Sylvie Dupuy se souvient de cette « antre noire, ou plutôt cette grotte toute sombre, au fond de la cour, qui était envahie de mystère. S’en dégageaient des parfums subtils qui m’attiraient ». C’était l’époque où la distillation se faisait au charbon. Hommes et pierres en conservaient longtemps les stigmates, profondément gravés dans leurs épidermes. Rajoutez le voile de brume des petits matins glacés de la vallée du Né, le serpentin de fumée qui s’échappait des distilleries… vous aurez une idée de cette distillation charentaise, installée depuis des temps immémoriaux.
Travail patient
Bernard Peillon, P-dg de la société Hennessy et Yann Filloux, maître de chai, étaient aux côtés de Sylvie Dupuy le 2 septembre 2014 pour rendre hommage à ce travail patient et fêter les 200 ans de la distillerie. Le chef de la maison Hennessy a insisté sur les relations très fortes qui unissaient les deux familles. « Votre parcours est totalement exemplaire. Je crois qu’il s’agit certainement de la relation la plus longue et la plus privilégiée que nous ayons avec l’un de nos partenaires. Et cette relation s’est solidifiée au fil du temps. »
Bernard Peillon a bien sûr évoqué cette livraison d’eau-de-vie de François Yvon de 1814 qui signe la date anniversaire. Mais il a aussi parlé d’une livraison plus ancienne de nivôse an V (année 1796, autour de janvier) dont trace a été retrouvée dans les archives Hennessy. « Yvon fils » avait alors livré trois tierçons d’eaux-de-vie. Le début d’une longue série jamais interrompue de millésimes remarquables – 1830, 1887, 1888, 1890 et bien d’autres, plus contemporains. « Ces eaux-de-vie n’étaient pas juste correctes, elles étaient exceptionnelles » a souligné avec chaleur le P-DG d’Hennessy. Avant d’ajouter : « Cette envie d’exigence, d’excellence est l’une des valeurs que nous partageons entre nos deux familles. Et que nous transmettons. »
Permanence de relations
Se tournant vers Florent Dupuy, Bernard Peillon l’a assuré de la permanence des relations avec Hennessy et lui a souhaité de transmettre à son tour, dans un lointain futur, le flambeau à ses successeurs, « idéa-lement à l’un de tes enfants », a-t-il glissé en souriant. Il a remercié Sylvie Dupuy et à travers elle sa famille pour les deux siècles de collaboration fidèle. « Merci Sylvie pour toutes ces longues années ensemble. Je nous souhaite un très long avenir en commun. »
Yann Fillioux, on le sait, a la parole assez rare. Allait-il s’exprimer à l’occasion de cet anniversaire ? Il l’a fait, en homme de mémoire, en homme de terroir, totalement imprégné des arcanes régionales. « Pour moi, La Sauzade, c’est fort, c’est symbolique, a-t-il dit à l’adresse de Sylvie Dupuy. J’ai bien connu et beaucoup apprécié votre grand-père Robert et votre père, Charles, Charlie. Je me souviens de Robert, dans la distillerie, en train de jouer aux échecs entre deux coupes, entre deux décisions. Charlie m’a toujours frappé par sa connaissance, sa gentillesse et la façon qu’il avait d’apporter les bonnes solutions aux problèmes. Ils ont toujours eu à cœur de faire des eaux-de-vie de qualité. Non seulement ils ont assayé mais, surtout, ils ont réussi, ici comme à la Distillerie du Peu pour Charlie. Ces personnes ont marqué l’histoire qualitative de notre maison. A l’égard de votre grand-père, de votre père, un mot les résume, la sagesse. Oui, la sagesse est un mot qui leur va tellement bien. J’en ajouterais un autre, le talent. »
Partenaires de la maison
A l’occasion du 200e anniversaire de la Distillerie, Sylvie Dupuy et son fils Florent avait réuni les partenaires de la maison, ces viticulteurs de Petite Champagne, de Fins Bois (quelques viticulteurs de Grande Champagne) qui, de longue date, confient leurs vins à la distillerie Yvon. Fidèle à elle-même, Sylvie Dupuy leur a parlé sans
esbroufe ni grandiloquence, avec simplicité et profondeur, « en femme » pourrait-on dire, s’il ne s’agissait de faire ombrage à ces générations d’hommes aux commandes des distilleries.
« Deux cents ans pour cette grande dame, c’est un cap ! » a-t-elle lancé avec vivacité.
« Mon père Charles a fait grandir sagement cette distillerie. De deux chaudières, elle passa à quatre et puis, avec moi, de six à dix. Car les hasards de la vie m’ont amené à reprendre le flambeau. C’est avec conviction et détermination que je me suis sentie happée à mon tour par cette passion de la distillation. Elle vous habite, vous obsède, de novembre à avril. »
Elle a remercié son équipe, Béatrice, Christophe (Gaborit), les distillateurs et notamment Gilbert, avec une pensée pour les anciens, disparus. « Cette équipe, chaque jour et chaque nuit, contrôle cette transformation. Cette veille permanente honore votre confiance, à vous qui nous livrez votre vin, pour certains depuis plusieurs générations. L’obsession de la qualité est notre leitmotiv. Nous sommes fiers de contribuer pour une petite part à la renommée d’un grand Cognac qui sera dégusté dans le monde entier. Depuis 200 ans, la distillerie Yvon existe grâce à vous et pour vous, avec la confiance dont nous honore la société Hennessy. Nous poursuivons notre mission dans le respect des valeurs reçues en héritage mais surtout avec la passion qui nous anime tous pour ce produit. »
Avec humour et fierté, Sylvie Dupuy a déclaré que son fils Florent « venait d’être piqué par ce même virus ». Et que deux nouvelles chaudières venaient compléter les dix ins-tallées au fil des ans. « Levons nos verres. Fêtons ce bicentenaire et accueillons Florent dans son nouvel univers. »
Sylvie Dupuy, l’autre grande dame de la Distillerie de La Sauzade.
Avant de revenir en Charentes, en 1981, Sylvie Dupuy travaillait dans une maison d’édition parisienne, au studio de création. C’est plutôt en tant qu’épouse qu’elle pose ses valises en Charentes. Mais, très vite, en 1982, elle rejoint son père dans la société, d’abord au bureau (« au départ, l’armoire de la salle à manger » renseigne, amusée, l’intéressée) puis à la distil-
lerie. Le décès prématuré de son mari l’interroge – rester, ne pas rester ? Elle décide de poursuivre l’œuvre familiale. Aujourd’hui, l’arrivée de son fils la surprend et la ravie. « Je ne pensais pas qu’il reviendrait. J’ai l’heureuse surprise de le voir très attaché au patrimoine, aux valeurs de notre maison. » Auparavant, Florent Dupuy exerçais la profession de journaliste photographe. L’occasion de porter un nouveau regard sur l’activité.
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