable selon lui par la communauté des citoyens. « Faites-moi confiance. Avec un plan de gestion, on peut “butter” 80 % des lapins. Mais il faut parler le langage des technocrates. Il faut habiller le message. En tant qu’élu, je sais faire, je suis fait pour ça. A attaquer frontalement, nous serons battus. Quant aux moyens, nous les aurons avec l’écotaxe*. » Ce discours n’a pas forcément convaincu tous les producteurs : « Ce que nous voulons, ce sont des mesures concrètes, précises et efficaces. »
« Tu gares ton matériel où, tu dors où ? » Les nouveaux installés n’ont pas toujours la vie facile sur l’île. Sont-ils voués ad vitam aeternam à louer un hangar agricole, à habiter dans un logement social ? La question a émergé lors de l’AG et sera forcément amenée à se reposer. Manifestement, les élus sont embarrassés pour y répondre. D’un côté, ils disent que le problème est largement résolu, en tout cas pour la partie hangars. « Des zones de hangars agricoles existent. » Mais de l’autre, ils parlent de « mauvaises expériences », tant dans les zones agricoles qu’artisanales. « Des zones de hangars sont parties à la spéculation foncière, pour faire des résidences ou des aires de stockage de caravanes. Il faut trouver un équilibre entre nous. » Equilibre, mot magique doté d’une charge quasi tellurique sur ce » territoire fini » qu’est l’île de Ré, confetti de 26 km de long et de 5 km de large dans sa partie la plus renflée.
fusion
Le 25 janvier 2008, une AGE avait scellé la fusion des trois coopératives agricoles rétaises, coopérative des vignerons, coopérative maraîchère et coopérative d’approvisionnement. L’AG du 29 janvier 2010 a donc validé les comptes du premier exercice réalisé sous l’empire d’Uniré. En 2008-2009 le chiffre d’affaires de la « Vigneronne » a diminué d’environ 8 % (- 700 000 €), une baisse essentiellement due à la diminution des ventes de Cognac en vrac, qui tire elle-même son origine de l’effondrement des cours en 2009. Plutôt que de vendre à perte, les dirigeants de la coopérative ont préféré suspendre les ventes de Cognac. Ainsi, le chiffre d’affaires réalisé avec les grossistes a baissé de 30 %. Par contre la bonne surprise vient des vins de pays, dont le chiffre d’affaires progresse de 9,97 %. Il faut y voir l’impact de la nouvelle gamme « Soif d’évasion » qui, tout en frisant les 200 000 cols, n’a pas fait chuter les autres gammes. « Vendue en bouteilles et en bib, elle cultive un positionnement de vin jeune et léger qui plaît » a indiqué le directeur d’Uniré, Christophe Barthère. Le rosé s’affirme de plus en plus comme le vin à la mode. Sur l’île de Ré, il jouit d’atouts climatiques, de cépages adaptés et de techniques bien maîtrisées. De même, les clients adhèrent aux vins de table, en bouteilles ou en bag in box. Même peu rémunérateurs, ce sont des produits que la coopérative souhaite maintenir, pour éviter la concurrence d’autres vins. Quant au Pineau, son volume reste stationnaire. A 3,018 millions d’€, la rémunération des adhérents vignerons est sensiblement identique à l’exercice précédent. La « Vigneronne » termine sur un résultat d’exploitation positif de 616 000 €. Commentaire de Jean-Jacques Enet, le président de la coopérative : « La légère progression de nos ventes résulte d’un faisceau de facteurs, dont on a du mal à savoir qui l’emporte, du technique, du commercial ou la communication. En tout cas l’on s’aperçoit qu’avec le temps, tous ces éléments sont payants. »
difficile stratégie
La partie de l’assemblée générale dévolue à la Maraîchère s’est déroulée dans un climat plus chahuté. Normal, l’activité a pâti d’un épisode malheureux – le blocage des centrales d’achat début juin, en pleine période de vente de pommes de terre primeurs – péripétie qui est venue s’ajouter à des problèmes semble-t-il plus structuraux. Une partie de la salle a notamment critiqué la stratégie de la coopérative qui serait de « trop privilégier la grenaille (la petite pomme de terre) au détriment de la moyenne ». « Pour une tonne de grenailles, il faut arracher 10 tonnes de pommes de terre. » Réponse de Ch. Barthère : « Sur le marché, la demande se porte sur le petit calibre. Nous n’avons d’autre choix que de nous adapter. Après, il faut jongler avec les centrales d’achat pour qu’elles nous prennent aussi de la moyenne. Aucun bassin de production n’a les capacités de ne faire que de la grenaille. » Au printemps dernier une opération « charlotte moyenne » avait été montée avec la grande distribution. Manque de chance. Les premiers blocages ont débuté le 1er juin alors que les producteurs avaient commencé à arracher les 20 et 21 mai. Le directeur d’Uniré a évoqué la piste de nouvelles variétés plus adaptées que la charlotte à la production de grenaille. Mais plusieurs années s’écouleront avant que cette piste se concrétise. Des producteurs n’en démordent pas : « Vous êtes partis sur un produit qui se vend cher mais qui a du mal à se vendre. » Ils souhaiteraient aussi que la coopérative réfléchisse à d’autres cultures, qui se rajouteraient aux rotations déjà en place. « Nos exploitations sont limitées en surface. Il faut trouver autre chose que les céréales. » Le président Enet a rappelé les cultures testées depuis 25 ans, choux… « Nous n’avons jamais trouvé de cultures plus intéressantes que la vigne ou les pommes de terre primeurs. Si quelqu’un a des propositions à faire, qu’il le dise. Je ne détiens pas la solution miracle. » Christophe Barthère a insisté sur l’aspect rendement et emblavement. « Notre tonnage n’est pas suffisant pour diminuer les frais fixes. Nous aimerions avoir plus de pommes de terre à vendre. Nous faisons avec ce que l’on a. » J.-J. Enet s’est avoué un peu désabusé. « Vos reproches ne doivent pas cacher les efforts accomplis. » Les résultats dégagés sur la Maraîchère ont été intégralement restitués aux adhérents.
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