Construit il y a dix-sept ans dans le quartier du Dominant à Châteaubernard, à 300 m du verrier Saint-Gobain, le site de La Vignerie donne aujourd’hui sa pleine puissance. Le directeur des opérations industrielles d’Hennessy indique que l’unité pourrait absorber sans changement majeur 6 millions de caisses. Ensuite, des extensions s’imposeraient sans doute. Mais dans sa configuration actuelle, le droit à l’erreur n’existe guère. En pic de production, d’avril à octobre, l’usine « dépote » autour de 600 000 bouteilles/mois. Pas question de ralentir, ne serait-ce que 10 minutes, une chaîne cadencée à 20 000 cols/heure. « Ce ne serait pas du bon travail » constate avec un certain sens de l’euphémisme Jean de Miranda. Ces contraintes industrielles imposent une gestion au cordeau : trouver les « bonnes personnes et les bonnes qualifications » pour faire tourner les ateliers, anticiper les commandes auprès des fournisseurs de matières sèches, tenter de prévoir et de planifier les sorties. Comme de bien entendu, l’usine fonctionne en flux tendu. « Quand ça va bien », elle possède au mieux trois ou quatre semaines de produits finis en stock et deux semaines « quand c’est un peu plus tendu ». En ce qui concerne les bouteilles vides en attente d’être remplies, le disponible usine confine à presque rien, moins d’une journée. Si cela ne s’appelle pas du « just in time » ! Il y a quinze ou vingt ans, les chaînes d’embouteillage disposaient d’à peu près un mois de stock de matière sèche en amont. Le contexte a bien changé. Les entreprises de négoce attendent de leurs fournisseurs qu’ils leur livrent les bons produits à temps, juste à temps (voir article pages 29-30).
pic de vente en hiver
Quels que soient les marchés, la grosse période de vente se concentre sur les mois d’hiver, Noël et Nouvel an en Europe et aux Etats-Unis, Nouvel an chinois pour l’Asie qui, selon les années, tombe fin janvier ou courant février. En terme de volume à embouteiller, la problématique consiste donc à montée en puissance dès avril-mai pour arriver en septembre avec le maximum de production en stock. Entre les mois d’hiver, plus creux et les mois d’été, chargés, l’amplitude de fabrication peut aller de 1 à 3. Une élasticité qui recèle certaines exigences. D’autant que les délais de transport ne sont pas compressibles à l’infini. Encore aujourd’hui, il faut un mois-un moins et demi pour livrer un container de Cognac en Chine (voir article pages 26 à 28).
Chez Hennessy, une bonne partie de la distribution étant intégrée, les caisses ne partent pas chez le client final mais chez Moët-Hennessy Etats-Unis, Moët-Hennessy Chine ou Moët-Hennessy Japon. « En fait, nous livrons notre propre périmètre. Nous réapprovisionnons son stock, à charge pour lui de prévoir ses besoins. » Reste que ces plates-formes n’existent pas partout. Par exemple, il n’y a pas un Moët-Hennessy distribution au Kazasktan. Le challenge du service planification des commandes de la maison de Cognac va consister à imaginer les besoins de l’agent Casaque, afin que sa commande s’insère sans anicroche dans le flot ininterrompu des fabrications. Pourrait-on imaginer des embouteillages de « précaution », sans commandes fermes à la clé ? « Impossible, répond le directeur industriel. Nous avons 50 bouteilles différentes et une gamme de plus de 600 produits finis. A vouloir fabriquer par anticipation, nous nous retrouverions fatalement avec un stock de produits invendus. »
Entre les opérateurs intervenant sur les lignes, le service maintenance, les magasins d’entreposage de matières sèches et de produits finis, l’usine emploie environ 300 personnes. Le personnel travaille 34 heures par semaine, du lundi au jeudi, soit 8,5 h/j. A 80 % du temps, le site fonctionne en deux postes, réalisant ainsi 68 heures par semaine (deux fois 34 heures). En période de pointe, il est possible de pousser jusqu’au vendredi, les mêmes salariés n’effectuant jamais plus de 34 heures hebdomadaires.
Le travail s’organise en ateliers. Un atelier correspond à deux moitiés de lignes fonctionnant en binôme. S’y retrouvent huit à dix machinismes régleurs, les deux conducteurs de ligne et le superviseur qui chapeaute l’atelier. Cette communauté de travail permet une certaine polyvalence des tâches, pour passer d’une ligne à l’autre.
des vitesses très variables
Les dix lignes d’embouteillage ne tournent pas à la même vitesse. Six sont automatisées. Parmi elles, il y a la ligne 15, spécialisée dans les flasques de 20, 37,5 et 50 cl, ces petites bouteilles carrées que les Afro-Américains affectionnent tout particulièrement. La ligne marche à une cadence de 20 000 col/h. Vouées aux bouteilles de 70-75 cl VS et VSOP, la ligne 11 fait figure de ligne sensible. Un tiers du volume Hennessy passe par elle. Sa cadence est de 15 000 cols/h. A côté de ces véloces, existent trois lignes semi-automatiques aux cadences infiniment plus douces, entre 90 et 500 cols/h. Ici le temps suspend son vol. Nous sommes dans une autre dimension, bien plus artisanale. Ce sont les lignes réservées aux Paradis, Private Réserve, Richard… Si, sur les lignes automatiques, le mirage – opération de mirer la bouteille – n’est pas visuel mais électronique (système d’éjection par comparaison à une référence), le mirage retrouve toute sa beauté gestuelle sur les lignes semi-automatiques. Et que dire de la ligne 51, « prestige », chargée du remplissage de la bouteille Ellipse et autres raretés de la maison. Les flacons sont saisis un à un et les quelques personnes affectées à cette tâche travaillent en gants blancs.
Toute l’usine est construite sur le même plan. Elle comporte deux niveaux, un plateau où se réalise l’embouteillage proprement dit et un sous-sol d’où montent les bouteilles vides, les bouchons, les cartons. De même, les caisses pleines regagneront le sous-sol par un système d’ascenseur avant d’être expédiées. Sur la ligne d’embouteillage, l’opération initiale va consister à dépalettiser les bouteilles, les nettoyer en soufflant de l’air comprimé à l’intérieur. Ensuite il s’agira de remplir les bouteilles à niveau, apposer les bouchons de liège, les capsules étain ou aluminium, les étiquettes, les étuis, placer les bouteilles dans les cartons…. L’ensemble de l’atelier d’embouteillage est classé zone sensible alimentaire. Il répond à la norme Iso 22 000 sur la sécurité alimentaire, obtenue par l’entreprise en 2007. Un certain nombre de contrôles y sont effectués, relatifs à la sécurité du consommateur (corps étrangers…). Chaque bouteille possède un n° unique, où figurent date, n° d’ordre de fabrication. Ces indications assurent une traçabilité totale.
Comme l’a indiqué Jean de Miranda, « l’unité d’embouteillage de La Vignerie met en bouteille tout le Cognac Henessy et rien que du Cognac ». Au total, cela représente, en 2007, 5 millions de caisses normalisées (12 bouteilles de 70 cl) soit, en nombre de cols, 60 millions de bouteilles. Dans la réalité, compte tenu des différents formats, les chiffres sont plus proches des 70 millions de bouteilles. Le directeur des opérations industrielles n’hésite pas à dire que l’usine constitue une sorte de nec plus ultra dans son domaine, l’embouteillage des spiritueux. « En Ecosse notamment, il existe des unités trois à quatre fois plus grosses mais en terme d’équipement, de production, de contrôle, cette usine est vraiment ce qui se fait de mieux. Nous sommes une référence. Des Écossais, des Américains viennent nous visiter. »
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