Entraide : Mutuelle coup dur, la prévoyance solidaire

3 décembre 2012

La prévoyance sans bourse déliée : c’est la Mutuelle coup dur, désormais appelée Association coup dur, le mot « mutuelle » étant
réservé, paraît-il, au domaine de l’assurance. Le mouvement a connu son âge d’or dans les années 80. Pratiquement tous les cantons possédaient leur mutuelle coup dur. Certaines ont résisté grâce à leur esprit solidaire et convivial. C’est le cas de l’ACDR, l’Association coup dur du Rouillacais, qui fête, en 2012, son trentième anniversaire.

 

 

p54.jpg« Surtout pas de rémunération à la clé. La seule rémunération, c’est le “gueuleton” de fin d’année et encore, chacun paie sa part ! » Jean-Luc Boutin, président de l’Association coup dur du Rouillacais (ACDR), pose clairement le décor. La Mutuelle coup dur – décidément le terme Association a du mal à passer la rampe – s’exonère du système marchand classique. Ici, la règle est la réciprocité et encore, un échange sans contrepartie immédiate à la clé. C’est la main tendue « quand ça va mal chez le voisin ». En sachant que les autres feront de même pour vous. Le début des années 80 voit une floraison de mutuelles coup dur. Pratiquement chaque village, chaque canton possède la sienne. Les exploitations se développent mais restent encore fragiles et surtout familiales. L’argent est rare, la force de travail déterminante. Si cette force de travail vient à être mise à mal par un accident, une maladie, c’est le risque de dégringolade. « Un problème intervenait et tout s’effondrait. Une famille pouvait se retrouver en situation catastrophique » se souvient J.-L. Boutin. En mars 1982, la Mutuelle coup dur du Rouillacais voit le jour. Paul Lemerige, de Saint-Cybardeau, en est son premier président. A sa création, elle ne compte pas moins de 125 adhérents. Aujourd’hui, ils sont 37 membres. Mais l’association existe toujours, contrairement à d’autres, tombées en sommeil ou carrément disparues.

L’esprit de la « Mutuelle » n’a pas changé d’un iota. « Une opération chirurgicale, un lumbago, une jambe cassée, un accident, un décès… N’importe quoi. Le but consiste à ne pas laisser l’exploitant dans le désarroi. »

« Normalement, précise le président de l’ACDR, l’association coup dur va jusqu’à la récolte. Ensuite, le conseil peut décider de pousser un peu plus loin. Cela s’examine au cas par cas. »

Le conseil, dans une mutuelle coup dur, c’est un peu l’assemblée des sages, la figure tutélaire. Il détermine le degré d’urgence des travaux, décide du meilleur mode d’intervention. Vaut-il mieux faire appel à dix personnes pendant une demi-journée ou mobiliser toute la compagnie ?

L’échelon local est privilégié

En règle générale, quand les travaux ne durent pas longtemps, il est d’usage de les traiter au niveau de la commune, avec l’appui éventuel de la commune limitrophe. Les gens du coin règlent le problème entre eux, en toute autonomie. Si jamais le chantier s’avère plus important, on peut ratisser plus large.

Quand l’association drainait 120 adhérents, il était facile de trouver de la main-d’œuvre. A 30 ou 40, il faut jouer plus serré, d’autant que les surfaces restent les mêmes. « Les agriculteurs ont de moins en moins de temps disponible » reconnaît le président de l’association. Aujourd’hui, la tendance consiste donc à être plus nombreux, sur un temps plus court : une demi-journée à dix plutôt que deux jours à cinq. Et quand il y a plus de travail, il arrive de monter à 25-30.

Sollicite-t-on souvent l’ACDR ? « Nous sommes parfois deux ou trois ans sans intervenir et nous pouvons agir deux fois dans le même trimestre » indique Jean-Luc Boutin. Par définition, le pépin ne prévient pas. Le président de l’association se souvient d’un grave accident ayant entraîné la mort de la personne. Le viticulteur était tombé dans une cuve et ne s’en était pas relevé. « Il a fallu assumer le suivi cultural pendant une année. » Heureusement, tous les accidents ne se terminent pas aussi mal. Un viticulteur a eu une pleurésie en début de printemps : trois semaines à ne pas pouvoir mettre le pied dehors. Des adhérents sont allés vérifier les piquets, clouer les pointes, tendre les fils. Dès que le viticulteur s’est remis, il a pu attacher. Un autre s’était cassé les deux bras à quelques jours des vendanges. Sa femme a géré seule la récolte, avec l’appui de la cuma. Mais l’association est allée lui donner une demi-journée en fin de période.

En zone viticole, le gros des interventions de l’association coup dur tourne autour de la taille, du tirage des bois, de l’attachage. Les traitements phytosanitaires relèvent d’une logique un peu à part. « On le fait mais c’est un adhérent qui va s’en charger, avec son propre matériel, pour ne pas risquer de faire des bêtises avec un équipement qu’il ne connaît pas. » Exceptionnellement, dans ces cas-là, il y a échange d’argent ou, plus exactement, le viticulteur qui reçoit de l’aide fait le plein de gas-oil du tracteur. Quant à la distillation, l’association n’y touche pas. « On se contente de mettre le système en sécurité et ça s’arrête là. »

Si l’association coup dur fonctionne léger, la structure présente l’intérêt d’offrir un cadre à l’entraide. « La solidarité informelle entre voisins c’est bien… et parfois pas bien. Quand on est dans la m… il faut être sûr de pouvoir compter sur les autres. »

« Du gagnant/gagnant »

Avec l’association coup dur, c’est du « donnant-donnant », du « win-win » (gagnant/gagnant) comme on dit aujourd’hui. Le « deal » de la mutuelle coup dur ! Rendre et rendre de façon équilibrée. C’est pour cela qu’en ce qui concerne l’adhésion à une mutuelle coup dur, le préavis de trois mois existe. Pour profiter de la mutuelle coup dur, il faut avoir fait la démarche au préalable. Ce serait un peu trop facile d’adhérer le jour de l’accident.

A vrai dire, le temps où des gens « usaient et abusaient » de la mutuelle coup dur semble révolu. En 2012, il ne viendrait à l’idée de personne de demander aux collègues de couper son bois de chauffage. De telles demandes pouvaient exister dans les années 80. La notion de prévoyance a évolué. Aujourd’hui, la prévoyance, c’est quand même « d’assurer un revenu en amenant la récolte jusqu’au bout ».

Le plaisir de travailler ensemble

Ces quelques considérations étant dites, une chose persistera toujours : le plaisir de travailler ensemble. A chaque chantier, « tout le monde rigole ». Même les aînés, à la retraite, se joignent à la troupe, histoire de retrouver l’ambiance. Une ambiance qui culmine le jour de l’AG. La quasi-totalité des adhérents s’y rendent, le plus souvent accompagnés de leurs épouses (prix du repas : 15 €, à la charge des adhérents). Le programme est immuable : réunion à 18 h, apéritif à 19 h et dîner, toujours à la même adresse, l’Auberge des Fins Bois à Rouillac. Autre « incunable » de la réunion : le tirage de la tombola.

En 1982, la cotisation à la mutuelle s’élevait à 10 € par personne. Elle est passée, trente ans plus tard, à 5 € par individu et par an. Si l’on décompte le coût de l’assurance responsabilité civile souscrite par l’association, la marge est de… 1 € par adhérent. Qui dit mieux !

La seule question qui fâche – ou plutôt qui chagrine – est celle du renouvellement des générations. « C’est très compliqué » admet le président de l’ACDR. « Avec l’association coup dur nous sommes uniquement dans le “physique”. Nous pallions les difficultés d’exécution des travaux. Or les chefs d’entreprise, à la tête de grosses structures, sont de plus en plus des gestionnaires. Nous ne parlons pas tout à fait le même langage. » En 2012, deux ou trois nouveaux ont cependant poussé la porte de l’association.

Adaptée à son époque ?

De manière un peu provocatrice, on peut se demander si la mutuelle coup dur est encore dans l’air du temps ? Des solutions alternatives existent comme la mécanisation, le recours aux salariés, aux ETA… Ceci dit, tant qu’il y aura des vignes, le tout mécanisable trouvera ses limites. En céréales, par contre, les associations coup dur sont déjà passées à la trappe.

Ensuite, toutes les exploitations ne comptent pas trois ou quatre salariés. Restent de nombreuses structures familiales sans salarié ou avec un salarié unique.

Enfin, les associations coup dur sont « gratuites ». Ce n’est pas la moindre de leur qualité dans un monde où l’argent circule vite mais où le manque d’argent vous rattrape aussi sans ménagement.

Dans la mutuelle coup dur, c’est l’échange qui prévaut. Un échange prétexte à protéger son revenu mais peut-être et surtout à susciter du lien entre ses membres. Quelque part, échange et générosité vont de pair. « Derrière les échanges, ce sont les personnes qui sont importantes. » Un concept d’une indéniable modernité, illustré par les SEL (Systèmes d’échanges locaux) et tout le mouvement des « alter ». Sans faire de bruit, les mutuelles coup dur agricoles seraient-elles des précurseurs ?

Les communes couvertes par l’ACDR
Bonneville, Mareuil, Montigné, Plaizac, Rouillac, Saint-Cybardeau, Sonneville, Vaux-Rouillac.
Pour la plupart d’entre elles, ces communes adhèrent à la mutuelle coup dur. Pourtant, certaines communes ne sont pas adhérentes. Elles apparaissent tout de même dans cette liste, dans la mesure où l’ACDR y compte des membres
.

Le conseil de l’ACDR
Président : Jean-Luc Boutin (Rouillac).
Trésorier : François-Jérôme Prioton (Auge-Saint-Médard).
Secrétaire : Philippe Roy (Rouillac).
Membres : Jean-Marie Rabillet (Auge-Saint-Médard), Stéphane Drouet (Plaizac),
Gérard Guillien (Bonneville), Laurent Danjou (Bonneville), Jocelyne Aubouin (Rouillac), Christophe Gallenon (Bonneville), Christophe Turpeau (Rouillac), René Biay (Vaux-Rouillac), Nicole Nicolas (Rouillac).

 

 

 

 

Système d’échange local  (SEL)
Le premier système d’échange local français a vu le jour en 1994, en Ariège. Il s’agit d’associations dont les adhérents, souvent voisins, échangent des biens et des services sans notion d’argent. Ils choisissent une autre unité de valeur, qui leur est propre. L’objectif est de permettre à tous les membres d’avoir accès, de façon égalitaire, aux biens et aux services et, au passage, de retisser des liens de solidarité.
Il existe aujourd’hui environ 380 SEL dans toute la France. Le département de Charente-Maritime en compte une douzaine, beaucoup sur la côte (La Rochelle, L’Eguille, Bourcefranc, Etaules, Rochefort, Le Château-d’Oléron, Rochefort, Royan…), mais aussi dans les terres (Saintes, Saint-Jean-d’Angély) et, plus surprenant, dans un petit village près de Pons, Chadenac. Même chose en Charente où parmi les quatre SEL, un se situe à Mareuil, près de Rouillac, les trois autres étant à Mansle, Cognac et Angoulême.

 

 

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