Grands gibiers, dégâts aux cultures : Chevreuils, ces adorables petits monstres

10 juin 2015

Dans les zones viticoles boisées, là où vignes et bosquets s’enchevêtrent, chaque printemps apporte son lot de dégâts. Le chevreuil,  ce si gracieux animal de la famille des cervidés, prend un malin plaisir à « brouter » les jeunes pousses de vignes. Jusqu’à ce que mort s’en suive parfois (du cep de vigne). Les fédérations de chasseurs, amenées à indemniser les pertes de récolte, testent depuis plusieurs années des solutions palliatives : clôtures, utilisation de répulsif… La régulation des populations, par plans de chasse interposés, fait aussi partie de la panoplie.

 

 

De mémoire de viticulteurs, les ennuis ont commencé il y a une dizaine d’années. Les régions typiquement concernées sont celles des Borderies, entre Cognac et Burie (communes de Saint-Sulpice-de-Cognac, Cherves, Louzac-Saint-André…), ou encore les environs de Baignes, dans le sud Charente. Dans ces contrées boisées, la vigne colonise les clairières, ces petits espaces ouverts délimités par bois et bosquets. Ces multiples îlots viticoles émaillant le couvert boisé constituent un refuge idéal pour les gracieux cervidés qui y trouvent gîtes et couverts. La période prin-tanière, du 15 avril au 15 juin, concentre tous les forfaits. Le chevreuil raffole des jeunes pousses de vignes, l’équivalent des tiges de noisetiers qui représentent son mets favori dans les grands massifs forestiers. Au départ, l’animal commence à brouter les bourgeons, dès leur sortie, et puis il ne lâche plus les pieds, jusqu’à ce que la vigne soit en fleur. A la fin, toute trace de végétal a souvent disparu des bois. Répété trois ou quatre ans de suite, ce broutage intense peut conduire à la mort du cep.

p18.jpgLe chevreuil a une mauvaise habitude : celle, justement, d’avoir des habitudes. Il ne déroge d’ailleurs pas à la règle. Beaucoup d’animaux possèdent un territoire bien délimité. Ainsi, quand un chevreuil a jeté son dévolu sur un rang de vigne de bordure ou en bout de parcelle, on peut être sûr de l’y retrouver lui et sa progéniture pour des années et des années, si rien n’est fait pour l’en déloger. C’est pourquoi les dégâts perpétrés par les chevreuils sont relativement indépendants du nombre d’animaux. Il suffit d’un « abonné » dans les parages pour causer pas mal de dégâts. Bien sûr, l’idée n’est pas non plus de laisser exploser les populations. Car la surdensité est génératrice de pression. Il faut donc réguler.

Matriarcat

Chez le chevreuil, le matriarcat constitue la cellule de base. Alors que le brocard (le mâle) s’émancipe dans la nature, les jeunes (deux en général) restent avec la mère. Durant le printemps, la femelle « suitée » a le temps de transmettre son « logiciel » aux petits. D’où l’avis des chasseurs qui trouvent bien tardive l’ouverture de la chasse « grands gibiers » le 1er juin. Le code-barres du « boulotage » a déjà été communiqué.

Mine de rien, les chevreuils sont de gros mangeurs. Sur une période de 24 h, huit à dix phases de nourriture se succèdent, avec une prédilection le matin, au lever du jour et le soir, à la tombée de la nuit. Les chevreuils marquent leur passage d’un signe indélébile : la petite languette de peau qu’ils laissent au sommet du végétal. Leur signature ! Car, comme les vaches, les cervidés sont dépourvus d’incisives du haut. Ainsi, ne peuvent-ils pas couper les bois plus ou moins ligneux auxquels ils s’attaquent.

Des pertes conséquentes

p19.jpgDans les zones viticoles boisées, les témoignages se suivent et se ressemblent : « L’an dernier, j’ai eu une parcelle broutée à 90 % » relate un viticulteur. Un autre évoque une moyenne d’un ha emporté tous les ans, sur une surface d’une trentaine d’ha de vignes. En période de prix élevés, ces pertes arrivent à représenter des sommes. Et puis, au-delà de l’impact financier, il y a la dimension psychologique. « Tout ne se résume pas à l’argent. Cela fait mal de voir son travail de trois ou quatre ans partir en fumée » déplore un vigneron. Toutes proportions gardées, c’est un peu l’histoire de l’ours en montagne pour les éleveurs de moutons.

Selon les témoins, le phénomène du « broutage » aurait évolué de manière exponentielle ces dernières années. A quoi est-ce dû ? Chacun y va de son explication. « C’est peut-être lié à l’abandon du soufre, qui jouait autrefois le rôle de répulsif. » Le retour à un certain enherbement est aussi régulièrement évoqué. Comme la baisse du nombre des chasseurs. Les communes peu ou pas remembrées, avec un parcellaire très morcelé, paraissent plus exposées que les autres. Face au problème, de quels recours disposent les viticulteurs ?

L’indemnisation

p21.jpgIl y a d’abord l’indemnisation par les fédérations départementales des chasseurs. Tel qu’on le connaît aujourd’hui, le régime d’indemnisation des dommages aux cultures causés par le gros gibier – cerfs, sangliers, chevreuils… – existe depuis 1968.
En fait, depuis la suppression par l’Etat du « droit d’affût » dont, jusqu’alors, pouvaient se prévaloir propriétaires et fermiers.

Après la mise en place d’un plan de chasse obligatoire pour le grand gibier, il fallut bien trouver une contrepartie pour des agriculteurs privés du droit de défendre eux-mêmes leurs cultures. Ce fut le système de l’indemnisation, imposé par la loi. Pendant vingt ans, l’ONC (l’Office national de la chasse) fut chargé de sa mise en œuvre. Puis la loi du 26 juillet 2000*, dite « loi Voynet » (du nom de la ministre de l’Environnement de l’époque), en a confié la responsabilité aux fédérations départementales de chasseurs. Responsables du gibier qu’ils prélèvent, les chasseurs sont aussi tenus pour responsables du dégât du gibier… qu’ils ne prélèvent pas. Ainsi, dans chaque fédération départementale, un fonds d’indemnisation a été créé, alimenté par les permis de chasse, voire l’attribution de colliers. Pour les fédérations départementales, cette indemnisation des dégâts aux cultures représente une mission de service public, dotée d’un compte spécial.

Si la démarche d’indemnisation existe et si les agriculteurs sinistrés y font appel régulièrement, elle n’est pas d’un exercice très simple (voir encadré). Elle répond à un dispositif très encadré, dont les fédérations de chasse ne peuvent s’exonérer, sous peine d’être attaquées.

Sur le secteur de Saint-Sulpice-de-Cognac, Louzac, Cherves, une dizaine de dossiers sont déposés chaque année. Devant la lourdeur administrative, pas mal de viticulteurs y renoncent.

Prévention

p201.jpgLe fonds d’indemnisation départemental sert non seulement à dédommager les dégâts aux cultures mais aussi à couvrir les dépenses de prévention. C’est l’autre volet de l’action des fédérations départemen-tales. « Nous préférons investir dans des systèmes de protection plutôt que de payer des indemnisations, qui coûtent beaucoup plus cher et ne satisfont pas vraiment les sinistrés » note-t-on au sein des fédérations de chasseurs.

Face aux chevreuils, le plus connu des systèmes de défense reste la pose de clôtures entourant les parcelles. La fédération départementale acquiert le matériel et le revend aux associations de chasse aux trois quarts du prix. Sur un coût déjà minoré, ces mêmes associations sont remboursées par la fédération au cours des trois ans qui suivent. Au final, l’opération est blanche pour les associations de chasse mais cette façon de faire évite le phénomène du « tout gratuit ». La réponse, pas efficace à 100 %, pose en outre quelques problèmes pra-tico-pratiques : ouverture des barrières à chaque intervention du viticulteur, réparation des piquets, des fils, désherbage sous la clôture, vol des batteries 12 volts… De plus, le chevreuil, « animal hyper malin », s’habitue à la clôture et passe sous les fils. Plutôt bien adapté aux grandes parcelles, le système ne convient pas au parcellaire morcelé. « Je ne vais tout de même pas installer 50 clôtures autour de mes 50 parcelles ! » commente un viticulteur. La Fédération 17 a financé un essai de retour à l’emploi du soufre liquide ou du soufre mouillable sur les premiers traitements. Avec des résultats contrastés. La Fédération 16, elle, a mis en place depuis plusieurs années déjà des essais de répulsif. Un premier répulsif testé, le Lysol +, très efficace, a été retiré du marché. Depuis deux ans, la fédération en expérimente un nouveau, le Trico. Ce produit naturel, à base de graisse de mouton, arrive d’Autriche. Là-bas, il est utilisé sur vignes mais surtout sur plantations forestières, pour protéger les petits pins. Son application semble assez simple (voir encadré page 20).

Enfin reste la solution de la battue administrative avec, là aussi, des limites, dans la mesure où les dommages ne sont pas forcément proportionnels au nombre d’individus (voir article pages 21 et sui-vantes). Il n’empêche ! Sur certaines communes très touchées, telle Saint-Sulpice-de-Cognac par exemple, les prélèvements ont pu atteindre 100 à 120 individus par an, pas tous les ans bien sûr. Forcément, au bout d’un certain temps, la pression retombe.

* Code de l’environnement – Articles L. 426-1 à L. 426-8 et, dans sa partie réglementaire, articles R. 426 à R. 426-29.

Dégâts grands gibiers Indemnisation mode d’emploi

La procédure d’indemnisation par la fédération départementale des chasseurs s’exerce dans un cadre bien précis.

Tous les types de cultures sont concernés par l’indemnisation grands gibiers : vigne, blé, maïs… Comment faut-il procéder ? L’exploitant contacte la fédération départementale des chasseurs qui lui envoie un formulaire de déclaration. Surface, parcelle, perte approximative en quantité, période des dégâts… Tous ces renseignements vont être portés dans l’imprimé. Une fois remplie, la déclaration est retournée à la fédération qui mandate alors un estimateur, spécialiste de la culture. L’expert prend rendez-vous avec l’exploitant pour établir sur le terrain un constat provisoire des dégâts. Complété, ce premier dossier est envoyé à la fédération. Environ 15 jours avant la récolte, une nouvelle visite de l’expert est programmée. Elle va estimer les pertes réelles de récolte. Une fois cette évaluation réalisée, le dossier acquiert son caractère définitif.

Les bases de l’indemnisation émanent de diverses sources. Il y a d’abord la Commission nationale d’indemnisation des dégâts de gibiers. Cette composante de la Fédération nationale de la chasse (FNC) propose, selon les types de culture, un pré-barême, avec fourchette haute et fourchette basse. Ces niveaux d’indemnisation sont négociés avec les OPA (organisations professionnelles agricoles), du type APCA (Association permanente des chambres d’agriculture)… Ensuite, au plan départemental, la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), dans sa formation spécialisée dégâts de gibier (CDCFS-FSDG), émet des propositions à destination du préfet. Elle travaille à partir du pré-barême établi par la FNC.

Avec de nouvelles dispositions entrées en vigueur au 1er janvier 2014, l’octroi de l’indemnité est soumis à plusieurs conditions. L’indemnité n’est due que si la surface détruite est supérieure ou égale à 3 % de la parcelle culturale. L’exploitant ne peut être indemnisé que si le montant des dégâts, après abattement proportionnel de 2 %, est supérieur à 230 €.

Dans les délais impartis, l’exploitant agricole peut contester le montant proposé par la fédération des chasseurs.

p202.jpgTrico, un répulsif à base de graisse de mouton

Par sa mauvaise odeur, il éloigne les cervidés des cultures. D’un emploi facile, le Trico est un répulsif d’origine naturelle.

« Au départ, j’étais sceptique. » Le viticulteur ne cache pas que le Trico, ce répulsif à base de graisse de mouton, lui paraissait du « pipeau ». Et puis, à l’usage et après deux années d’essais, le résultat lui semble plutôt concluant. « Ce printemps, il n’y a eu aucun broutage, alors que la parcelle était régulièrement attaquée. » Réaliste, il voit tout de même la limite du système : « Aujourd’hui, on ne fait que repousser le problème chez le voisin. »

Commercialisé par Solutions & Plants, une société implantée dans le Calvados, le Trico est un produit d’origine autrichienne. Là-bas, il est utilisé essentiellement pour protéger les semis forestiers. Sa composition ? Des extraits de graisse de mouton, auxquels ont a ajouté un marqueur blanc, un émulgateur pour le rendre miscible à l’eau et un fixateur, afin qu’il tienne dans la durée. Le Trico sert de répulsif à des cervidés dotés d’un odorat bien plus développé que celui des humains. Introduit il y a environ six ans en France, le Trico a tout de suite été fléché viticulture. Aujourd’hui le Trico est utilisé sur environ 3 000 ha de vignes dans l’Hexagone. Les principaux vignobles concernés sont les Charentes
(1 000 ha), le Bordelais et l’Alsace. A chaque fois, c’est à peu près la même histoire : des parcelles enclavées dans des zones boisées.

Basé à côté de Poitiers, Philippe Gaudin est le technico-commercial de l’étape. C’est lui qui, avec les Fédération des chasseurs 16 et 17, a conduit les essais depuis trois ans. Historiquement, la pulvérisation sur végétation constituait la seule manière d’utiliser le Trico. Cette forme curative représente encore 90 % de l’utilisation du produit avec, selon son vendeur, une efficacité attestée de 90 %. Il y a deux ans, une nouvelle méthode a été proposée, la méthode « diffuseurs ». Cette approche plus préventive réclame encore d’être validée. Elle porte aujourd’hui sur environ 200 ha.

En pulvérisation, le Trico s’applique à la dose de 6 ml de bouillie par cep. Sachant que le produit s’emploie dilué, on estime qu’il faut entre 3 et 5 litres de produit pur pour protéger un ha de vigne (prix au litre de 18 € HT). La bouillie (environ 20 litres/ha) est répartie au pulvérisateur à dos sur la végétation, au stade 2-3 feuilles. Pour assurer une barrière suffisante, il est conseillé de couvrir un tiers de la surface plantée (les deux premiers rangs de bordure, en insistant bien sur les entrées). A la concentration indiquée, une application suffit. La durée de persistance de la spécialité, de 40 à 45 jours, donne aux rameaux fructifères le temps de se développer suffisamment pour résister aux attaques des cervidés.

Avec les diffuseurs, l’action recherchée est plus préventive. Pour 50 à 80 diffuseurs par ha, le volume de produit pur sera de 2,5 litres (5 cl par godet), à condition de ne passer qu’une fois. C’est justement un des points dont Ph. Gaudin veut s’assurer en 2015. A priori, la solution diffuseurs s’avère plus économique. Mais les godets coûtent cher (4 € l’unité), pour des problèmes de fabrication de moules. Les godets sont fixés sur des tuteurs ou accrochés aux fils de vigne.

En tant que substance naturelle, le Trico rentre dans la gamme « biocontrôle », dont l’utilisation est admise par des cahiers des charges comme Ecocert.

Repères
l 50 millions d’€ : indemnisation grands gibiers 2013-2014 (France).
l Cerf : population x 4 en 15 ans.
l Sanglier : responsable de 85 % des dégâts aux cultures en France.
l Chevreuil : prélèvement de 550 000 têtes en 2013 sur le territoire national.

 

 

 

 

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