En ligne et des les verres : le Pineau fait peau neuve

10 avril 2019

La Rédaction

Le Pineau des Charentes pourrait être un Magnificat. Si le Cognac se réserve la part des anges, il « fit pour moi des merveilles  » chanterait le Pineau. Sans être le parent pauvre des Charentes, le vin de liqueur local poursuit son existence sous l’ombre portée du Cognac, aujourd’hui en pleine extase, dans des vases communicants, autant physiques qu’imagés.

 

 

 

À chacun son identité, Pineau et Cognac liés

 

 

 

« Les producteurs de Pineau sont producteurs de Cognac, et vendent les deux. La santé des marchés du Cognac a une influence sur le comportement de nos opérateurs. Cette année la fabrication est un peu en retrait pour diverses causes : appétit du Cognac et cause climatique. En 2018, il n’y a pas suffisamment de Cognac pour élaborer du Pineau », explique Claire Floch, la directrice du Comité National du Pineau des Charentes, CPNC. Cependant, la relation n’est pas déficitaire. « Nous avons nos stocks, nos besoins », tempère-t-elle. Xavier Briois, président du CNPC, tient à ne pas mélanger les deux flacons locaux. « Le Cognac et le Pineau ont des territoires différents. Il y aura toujours des ascenseurs, des retours mais le Pineau a sa propre identité et sa propre vie. Il existe des profils particuliers qui méritent d’être valorisés.

 

 

 

Le nouveau site Internet, une plateforme de vente et de promotion

 

 

 

Dans cette optique, le CPNC a œuvré à l’élaboration d’un nouveau site Internet, www.pineau.fr. Le site entre dans la gastronomie avec les conseils d’un sommelier pour le choix des Pineaux, ou par style (couleur, âge, vieillissement) ou par accords gustatifs. Comment furent sélectionnés les producteurs ? « L’idée est de laisser libre choix à chaque partenaire pour mettre le produit en ligne, car chacun est propriétaire de sa communication. Nous exprimons l’idée de pluriel au niveau du Pineau (produits frais, élaborés, vieux, très vieux), par une palette de produits importants », détaille Xavier Briois.

 

 

 

Dynamiser le vente en ligne, les domaines maîtres de leur logistique

 

 

 

Ainsi, chaque partie a gardé ses spécificités en évitant le mélange des genres et des rôles « Nous avons ouvert l’accès au site à tous les vendeurs (en bouteille) de Pineau des Charentes. Voulez-vous venir jouer moderne et entrer dans notre vitrine ? Des opérateurs sont un peu frileux avec la vente en ligne, car la règle mise en place est que le comité ne s’est occupé "que" du magasin (du support), nous nous occupons ni du transport ni de la livraison. Les vignerons restent maîtres, libres des produits mis en ligne et de leur expédition. Nous nous occupons de l’interface et non de la logistique, car ce n’est pas notre métier. Chaque opérateur qui a répondu présent a choisi les produits qu’il a voulu mettre en avant. Nous avons simplement suggérer trois produits ou plus et des produits particuliers, mais pas uniquement. » Au niveau technique, un photographe s’est occupé de la mise en image et les textes furent harmonisés pour le site garde une clairvoyance et une uniformité dans la diversité des maisons et des produits présentées, « afin de se rapprocher de la relation vendeur/acteur », précise Claire Floch. « Nous avons demandé aux producteurs de rédiger un texte pour chaque produit. Fin 2018 était vraiment le lancement, nous devons en faire la promotion et les membres se l’approprient. Ce fut le gros projet d’avant Noël, nous allons le porter toute cette année 2019. » Ainsi, ce sont 65 vendeurs et 164 Pineaux différents qui se sont retrouvés sur le site de l’interprofession.

 

 

 

Une cible privilégiée, les 35-50 ans

 

 

 

Les évolutions modes de consommation ont poussé les professionnels du Pineau à s’adapter également, à affiner leur cœur de cible. « Le premier axe est la cible : 35 ans, CSP +, milieu urbain. Ensuite, il nous fallait atteindre cette population. Nous avons modifié notre moyen de communiquer, en misant sur les réseaux sociaux car ce type de consommateur utilise davantage cette façon de communiquer que le média papier habituel. C’est un enchaînement logique. Nous sommes sur de la communication, la commercialisation numérique (notamment Facebook) », explique Xavier Briois. Sans s’être substitué aux domaines, l’interprofession se positionne comme un soutien dans une époque où les vignerons voient leur métier se diversifier dans nombre de nouvelles activités : viticulteur, fiscaliste, juriste, communiquant, comptable, commercial, ingénieur, agronome, spécialiste en matériel (liste non exhaustive élaborée lors de l’entretien tripartite au Comité). Ainsi, le CNPC s’occupe d’une partie de la visibilité sur Internet et la gestion des réseaux sociaux ou, en langage marketing, Community Management (excusez cet anglicisme). « Nous avons acheté des espaces sur des sites Internet de magazine d’actualité (type Le Point). Quand vous regardez les statistiques des gens qui achètent du vin et des spiritueux (et même des produits alimentaires et agroalimentaires) sont plus une population 35-50 ans qu’une population 20-35. Nous avons une réelle visibilité sur ces sites. Facebook est le réseau des moins jeunes, avant que tout le monde parte des réseaux sociaux », sourit la directrice du CPNC. « Nous demandons à tous les viticulteurs sur ces sites d’être des relais. »

 

 

 

Un réseau de distribution au-delà du triangle d’or – sud de Brest jusqu’au nord de Bordeaux jusqu’en Dordogne

 

 

 

La zone d’épanouissement du Pineau reste très ancrée par l’enracinement de son produit. Très à l’aise sur ses terres, la boisson de l’ouest français aimerait se développer davantage hors de ses frontières historiques. « Nous avons communiqué sur des postes très différentes, ce constat de manque de présence à l’extérieur, non pas de la région, mais d’un arc atlantique, du sud de Brest jusqu’avant Bordeaux. Nous avons vu, notamment à Paris, que les gens achèteraient probablement des produits s’ils les achetaient tout de suite. Comment pouvons-nous faire face à ce nouveau commerce qui ne remplace pas le commerce à la propriété ou dans les magasins – rien ne remplacera jamais la vente directe, la relation entre le producteur ou le négociant et son acheteur – néanmoins il faut que nous trouvions le moyen de se rapprocher le plus possible de cette relation en restant dans l’air du temps (acheter sur Internet), et surtout en restant maître du sujet, en créant le magasin. Hors région, les bars et restaurants nantais ont donné la meilleure réception. Nantes est une zone facile et de grande proximité, l’accueil fut très favorable. La carte régionale est très importante », détaille Claire Floch. Ce dynamisme fait écho chez le président de l’interprofession, par une manière différente de préparer cette extension. « Il est toujours intéressant d’ouvrir de nouveaux médias à toute une population, des vendeurs directs, tous n’ont pas de site Internet. Cela entre dans une logique, de changer de paradigme, de changer des habitudes de distribution en montant un réseau. Monter un réseau de distribution représente 10 ans de travail, cela va plus vite avec ce type de plateforme mais se laisser le temps de la voir progresser », explique Xavier Briois, également directeur du pôle viticole et grand public du groupe Océalia.

 

 

 

Création d’un nouvel instant Pineau, l’évolution de la consommation de l’apéritif et de l’alcool

 

 

 

Dans une évolution des goûts et des consommations, vers une tendance à moins de diversité et des goûts sucrés, la place de chacun se trouve quelque peu bouleversé. « L’instant de l’apéritif a complètement volé en éclats ces dernières années  ; il y a davantage des notions d’apéritif dînatoire ou une consommation qui continue sur le repas. Nous avons dû recréer un instant et une manière de consommation. » L’autre point d’ancrage réside dans la nature même des boissons, alcoolisées ou non. « Les boissons se consommant le plus en France sont des sucrées : les sodas, les cocktails (à part celui de James Bond), notamment le Spritz », explicite la directrice. La problématique première était celle du fort taux d’alcool, 17°C, par rapport à d’autres boissons qui accompagnent les repas du début à la fin. « Depuis un an, nous avons développé la notion de Pineau glace : une sensation moins importante de sucre et une sensation de baisse d’alcool et de fraîcheur, du fait que nous pouvons le consommer plus longtemps. »

 

 

 

Élargir le temps, l’espace et la fréquence, l’autre défi du Pineau

 

 

 

À côté de l’élargissement, lié, du territorial et de la saisonnalité, l’idée de ne plus estiver le Pineau mais de développer l’ouverture des flacons au-delà. « Clients réguliers, ces fidèles ne savent pas où commander. Une partie des vendeurs font des salons, mais les jeunes générations de vendeurs directs n’ont pas forcément cette envie. Le site répond à toutes ces préoccupations. Le site est la boutique itinérante que les gens vont pouvoir retrouver au retour de vacances », annonce la directrice de l’interprofession. « Pour 2019, que les personnes qui consomment du Pineau en vacances en boivent le reste de l’année et continue à l’aimer. Axer une partie de la communication, le Pineau entre août et Noël », confirme son président. Conscients que « l’interprofession ne peut porter tous les modes de consommation », les dirigeants tablent sur une mise en avant d[u] site. » Le Pineau est synonyme de labeur. « C’est une autre approche et une autre problématique que le Cognac. Que les producteurs et vendeurs en soient fiers. Nous sommes humbles mais fiers. » De cette litanie heureuse, les forces du Pineau cherchent à retrouver l’historique procession de l’ivresse provenant de leur flacon, typique et atypique.

 

 

 


Demain dès l’aube : le domaine Pinard, 18 hectares bios à Foussignac

 

 

 

En vitiviniculture biologique depuis 1969, le domaine Pinard reste un précurseur en terme de vision et d’innovation dans le monde du Pineau. Aux rendements limités à 45-50 hl/ha, le domaine en agriculture biologique ajoute un long élevage, « 5 ans minimum de vieillissement pour les Blancs », précisent les frères Pinard, sans même ajouter de soufre durant la vinification ou l’élevage.

 

Déclinaison des approches

Fêtant la cinquième décennie de culture biologique, le domaine garde l’esprit du pionnier familial. «Notre grand-père est passé au bio pour élaborer des produits de qualité. Les méthodes ont un sens. Le blanc, notre colombard accompagne l’ugni blanc s’il est bien mûr. Nous avons un rouge assez fruité, et, au final, les clients retrouvent du goût pour le rosé.» Malgré un possible rebond au niveau du marché français par la tendance et la mode des produits enracinés et des vieux apéritifs, « le bio n’est pas l’élément principal, c’est du complément, mais contrairement au vin, les gens ne viennent pas chercher des alcools bios. C’est probablement un problème de masse critique ».

 

D’autres réseaux de distribution

La vente s’effectue hors de la grande distribution, plutôt dans les magasins bios et beaucoup chez les particuliers. « En vente directe, si les gens font l’effort de goûter, généralement ils achètent, et ce pour le même prix qu’une bouteille de vin. » La clientèle est « vieillissante », et le domaine cherche à y mettre « un coup de jeune ». Le Pineau reste « un produit compliqué, un produit de producteur, le négoce a du mal à trouver sa place. Il y a un cahier des charges très contraignant. » Ainsi, le défi est de trouver de nouveaux débouchés, de nouvelles clientèles. « Avec une clientèle fidèle, les gens continuent, sans cette clientèle particulière ou des débouchés très solides, quel intérêt pour les opérateurs de faire du Pineau ? Ils seraient plus intéressés de faire une autre gamme de Cognac.

 

Détrôné de l’apéritif

Outre le contexte du Cognac roi, la destitution du moment apéritif pèse lourd dans la chute de consommation du vin de liqueur charentais. « Il y a vingt ans, le Pineau était réellement l’apéro. Quand est sorti le Cognac Canada Dry, avant le Cognac Tonic, les consommations de Pineau ont chuté, à ne plus du tout en consommer, jusqu’à 80% du Cognac allongé plutôt que du Pineau des Charentes », explique la fratrie Pinard. Si les consommations ont évolué dans la plus jeune génération, l’explosion des foires et des salons a également contribué à cette évolution. « La baisse des ventes s’explique aussi par une augmentation du nombre de produits ». Ce genre de manifestation s’étant démocratisée, les apéritifs aux fortes identités locales et le retour des apéritifs classiques (comme la gentiane ou le Lillet) font concurrence au Pineau. Tous restent prophètes en leur pays.

 

Délicat contexte juridique

« En 2019, il faut déjà connaître vos volumes 2020 & 2021 ainsi que les parcelles habilitées. Vous en mettez plus et vous ne pouvez plus passer au Cognac. » Avec l’affectation parcellaire, les domaines doivent être assurés de leurs ventes sur deux ans, ce qui freine leur velléités. « Certains sont d’accord de faire un peu moins de plus-value pour ouvrir un débouché supplémentaire. Ce sera peut-être moins vendu que le Cognac mais au moins existe débouché-là, mais ficelé comme aujourd’hui, ils se sont un peu mis une balle dans le pied. » Aragon disait déjà : « Il n’y a pas d’amour heureux. » Au côtés de la Diane charentaise, le Pineau cherche à chasser ses mauvais lunes.

Plantation 2019 : le tout petit contingent Pineau

 

Le 25 octobre 2018, en alliance avec la Fédération des Interprofessions du Bassin Viticole Charentes-Cognac, la préfecture de la région Nouvelle-Aquitaine a publié un communiqué de presse intitulé « Conseil de bassin viticole Charentes-Cognac ».

 

Dans un contexte de forte hausse des ventes de cognac (+8,2 % en volume sur la campagne 2017/2018 vs 2016/2017), le Conseil de Bassin Charentes-Cognac a acté les demandes de contingents suivantes :
– 3 474 hectares pour le Cognac ;
– 1 hectare pour le Pineau des Charentes ;
– 30 hectares pour les Vins IGP Charentais
.

 

Si les vins IGP représentent péniblement un tout petit pourcent, 0,8-0,9% , les plantations de vignes pour le Cognac ressemble à sa part à l’export, près de 99%. Quant au Pineau…

 

Domaine Rousteau : une autre manière de vivre vieux

 

Au domaine Rousteau, le mot « vieux » prend toute son élégance et toute sa force. Entouré, à Corme-Royal, de ses 18 hectares de vignes, à côté des eaux-de-vie, la famille travaille le Pineau, blanc et rosé, dans la longue durée.

 

Le temps fait bien à l’affaire

Adepte de traditions de plus de huit décennies, Philippe Rousteau travaille les fûts tels que son beau-père, et le frère de celui-ci, les ont installés. « ls ont commencé du Pineau à vendre à Paris dans les années 1935-1936. Cela partait en dame-jeanne, enveloppé dans de la paille », s’amuse-t-il à raconter.

Le travail sur les vieux Pineaux reste l’essence de la maison. En l’état depuis le début des années 1930, le chai présente un sol en terre battue, « pas le plus pratique », reconnaît, goguenard le maître des lieux, mais très utile pour conserver une atmosphère humide. Et cet air frais s’avère stratégique pour l’élaboration des flacons charentais. « Nous ne sommes pas sur du Pineau de 5 ans. Quand je suis arrivé, ils faisaient du 7-8 ans et du hors-d’âge, 25 ans. Notre clientèle y était attachée, et je ne voyais pas l’intérêt de changer. Qui dit changer de produit dit changer de clientèle. (Par les temps qui courent, c’est différent.) Il y aune dizaine d’années, c’était tentant, car nous pouvions en vendre beaucoup plus. Aujourd’hui, quand nous avons notre clientèle, il faut la garder. J’ai une clientèle qui est très attachée à ces vieux produits. Je ne mets aucun intrant. Je mélange au moment des vendanges jus de raisin et Cognac, et le temps fait ce qu’il a à faire. »

 

Dura lex sed délicatesse

Au niveau du cahier des charges, le vigneron indépendant garde une approché méliorative. « J’aime bien les règles. Je me sens plus fort par rapport au client. Il faudrait peut-être le mettre plus avant, le synthétiser (telle la maquette du Vigneron Indépendant). Un petit concentré, on pourrait l’afficher et le montrer aux clients, que nous en profitions », explique-t-il.

Travaillant le vin en délicatesse, l’équipe porte attention à chaque étape de l’élaboration. « Je travaille beaucoup par gravité, j’évite de travailler à des pompes, afin de ne pas ré-oxygéner. On la prend de temps en temps mais j’évite de brasser les fûts avant de faire des mises, je les brasse un ou deux ans avant », raconte le père, désormais installé avec son fils. Entre les Pineaux de 5, 10 et 25 ans, où 80% des clients misent sur la décennie, le viticulteur raconte ses histoires. « Avec les clients, nous passons des bons moments, je suis en vacances dans le chai. Il y a des gens très cultivés, des gens qui ont beaucoup voyagé. Je voyage beaucoup dans le chai. Depuis deux ans, j’ai beaucoup de nouveaux clients. Nous avons mis en place la signalisation avec la Saintonge romane, qui amène quand même du monde. Les gens suivent les pancartes, des pancartes simples, et sont intéressés par le mot "vieux". » La vieillesse n’est pas forcément un naufrage.

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