Les Matières Organiques du Sol (M.O.S.), composante essentielle de la fertilité des sols
Fertilité minérale et physique des sols
Les réserves potentielles d’un sol en éléments nécessaires à la nutrition des végétaux (eau, éléments minéraux et oligo-éléments) déterminent sa fertilité minérale. Celle-ci varie en fonction des propriétés agronomiques des sols et dépend notamment de la nature de la roche-mère, du pH, de la texture, de l’épaisseur et du fonctionnement hydrique des sols.
La fertilité physique traduit, elle, la disponibilité de ces ressources pour les végétaux. Elle repose principalement sur 3 paramètres, responsables des conditions de diffusion de l’eau et de l’air (CO2 et oxygène) au sein du sol : la texture, l’état calcique et l’état organique des sols. Comme le suggère la figure 1, elle est le support de la fertilité minérale.
La porosité du sol est un très bon indicateur de la fertilité physique, car elle détermine en grande partie le volume de sol disponible pour le développement du système racinaire (conditions aérobies) et les conditions d’alimentation hydrique et minérale des végétaux (diffusion de l’eau et des éléments minéraux vers les racines).
La porosité totale d’un sol résulte de 3 composantes : la porosité texturale (espaces libres entre les particules), la porosité structurale (espaces libres entre les agrégats) et la porosité biologique (galeries de vers et passages d’anciennes racines).
Influence de la texture sur la fertilité physique
Les composantes texturale et structurale de la porosité sont étroitement liées aux propriétés physicochimiques des différentes fractions granulométriques : sables, limons et argiles.
– Les sables grossiers diminuent la cohésion des terres et augmentent la porosité texturale. Au contraire, les sables fins, associés à des particules nettement plus grosses, ont tendance à combler les vides et favorisent la compaction (diminution de la porosité).
– Les limons ont les inconvénients des sables les plus fins : ils favorisent la compaction et diminuent la stabilité structurale et la porosité.
– Les argiles favorisent la formation d’agrégats et augmentent ainsi la cohésion et la porosité structurale des sols. La formation d’agrégats est d’autant plus marquée que le sol renferme au moins 20 % d’argiles. La présence de calcium dans les sols favorise la stabilisation des argiles et améliore ainsi la stabilité structurale et la porosité des sols.
La composition texturale des sols détermine en outre leur sensibilité aux phénomènes de dégradation des sols, tels que la battance, le tassement, l’érosion ou l’acidification, qui concourent tous à une diminution de la stabilité structurale et de la porosité.
D’une manière générale, ces sensibilités sont accentuées par un déficit en matières organiques.
Nature et rôles des matières organiques
Les Matières Organiques du Sol (M.O.S.) se répartissent en 3 catégories :
– La matière organique vivante, ou biomasse, qui englobe la macrofaune (vers de terre majoritairement, insectes…) et la microflore (champignons, bactéries…).
– La matière organique fraîche, constituée principalement de débris d’origine végétale (racines mortes en particulier, résidus végétaux…).
– La matière organique labile (glucides simples, acides aminés…) et la matière organique stable, l’humus, toutes 2 issues de la décomposition de la matière organique fraîche.
La variabilité biochimique, granulométrique et fonctionnelle des matières organiques leur confère de multiples fonctions vis-à-vis des sols, et en particulier un rôle primordial en terme de fertilité.
Les matières organiques constituent tout d’abord une source d’éléments minéraux pour les végétaux et améliorent de ce fait la fertilité minérale des sols. Mais c’est surtout leur influence sur la fertilité physique des sols qui apparaît primordiale.
En effet, les composés humiques contribuent à la formation d’agrégats stables en s’associant avec les argiles (complexes argilo-humiques) et améliorent ainsi la stabilité et la porosité structurale des sols. Ils permettent également d’augmenter la Capacité d’Echange Cationique (CEC) des sols, améliorant ainsi le stockage et la disponibilité des éléments minéraux.
En tant que substrat pour la biomasse (énergie et minéraux), les matières organiques favorisent en outre le développement de l’activité biologique et de ce fait la porosité biologique des sols.
Enfin, les matières organiques favorisent la complexation des éléments traces métalliques (limitation des toxicités) ainsi que la rétention et la dégradation des micro-polluants organiques et des pesticides (réduction de la pollution des eaux).
L’entretien de l’état organique des sols, une indispensable priorité
Evolution des matières organiques dans le sol
Les transformations subies par les matières organiques dans le sol sont le fait de la matière organique vivante (macrofaune et microflore).
La décomposition de la matière organique fraîche par la biomasse aboutit à la formation de composés simples, pouvant évoluer selon 2 voies distinctes : la minéralisation primaire (transformation directe en composés minéraux solubles assimilables par la plante : CO2, SO42-, PO43-, NH4+, NO3-…) ou l’humification (édification de macromolécules complexes constituant l’humus).
Les « substances humiques » s’associent avec des composés minéraux (argiles et oxydes), puis sont également dégradées à plus long terme, par minéralisation secondaire.
Au final, les quantités de matières organiques dans les sols évoluent en fonction des flux d’entrées, par restitutions ou amendements organiques, et des flux de sorties par minéralisations (libération d’éléments minéraux par dégradation complète).
Evaluation des pertes annuelles en humus par minéralisation
La dynamique de minéralisation d’un sol varie en fonction de facteurs pédo-climatiques agissant sur l’activité de la biomasse : température (activité de la microflore optimale entre 25 et 35 °C), aération (conditions aérobies), humidité (ralentissement de l’activité de la microflore et des lombrics en cas de manque ou d’excès d’humidité), teneur en argiles (formation de complexes argilo-humiques stables) et pH (optimum proche de la neutralité).
Le coefficient de minéralisation K2 permet d’évaluer, pour un type de sol donné, les pertes annuelles en humus.
En Gironde, on estime que les sols viticoles perdent chaque année par minéralisation entre 450 et 900 kg d’humus par hectare, selon leur texture, leur pH et leur fonctionnement hydrique.
Intérêt de la restitution au sol des sarments
Les vignes génèrent de nombreuses sources d’humus (sarments, feuilles, rafles et marcs) pouvant être restituées au sol, de manière à compenser une partie des pertes par minéralisation.
Les sarments représentent notamment une ressource potentielle de 350 à 700 kg d’humus par hectare, avec un rendement en humus d’environ 170 kg par tonne et une production annuelle de 2 à 4 tonnes par hectare (selon la densité de plantation et la vigueur des vignes). La restitution des sarments au sol peut permettre de compenser ainsi près de 2/3 des pertes par minéralisation.
Cependant, ces restitutions ne sont généralement pas suffisantes pour assurer l’entretien de l’état humique des sols. L’apport régulier de matières organiques, sous forme d’amendements, s’avère donc souvent indispensable au maintien d’un stock d’humus satisfaisant.
Raisonner les amendements organiques
La nature biochimique des matières organiques constituant un amendement va fortement influencer son évolution au sol et par conséquent son effet sur la vigne.
Les molécules organiques complexes, type lignine et, dans une moindre mesure, cellulose et hémicellulose sont plus résistantes à la dégradation et évoluent vers les substances humiques, alors que les composés organiques solubles sont très rapidement utilisés par la microflore.
Le choix des amendements doit être raisonné selon 2 critères : la valeur humifère et la valeur fertilisante.
Valeur humifère et valeur fertilisante
La valeur humifère (ou rendement en humus) traduit l’aptitude d’un amendement à produire de la matière organique stable dans le sol. Elle varie en fonction de la nature de ses constituants et de leur degré d’évolution. Les matières organiques d’origine végétale ont une valeur humifère supérieure à celles d’origine animale, sources d’azote et d’éléments minéraux. Dans tous les cas, le compostage favorise la décomposition des matières organiques et l’apparition de précurseurs d’humus, améliorant ainsi le rendement humique des amendements.
La proportion d’un amendement qui sera potentiellement humifiée est donnée par l’Indice de Stabilité Biologique (ISB). La valeur d’ISB d’un amendement, comprise entre 0 et 1, est exprimée par rapport à son taux de matières sèches. L’ISB est fortement corrélé au coefficient d’humification K1 (ou coefficient iso-humique), utilisé auparavant.
Un amendement à ISB élevé (> 0,5) aura un bon rendement en humus stable. Au contraire, un amendement à ISB faible (< 0,3) aura plutôt pour effet de stimuler l’activité biologique (microorganismes) et de libérer des éléments disponibles pour la vigne.
Le rapport C/N (carbone organique sur azote organique) des matières organiques fraîches traduit leur teneur en composés résistants à la dégradation, riches en Corg. Ainsi, les matières organiques d’origine végétale sont généralement caractérisées par des C/N élevés, et ce d’autant plus qu’elles sont riches en lignine (sarments, pailles, marcs…).
Dans le cas des matières organiques compostées, le rapport C/N nécessite une interprétation différente.
La valeur fertilisante d’un amendement correspond, elle, à la teneur de l’amendement en éléments minéraux. Elle doit être prise en compte afin d’ajuster d’éventuels apports d’engrais complémentaires, selon les besoins de la vigne.
Choix des amendements
Dans l’optique d’une viticulture de qualité, tributaire d’une expression végétative et de rendements modérés, il est conseillé d’apporter des amendements de stabilité moyenne (ISB de 0,3 à 0,5) à élevée, pauvres en azote (faible valeur fertilisante), de manière à maintenir un stock d’humus satisfaisant dans le sol, tout en évitant les excès de vigueur.
Il existe une gamme très variée de produits commerciaux (NFU 44-051), aux caractéristiques et prix très variables. Ils doivent contenir moins de 3 % de chacun des éléments majeurs (azote, phosphore (P2O5) et potassium (K2O).
Les amendements « artisanaux », à base de fumiers, marcs et/ou déchets verts plus ou moins compostés sont très intéressants, à condition d’être analysés, de manière à être utilisés dans de bonnes conditions. Ils peuvent également être enrichis en poudres de roches et/ou phosphates pour améliorer leur valeur fertilisante.
Conclusion
Le recours à une fertilisation essentiellement minérale durant les dernières décennies a fortement contribué à accentuer l’appauvrissement naturel des sols en matières organiques. A l’heure actuelle, la plupart des sols viticoles présente un déficit en matières organiques, qui se traduit par une sensibilité accrue à la dégradation et des troubles de l’alimentation hydrique et minérale de la vigne, particulièrement nets en millésimes « extrêmes ».
De ce fait, l’entretien de l’état organique des sols, véritable pilier de la fertilité, s’inscrit comme une priorité dans le raisonnement de la fertilisation, afin de maintenir des conditions favorables à une alimentation hydrique et minérale régulée de la vigne et limiter les risques de dégradation des sols.