Extension internet « .vin » ou « .wine » : Des voies de recours quasi épuisées

28 juillet 2014

Mauvaise nouvelle pour les Indications géographiques. L’espoir d’un contrôle sur l’attribution des extensions internet « .vin », « .wine » s’éloigne de plus en plus. A moins d’un miracle – ou d’une très forte pression politico-médiatique – les attributions se
feront « au plus offrant », avec toutes les dérives imaginables. Inquiétude de la CNAOC qui ne baisse pas les bras.

 

 

p28.jpgL’ICANN, l’organe mondial de régulation des extensions sur internet (le point quelque chose après le nom de domaine) a tenu sa dernière session à Londres, du 22 au 26 juin 2014. Compte tenu du calendrier, il s’agissait un peu de la réunion de la dernière chance pour les signes d’identification d’origine et de qualité. La France, chevalier blanc des Indications d’origine, a porté le fer toute seule ou presque. Cela n’a pas suffi. L’ICANN, l’organisme international sous tutelle du gouvernement américain, n’a pas bougé d’un iota. Sauf retournement copernicien – que rien ne laisse présager aujourd’hui – on se dirige donc vers une attribution des « .vin », « .wine » sans contrôle d’aucune sorte. Ne seraient à l’œuvre que les seules « forces de l’argent ».

Ouverture des extensions

Petit rappel des faits. En 2012, l’ICANN décide d’ouvrir le champ des extensions à 2 000 nouveaux suffixes internet dans les domaines les plus divers : villes (.paris), régions (.bzh), marques (.chanel), activités (.hotel), en caractères romains mais aussi arabes, cyrilliques, chinois… En ce qui concerne le vin, quatre sociétés anglo-saxonnes se positionnent : trois sur le
« .wine », un sur le « .vin ». Elles sont candidates pour payer – cher (200 000 e) – la délégation de ces extensions. Dans quel but ? Pour les rétrocéder à des « registrars » (bureaux d’enregistrement) partout dans le monde qui, eux-mêmes, les revendront aux particuliers ou aux entreprises intéressés par la réservation d’un nom de domaine se terminant par « .vin », « .wine ».

Dès le départ, le modèle économique est fondé sur une vente aux enchères des extensions, sans l’exercice d’aucun contrôle sur le bénéficiaire de l’attribution. L’emportera celui qui sera prêt à mettre le plus d’argent sur la table. Bien sûr, un haut-le-cœur saisit le monde des appellations viticoles, qui y voit la porte ouverte à toutes les dérives : un « bourgogne.wine » acheté par un affairiste de mauvais aloi, prêt à revendre le nom de domaine à prix d’or à la filière (technique du cybersquatting) ; ou encore le petit malin, totalement étranger à l’activité vin mais qui entend profiter de la notoriété de l’appellation pour la mettre au service de ses propres produits (usurpation d’origine, détournement de notoriété).

Protection à l’international

De longue date, les appellations viticoles se sont organisées pour protéger leurs noms à l’international. Ce fut d’abord tout l’arsenal des traités internationaux – Convention de Paris, Arrangement de Madrid, Arrangement de Lisbonne… – qui dès la fin du XIXe assure une protection croisée aux appellations d’origine. Puis est venue l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et ses règles de protection de la propriété intellectuelle, défendue par l’Union européenne. Qu’un tel corpus de textes, patiemment bâti par des générations de juristes et d’hommes politiques, se retrouve foulé au pied par l’ICANN, organe technique au service d’internet et sous contrôle des Etats-Unis, fait grimper au rideau les représen-tants des AOC viticoles. Ils se sentent pris au piège. En France, la CNAOC tire la première la sonnette d’alarme.

Après l’épisode de Londres, quelles pers-pectives se dessinent pour les nouvelles extensions « .vin », « .wine » ? Première chose : l’ICANN ne semble pas avoir renoncé au projet de les lancer sur la toile, malgré l’opprobre de la « vieille Europe ». Deuxième chose : l’espoir d’un règlement négocié s’éloigne à vitesse V. « Côté ICANN, nous sommes presque arrivés au bout de la négociation » confirme Pascal Bobillier-Monnot, le directeur de la CNAOC.

« Nous avons pratiquement épuisé toutes les voies de recours pour obtenir une délégation sous conditions, exceptée peut-être une procédure contentieuse devant un tribunal californien mais qui serait longue, d’un coût prohibitif – environ 150 000 € – et surtout d’un résultat très incertain. »

Pourtant le directeur de la CNAOC n’a pas totalement renoncé à ce qu’une discussion s’amorce avec les sociétés candidates à l’attribution des extensions « .wine », « .vin ». « L’une d’entre elles est toujours disposée à nous parler » dit-il.

En routier aguerri du lobbying, il sait aussi que l’on ne peut jamais présumer du résultat d’une négociation avant que celle-ci soit définitivement close. Les leurres, les faux nez, les écrans de fumée font partie du jeu. « Pour l’instant, le gouvernement américain ne donne pas l’impression de vouloir changer d’avis. Et bien entendu l’ICANN n’en change pas non plus. L’information officielle reste toujours la poursuite de la délégation sans condition. Reste que tout est possible. »

Avec les dents

Toutefois, à écouter le directeur de la CNAOC, si le dossier peut évoluer positivement, cela ne tiendra pas du miracle. Le changement de cap, si changement il y a, se gagnera avec les dents. « Si nous savons profiter de la présidence italienne du Conseil de l’UE, si nous savons travailler en réseau avec l’Espagne et l’Italie, si nous savons élargir le front de la contestation aux autres indications géographiques liées à l’alimentation (fromage, café…), si nous savons mobiliser l’opinion publique, si nous réussissons à obtenir de bons articles,
alors oui, nous aurons des chances de faire bouger les lignes. En sachant que ce sera un plan à cinq ans. Mais si le débat public fait flop, si les Etats membres montent au créneau de manière isolée comme ce qui s’est passé à Londres, l’issue sera sans surprise. »

Souriez, vous êtes pillés

Certains communiqués de presse ont déjà appelé au boycott des « .vin », « .wine ». A vrai dire, la menace semble quelque peu incantatoire. La délégation aux sociétés candidates n’est pas encore effective et le calendrier même pas fixé. Par ailleurs, la sphère viticole a tendance à traiter par le mépris les « .vin », « .wine ». Véritables ovnis, ils n’intéressent personne. On est même pas sûr qu’ils deviennent un jour les plates-formes du e.commerce efficientes. Mais attention ! Cela n’obère en rien la réa-lité du danger (cybersquatting, usurpation d’origine, détournement de notoriété…). Avec le dossier « .vin », « .wine », ce qui est vicieux c’est qu’il est en apparence indolore. Il avance masqué. Il frappera sans prévenir et sans même que les victimes soient au courant. Souriez, vous êtes pillés.

De cet épisode scabreux dans la vie des appellations, Pascal Bobillier-Monnot relève pourtant un élément positif : le coup de projecteur jeté sur le volet « Indications géographiques ». Alors que la discussion sur les accords TTIP (propriété intellectuelle) se poursuit entre les Etats-Unis et l’Europe, « le sujet, dit-il, est en passe de devenir une préoccupation majeure au sein de l’UE. »

 

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