Enquête antidumping chinoise sur les eaux-de-vie de vin européennes : la filière Cognac explore une sortie par engagements de prix

16 juin 2025

Nina Couturier

Une négociation à l’image des producteurs de volaille brésiliens en 2019

Alors que le cognac fait l’objet d’une enquête antidumping en Chine depuis janvier 2024, les professionnels de la filière négocient actuellement des engagements de prix pour éviter l’imposition de droits définitifs. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle adoptée en 2019 par les exportateurs brésiliens de volaille, dans un dossier similaire. Retour sur ce précédent, dont les mécanismes éclairent les discussions en cours.

Antidumping sur la volaille brésilienne : que s’était il passé à l’époque ?

L’affaire des droits antidumping sur les produits de poulets de chair à plumes blanches en provenance du Brésil a débuté le 18 août 2017, lorsque le ministère du Commerce de la République populaire de Chine a annoncé, l’ouverture d’une enquête officielle. Celle-ci a été conduite conformément aux dispositions du Règlement antidumping chinois. L’enquête visait à déterminer si les produits importés étaient vendus à un prix inférieur à leur valeur normale sur le marché chinois, et si ces pratiques avaient causé un dommage à l’industrie nationale, ce qui n’est pas sans rappeler l’enquête en cours sur les eaux-de-vie de vin européennes.

Après plus de dix-huit mois d’investigation, comprenant une phase préliminaire et des échanges avec les parties concernées, les autorités chinoises ont rendu leur décision finale le 15 février 2019. Cette décision a alors confirmé que les produits brésiliens faisaient l’objet d’un dumping avéré. Il a également été établi que ce dumping avait causé un préjudice substantiel à l’industrie chinoise du poulet de chair à plumes blanches, notamment en termes de parts de marché, de rentabilité et de contraction de la production nationale.

Sur la base de ces constats, les autorités ont décidé de mettre en œuvre des mesures correctives. À compter du 17 février 2019, des droits antidumping ont été appliqués aux importations de ces produits en provenance du Brésil, pour une durée de cinq ans.

La décision finale rendue par le ministère du Commerce chinois en février 2019 prévoyait par ailleurs une alternative aux droits antidumping, formalisée pour certaines entreprises brésiliennes : l’engagement de prix.

Engagements de prix : un levier déjà accepté par Pékin

Le dispositif des engagements de prix, prévu par le Règlement antidumping chinois, permet à un exportateur de proposer un prix plancher pour ses marchandises, évitant ainsi l’application des droits, à condition que ce prix soit respecté à l’export.

Quatorze entreprises brésiliennes ont formulé une demande en ce sens. Après analyse de la solidité et de la faisabilité des propositions, les autorités chinoises ont accepté les engagements de prix présentés par ces sociétés.

Concrètement, cela signifie que les produits de poulets de chair à plumes blanches exportés par ces entreprises vers la Chine n’étaient pas soumis aux droits antidumping, à condition de respecter les prix minimums fixés dans l’engagement. Cette exonération était cependant conditionnelle : en cas de non-respect – par exemple, vente à un prix inférieur au seuil négocié – ou de résiliation de l’engagement par l’entreprise ou par l’autorité chinoise, les droits antidumping définis dans la décision finale devenaient immédiatement applicables, sans période de grâce.

Ce mécanisme a permis de maintenir un canal d’exportation ouvert pour les entreprises brésiliennes concernées, malgré un contexte commercial tendu. Il a également offert aux autorités chinoises un moyen de contrôler les prix à l’importation sans recourir à une interdiction totale ou à une taxation uniforme.

Les produits visés par la mesure de 2019 étaient clairement définis : poulets entiers, découpes, sous-produits, qu’ils soient frais, réfrigérés ou congelés. Les produits cuits, en conserve ou transformés différemment étaient exclus.

Un précédent pour comprendre ce qui se prépare aujourd’hui pour la filière Cognac

Confrontée à une procédure antidumping entamée par la Chine en janvier 2024, la filière Cognac se trouve, en 2025, dans une situation comparable à celle qu’ont connue les exportateurs de volaille brésiliens des années plus tôt. À l’origine du contentieux, une réaction de Pékin aux mesures commerciales prises par l’Union européenne, notamment les surtaxes sur les véhicules électriques chinois. En réponse, le cognac a été ciblé par une enquête antidumping, débouchant sur l’instauration de droits provisoires dès le mois d’octobre 2024.

Ces droits temporaires, s’élevant en moyenne à 34,8 %, ont eu un effet immédiat sur les exportations françaises. Le marché chinois, deuxième débouché du cognac, s’est brutalement contracté.

Dans ce contexte, et sans reconnaître l’existence de pratiques de dumping, la filière a collectivement opté pour une stratégie de négociation avec Pékin. L’objectif est clair : parvenir à un accord sur des engagements de prix, similaires à ceux mis en place pour la volaille brésilienne en 2019. Ces engagements consisteraient à définir un prix plancher à l’exportation vers la Chine, en dessous duquel aucun Cognac ne pourrait être vendu. En échange, les entreprises concernées échapperaient à l’imposition des droits définitifs, dont la mise en œuvre est envisagée pour juillet 2025. Cette démarche, soutenue par le BNIC, vise à préserver un accès au marché chinois dans un cadre encadré, sans interrompre totalement les échanges commerciaux.

Elle repose sur une logique de compromis : entre la protection revendiquée par la Chine pour son marché intérieur et la nécessité, pour les exportateurs français, de maintenir leur position sur une zone stratégique.

Une mesure transitoire, non une solution durable

Dans le dossier de la volaille brésilienne, les engagements de prix ont permis de maintenir un certain niveau d’échanges commerciaux avec la Chine, mais sans pour autant clore le contentieux sur le fond. Le mécanisme d’engagements a donc agi comme une soupape temporaire, offrant une voie de contournement partielle aux entreprises, sans modifier les causes profondes du conflit commercial.

C’est dans cet esprit que la filière Cognac aborde aujourd’hui les discussions avec les autorités chinoises. La perspective d’un engagement de prix est envisagée non comme une solution de fond, mais comme un instrument de gestion de crise. Il s’agit de limiter les dégâts économiques immédiats et de préserver, tant bien que mal, une présence sur le marché chinois.

A ce titre, les représentants de la profession soulignent que cette démarche ne saurait être interprétée comme une normalisation de la situation. Les pertes déjà enregistrées depuis l’instauration des droits provisoires — chute brutale des ventes, rupture des contrats commerciaux, désorganisation logistique — ne seront pas compensées. La solution par engagement de prix est alors perçue comme une mesure d’attente, une façon de contenir temporairement les effets d’un différend politique et économique plus large, mais non comme un règlement durable. À ce titre, elle appelle à des développements ultérieurs, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, pour rétablir un cadre d’échanges serein.

Le blocage du duty free : une entrave toujours au cœur des préoccupations de la filière Cognac

Au-delà des discussions techniques autour des engagements de prix, un autre point de crispation majeur demeure pour la filière Cognac : le blocage total du marché chinois du duty free depuis le 1er décembre 2024. Cette fermeture unilatérale, intervenue sans préavis, a porté un coup particulièrement dur à une filière déjà fragilisée par l’enquête antidumping et les surtaxes provisoires.

Le duty free représentait jusqu’à 20 % des ventes de Cognac en Chine, soit près d’un cinquième des volumes écoulés sur ce marché stratégique. Cette part n’est pas seulement significative en termes de chiffre d’affaires : elle l’est aussi en termes d’image de marque, de positionnement premium et de rayonnement international. Le canal duty free, présent notamment dans les aéroports, les hubs commerciaux transfrontaliers et certaines zones économiques spéciales, permettait aux maisons de Cognac d’atteindre une clientèle à fort pouvoir d’achat, friande des eaux-de-vie charentaises.

À ce jour, cette mesure ne relève pas du cadre des négociations sur les engagements de prix. Elle reste une décision administrative propre aux autorités chinoises, sans lien juridique direct avec la procédure antidumping en cours. Pourtant, pour les opérateurs, il s’agit d’une priorité tout aussi urgente. Le rétablissement de l’accès au duty free est considéré comme une condition indispensable au retour à une dynamique commerciale viable sur le marché chinois.

Le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) a exprimé à plusieurs reprises sa « demande pressante » de levée immédiate de cette restriction, soulignant que le duty free représentait un pilier essentiel du déploiement commercial en Asie. Sans accès à ce canal, même les entreprises qui parviendraient à négocier un engagement de prix ne retrouveraient qu’une fraction de leur capacité d’action sur le marché.

En l’état, la réouverture du duty free apparaît comme une revendication distincte, mais complémentaire des discussions tarifaires. Elle souligne que les enjeux actuels du cognac en Chine ne se limitent pas à des considérations de prix ou de quotas, mais touchent aussi à la liberté d’accès aux canaux de distribution, à la visibilité des marques françaises et à la capacité de maintenir un lien direct avec le consommateur chinois.

Une négociation sous surveillance européenne

La situation du cognac est étroitement liée au contexte commercial entre la Chine et l’Union européenne, notamment sur le dossier des véhicules électriques. À ce titre, les négociations bénéficient d’un appui politique plus large. Pour Florent Morillon, président du BNIC, « Les négociations en cours progressent favorablement, et nous espérons leur finalisation prochaine. Elles ont été rendues possibles par la reprise du dialogue entre la Chine, la France et l’Union européenne sur notre dossier et nous exprimons notre reconnaissance aux autorités françaises et européennes pour leur engagement à nos côtés ».

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