Aux vinasses de première chauffe la méthanisation, aux effluents vinicoles la voie courte du traitement aérobie. L’usine de dépollution de Jarnouzeau près de Cognac a traité l’an dernier 100 000 hl d’effluents vinicoles, un volume en progression. Marcel Ménier, directeur de Revico et administrateur de l’Agence Adour-Garonne, nous guide dans les arcanes de la dépollution.
« Le Paysan Vigneron » – Depuis quand l’usine Revico traite-t-elle les effluents vinicoles ?
Marcel Rénier – Cette activité a démarré chez nous voilà trois ou quatre ans. L’an dernier nous avons traité 100 000 hl vol., 70 000 hl il y a deux ans. Le volume progresse tout doucement. Nous nous adressons plutôt aux grosses structures dans la mesure où la livraison minimale d’effluents est de 250 hl vol. Cela suppose donc de générer des flux suffisants pour s’équiper de fosses de réceptions importantes. En Charentes, on estime que 100 hl de vin entraînent la production d’environ 15 hl d’effluents, dans une fourchette de 5 à 50 hl.
« L.P.V. » – A combien s’élève votre prestation ?
M.R. – Elle coûte le même prix que la dépollution des vinasses de seconde chauffe soit, pour cette campagne, 0,38 e/hl vol., transport à la charge du viticulteur. Je crois savoir que le coût de transport s’élève à environ 0,50 e par hl vol.
« L.P.V. » – Quel circuit de dépollution s’applique aux effluents de chai ?
M.R. – Ils suivent ce qui s’apparente chez nous à un circuit court, c’est-à-dire une fermentation aérobie, à l’égale d’une station d’épuration de ville. Dans le bassin, les effluents sont oxygénés par brassage. Les bactéries consomment l’oxygène et, en même temps, mangent le carbone organique. Les vinasses de secondes chauffes subissent le même traitement. Car elles sont dix fois moins polluées que les vinasses de premières chauffes qui, elles, empruntent le circuit « normal » de Revico : la fermentation anaérobie. Un digesteur digère la matière organique à l’abri de l’air. L’usine a traité l’an dernier 2,2 millions d’hl vol. de vinasses. Le tarif pour les vinasses de première chauffe est de 0,75 e/hl vol.
La méthanisation est également mise à contribution pour traiter les effluents qui restent quand le viticulteur a « dégravelé » son cuvier à l’aide de bitartrate de potassium (de soude). Ces effluents sont très polluants. Les viticulteurs nous les apportent avec leurs tonnes à lisier. L’opération n’est pas rentable pour nous mais c’est un service à rendre à la viticulture.
« L.P.V. » – Pourriez-vous envisager une baisse de votre coût de traitement des effluents ?
M.R. – Non, nous sommes au taquet. A Condom, une usine similaire à la nôtre pratique des tarifs 4 à 5 fois plus élevés. Les prix proposés par Revico ne sont possibles que parce que l’usine a intégré de nombreuses activités dont celle de distillation. Par ailleurs, à pratiquer des prix trop bas, on nous prendrait vite pour des éboueurs. Des gens pourraient être tentés de nous livrer les vidanges de leurs fosses septiques. A noter que nous réalisons une analyse de chaque camion, ce qui limite tout de même les risques. Non, en matière de dépollution, je pense qu’il faut en rester à des prix raisonnables, ni trop élevés ni trop bas.
« L.P.V. » – Vos installations sont-elles dimensionnées pour faire face à la montée en charge des volumes d’effluents ?
M.R. – Je le pense. Notre capacité de traitement des vinasses s’élève à 20 000 hl/jour. Or l’an dernier, entre les mois d’octobre et novembre, nous avons réceptionné 100 000 hl d’effluents, soit l’équivalent de cinq jours de travail. Je ne dis pas que nous pourrions dépolluer l’ensemble des effluents charentais mais le but du jeu n’est pas là. Les exploitations qui posent le plus de problèmes de pollution sont forcément les plus grosses. Attaquons-nous d’abord à celles-ci puis descendons progressivement dans l’échelle. Traitons les exploitations de 100 ha puis de 70 ha, etc. Une exploitation de 30 ha de vignes commence à générer un certain volume d’effluents. Mais les 10-15 ha, il ne faut pas les embêter.
« L.P.V. » – Que pensez-vous de l’épandage ?
M.R. – C’est une solution intéressante à condition d’être bien conduite. Or l’espèce humaine est fainéante par nature. Sans être méchant, je dirais que l’épandage est souvent la solution officielle pour se soustraire à la réglementation. Un bon épandage suppose d’être doté de grands volumes de stockage pour respecter les dates d’épandage. Sinon c’est l’épandage du vendredi soir, à la sauvette. Je n’épiloguerai pas. En Charentes, à ma connaissance, seules quelques personnes pratiquent correctement l’épandage. J’en citerai une près de Jarnac qui stocke toutes ses vinasses durant l’hiver et les redistribue au compte-gouttes sur ses maïs. Le maïs est content et boulotte la pollution. C’est une très bonne idée.
« L.P.V. » – Le traitement aérobie comme chez Rémy Martin ou chez Bernard Guionnet vous semble-t-il intéressant ?
M.R. – Tout à fait. L’épuration est excellente. C’est d’ailleurs assez logique. Les effluents sont produits sur un mois et vous disposez du reste de l’année pour les traiter. Cette solution technique est bien adaptée à des effluents pas trop chargés en matière polluante : effluents de chais, d’aire de lavage de machine à vendanger. Le sucre et l’acide acétique sont facilement biodégradables, contrairement aux marcs de chaudière, beaucoup plus acides. Ceci étant, il faut pouvoir s’offrir ce genre d’installation. Ce n’est pas gratuit. Il s’agit d’investissements relativement lourds.
« L.P.V. » – Justement, que peut apporter l’Agence de bassin Adour-Garonne en matière d’aide à la dépollution ? Vous siégez de longue date à l’agence de bassin en tant qu’administrateur et je crois que vous présidez la commission des interventions de l’agence.
M.R. – Administrateur de l’agence depuis 25 ans, j’en connais en effet les rouages et j’entame mon deuxième mandat de président des interventions, après déjà six ans à ce poste. L’agence de bassin est habilitée à soutenir toutes les actions entreprises dans l’intérêt de la protection de l’environnement. En matière de traitement des effluents, nous sommes ouverts à tout. Notre contribution peut aussi bien concerner la pompe servant à transporter les vinasses que le bac de stockage en polyéthylène haute densité, une station de traitement ou même une tonne à lisier, à condition que l’épandage soit correctement envisagé. Comme tout à chacun, les viticulteurs peuvent obtenir 15 % de subvention sur leurs investissements et 40 % d’avance remboursable sur 10 ans à taux zéro.
« L.P.V. » – Cette aide s’adresse-t-elle à tout le monde ?
M.R. – Elle concerne principalement les personnes qui paient une redevance à l’agence. Celle-ci fonctionne comme une mutuelle. Le pollueur paie une redevance et le dépollueur est aidé. Pour adhérer à cette mutuelle, je dis toujours que, quelque part, il faut être pollueur.
« L.P.V. » – Qui est redevable à l’Agence de bassin ?
M.R. – A l’agence, nous parlons en équivalent/habitants. C’est notre unité de mesure. Est redevable celui qui pollue à l’équivalent de 200 habitants. Des traductions « métier » existent cependant. Pour les caves vinicoles charentaises, le seuil de déclenchement de la redevance s’établit à 5 000 hl vol. vinifiés en moyenne par an, un niveau adapté à la production vin de table/vin de pays. En zone d’AOC comme à Bordeaux, ce seuil descend à 2 300 hl vol., compte tenu du process technique de vinification.
« L.P.V. » – L’Agence de l’eau aide-t-elle tous les dossiers recevables ?
M.R. – Nos budgets ne sont pas illimités et une obligation d’efficacité s’impose à nous. Nous devons nous poser la question de l’euro le mieux investit. Ceci étant, pour le moment, nous n’avons pas eu à faire de choix « durs ». Tout dossier méritant d’être aidé l’a été. Par contre nous étudions très sérieusement les devis. Il n’est pas question de financer des dépenses superfétatoires.
« L.P.V. » – On entend dire parfois que les viticulteurs girondins sont plus aidés que les viticulteurs charentais. Qu’en est-il ?
M.R. – Charentais comme Girondins bénéficient du même taux d’aide de l’Agence de bassin et j’y veille. Maintenant c’est vrai qu’en terme de volume, la viticulture bordelaise génère beaucoup plus d’effluents et manifeste donc des besoins de financement plus élevés. C’est dû à la méthode de production du vin. Là où les Charentais mettent en œuvre 0,15 hl d’eau pour un hl de vin, les Bordelais sont sur un rapport de 1 à 1 : 1 hl d’effluent pour 1 hl de vin. Tout simplement parce que les Charentais utilisent des cuves de 150, 200 hl vol. quand les Girondins travaillent avec des barriques de 225 l. A côté des aides de l’Agence de bassin, peuvent également jouer d’autres sources d’aides, variables d’un vignoble à l’autre : aides de la Région (comme à Bordeaux), du Département voire de l’Europe (Feder, Feoga). Par expérience, je constate que les aides de la Région seront d’autant plus élevées qu’il s’agira d’une première. J’ai en tête l’exemple d’un traitement par roseaux – cela marche très bien pour de petits effluents – qui va atteindre en Gironde un taux de prise en charge de 80 %. A mon avis un tel pourcentage d’aide représente une limite à ne pas dépasser. Pour rester toujours en Gironde mais sur des schémas plus classiques, la région de Pauillac lance une opération collective de traitement des effluents qui concernera 35 à 40 chais. Une station d’épuration va être créée, couplée à la station communale. Dans une autre zone, une Cuma a le projet de regrouper une centaine d’exploitations. A titre personnel, je considère qu’une station collective est préférable à une station individuelle. Jouent l’effet de masse et la notion d’obligation.
« L.P.V. » – Les aides de l’Agence de bassin ont-elles vocation à augmenter ?
M.R. – Non. Elles interviennent dans un budget relativement étriqué ou en tout cas fixe. Par ailleurs il faut tenir compte de l’encadrement de Bruxelles. Nous ne devons pas dépasser un taux d’aide de 30 %. A 25 % (15 % de subvention directe + avance remboursable), nous y sommes presque. Ainsi, aucune augmentation des aides n’est inscrite au 9e programme, qui portera sur la période 2007 à 2011.
« L.P.V. » – Quel degré de nocivité représentent les effluents vinicoles ?
M.R. – En tant que tels, les vins ou les tanins ne sont pas toxiques. Nous ne sommes pas en présence de chimie dure. Quand vous rejetez un litre de vin dans la rivière, les poissons sont contents. Si c’est 100 hl, ils vont être contents mais un peu moins. Quand vous lâchez 10 000 hl, il y aura pollution. Certes les bactéries vont consommer la matière organique mais elles consommeront aussi de l’oxygène, en concurrence avec la faune et la flore présentes. Et je vous donne mon billet que les bactéries gagneront. On assistera alors à une montée en pression de la faune et de la flore vivant sans oxygène – comme les sangsues par exemple – ainsi que des bactéries se développant dans un milieu anaérobie. Comme tout, c’est la concentration qui crée la pollution. Un chai viticole dans la nature ne pose pas de souci. Par contre une multitude de chais dont les effluents s’écoulent au même moment pendant les vendanges peut dégrader le milieu naturel.
« L.P.V. » – L’Agence de bassin Adour-Garonne couvre 26 départements, de la région de Melle à l’Ariège. Où résident les points noirs ? Du côté des fabricants de pâte à papier, des industriels ?
M.R. – Depuis trente ans, l’Agence de bassin a beaucoup investi dans la dépollution des usines de pâtes à papier, les Saint-Gaudens, Smurfit, Condat… Un travail important a été réalisé. Quant à l’industrie, malheureusement, elle décline de plus en plus. Si la qualité des eaux de nos rivières s’améliore, c’est aussi parce que des usines ferment. Il y a vingt ans la SNPE à Angoulême (la poudrerie) employait 850 salariés. Aujourd’hui, elle n’en compte plus que 50 et encore hors du secteur de la production. A l’échelon du grand Sud-Ouest, on peut dire que les points noirs industriels sont résorbés ou en voie de l’être. Les gros problèmes concernent davantage l’azote, avec les rivières eutrophysées, et les phosphates provenant de l’agriculture mais aussi des villes. Ces dernières font d’ailleurs de gros efforts pour traiter les phosphates. C’est le cas d’Angoulême, Jarnac, Cognac, Saintes, et nous voyons les poissons migrateurs remonter. Mais un autre problème commence à se manifester en « bruit de fond », celui des résidus de produits phytosanitaires comme l’atrazine et la simazine. Bien qu’interdits aujourd’hui, ces produits continuent de migrer dans la nappe phréatique. Le pic de pollution concernant l’atrazine et la simazine est attendu dans les dix ans à venir. C’est un peu la même chose avec l’azote. Les apports ont beaucoup diminué mais nous payons la note d’il y a vingt ans. Enfin reste une autre question à solutionner, celle de la bactériologie. Aujourd’hui, on ne s’occupe pas vraiment de savoir si les bactéries contenues dans nos urines sont désirables ou non, surtout après absorption de médicaments. Il va falloir commencer à s’en inquiéter. Quand l’homme préhistorique pissait derrière sa palisse, cela ne présentait aucun inconvénient. L’urine en elle-même n’est pas toxique. Une fois de plus, c’est la concentration qui engendre le problème.
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