Histoire De Vies

12 mars 2009

photo_29.jpgQui mieux qu’un Irlandais pouvait nous guider dans les dédales de ce commerce des eaux-de-vie des XVIIe et XVIIIe siècles, où s’illustreront quelques Irlandais de renom comme Delamain ou Hennessy. Distingué professeur d’histoire au Trinity College de l’université de Dublin, grand spécialiste de l’histoire des alcools, Louis M. Cullen est remonté aux sources de l’histoire du Cognac comme un saumon les eaux de la rivière Shannon.

Prévenons tout de suite les futurs lecteurs. Le livre de Louis M. Cullen est par certains côtés déroutant, pourrait-on dire baroque. Erudit, certes il l’est, par le foisonnement des faits, la précision factuelle des événements. Mais ne vous attendez pas à y trouver une « histoire du Cognac » au sens classique du terme. Pas de déroulé chronologique ou si peu, pas d’essai de mise en perspective et encore moins l’amorce d’une thèse. Des faits, rien que des faits et encore les faits sont-ils livrés en vrac, comme ces « pipes » d’eaux-de-vie qui dévalaient les quais de la Charente. Louis M. Cullen malaxe sa matière – les archives des maisons de négoce, les fonds de bibliothèques, les registres de correspondances… – comme les vieilles indiennes mâchent leur bétel, en un lent mouvement de va et vient. Et le jus qui en sort n’est pas toujours très clair, sauf le respect que l’on doit au distingué professeur (mais on le dit jovial et bon vivant, il comprendra). D’ailleurs, le croirez-vous ? Au fil des pages, dans un joyeux désordre de dates et de lieux – un désordre vital – voilà que se dessinent peu à peu les débuts chaotiques de ce commerce des eaux-de-vie de Cognac, il y a plus de deux siècles. Vérité des situations, peinture à vif des personnages impriment une image vraie de ce monde oublié, qui porte en lui les germes de notre présent.

Ou l’importance des veuves

La malle sans fond de l’ouvrage de Louis M. Cullen révèle au passage le rôle des veuves dans l’histoire du Cognac. La « veuve » la plus connue est sans doute la veuve Martell, née Lallemand. Jean Martell l’épouse en 1737 et bénéficie d’emblée du concours de son beau-frère Louis-Gabriel Lallemand, jeune homme impétueux qui apporte à l’affaire une impulsion hors du commun. Au décès de Jean Martell, le 23 janvier 1753, Lallemand devient le chef officiel de la maison veuve Martell, Lallemand et Cie. C’est lui qui assurera par la suite, en association avec sa sœur, la célébrité de la maison, qui gardera longtemps une place dominante. Une fois n’est pas coutume, l’historien se livre à un commentaire. « On peut dire que le futur de la maison Martell fut assuré non parce qu’elle était Martell mais parce qu’elle était Lallemand. » Une autre veuve, plus tôt, avait tenu les rênes de sa maison. C’était, dans les années 1720 une sœur de Philippe Augier (l’un des premiers négociants de Cognac). Mariée à un Guérinet, elle s’installe à Tonnay-Charente et perd son mari dès 1724. Elle mène alors son propre commerce avec Paris ou Rouen, la maison achetant à Saint-Jean-d’Angély ou à Cognac et expédiant à Yvetot, à l’embouchure de la Seine. « Les deux maisons de Cognac et de Tonnay s’épaulaient, ce qui était une façon de faire courante dans la région. Si ses clients parisiens souhaitaient recevoir des eaux-de-vie de Champagne, la veuve Guérinet en achetait par l’intermédiaire de son frère Philippe à Cognac. »

L’arrivée de Richard Hennessy à Cognac est discrète. Il a 36 ans quand il s’installe à Cognac (un âge honorable à cette époque). Dans les années 1760, il tombe en pleine période de crise et son affaire peine à joindre les deux bouts. Avec une famille et des enfants à charge, Richard Hennessy n’est pas loin du désespoir. Il pense rapidement quitter Cognac et part s’installer à Bordeaux en 1776, après avoir envisagé de s’établir à Cork ou au Havre. C’est décidé ! Son ami John Saule, un autre Irlandais, s’occupera du commerce de l’eau-de-vie après son départ pour Bordeaux. Se crée une nouvelle société, Hennessy et Cie, qui dans les faits, devient la maison de Saule. A Bordeaux, la production d’eau-de-vie de R. Hennessy connaît des vicissitudes. Les produits sont peu réputés et rencontrent un succès aléatoire. Ned Barret, son beau-frère, lui propose de partir avec lui aux Barbade ou dans une île voisine. R. Hennessy considère avec intérêt cette proposition pour installer son fils James. Mais il y renonce au dernier moment. Bien lui en prend. Le navire fait naufrage et Barett meurt en janvier 1783. La disparition brutale de Saule, en octobre 1788, ouvre alors une voie imprévue. La veuve de John Saule cède le fonds de commerce de sa maison à James Hennessy. Une autre aventure commence, par l’entremise, là encore, d’une « veuve ». A une époque, l’Ancien Régime, où l’état naturel des femmes était la dépendance et la soumission (et même si les philosophes des lumières étaient passés par là), n’y a-t-il pas quelque chose de troublant à voir ces femmes jouer un rôle aussi déterminant.

Une hiérarchie bouleversée

photo_292.jpgLe livre de Louis M. Cullen nous apprend encore beaucoup de choses sur la position respective des négociants. La hiérarchie d’hier tranche sur celle d’aujourd’hui. A l’époque, les grands du Cognac se nomment Delamain ou Martell. James Delamain, est décrit « comme un homme doté d’une extraordinaire autorité ». Jeune étranger de 23 ans, originaire de Dublin, protestant, il acquiert une position en vue en se mariant avec Marie Ranson, fille unique de Jean-Issac Ranson, alors le principal négociant de Jarnac. Sa famille avec les Augier, les Brunet et quelques autres, avaient porté le commerce des eaux-de-vie dans les années 1720- 1730. De tous les négociants établis dans la région, James Delamain est le seul dont la correspondance commerciale parle de questions plus générales. Tout au long de sa vie, il aidera et soutiendra financièrement le petit monde des émigrés irlandais (les Hennessy, Saule…).

Cognac rime généralement avec exportation. Or le professeur M. Cullen insiste, preuves à l’appui, sur l’importance du marché parisien sous l’ancien régime. Les deux « places fortes » de ce commerce sont Aigre (ces « messieurs d’Aigre » sont appelés les aigriers) et Angoulême, deux capitales du Cognac bien oubliées aujourd’hui mais qui jouèrent un rôle de premier plan au milieu du XVIIIe siècle. Elles étaient les points de passages obligés pour l’acheminement de l’eau-de-vie par la route sur Paris. A cette époque, la plus importante maison de Jarnac, Ranson et Delamain, faisait davantage d’affaires avec Paris qu’à l’exportation. L’épisode des contrebandiers irlandais, pendant la grande pénurie d’alcool irlandais de 1783-1785, fait également partie des découvertes ménagées par le livre.

Pendant vingt ans, Louis M. Cullen aura passé une partie de son temps à se plonger dans des milliers de copies de lettres, des centaines de registres conservés par les maisons. Il aura appris le vieil hollandais pour suivre la trace des eaux-de-vie sur les bateaux des marchands des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette matière grouillante de vie s’offre au lecteur avec la vivacité d’une « aguardiente ».

 

Edité aux éditions le Croît vif, société d’édition dirigée par François Julien-Labruyère, spécialisée dans les publications ayant trait à la région charentaise, l’ouvrage de Louis M Cullen a été traduit par Catherine Simon-Goulletquer. Il a fait l’objet d’une relecture par un spécialiste du Cognac, lui-même historien, Alain Braastad-Delamain.

Ouvrage disponible en librairies au prix de 25 e.

Renseignements complémentaires : Edit. du Croît vif, 83 rue Michel-Ange, 75016 Paris, tél. 01 47 43 98 00, fax 01 46 391221, site internet http://www.croitvif.com – courriel : info.

 

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