La régularité des mises au courant et l’hygiène, deux sujets d’études
La montée en puissance des exigences qualitatives et l’importance des volumes de vins distillés depuis quelques années obligent tous les distillateurs à s’investir fortement dans la conduite de la distillation. La recherche d’une meilleure maîtrise des coulages et leur adaptation à des profils de qualité des vins différents représentent chaque hiver un challenge majeur. Les techniciens des Grandes Maisons de Cognac et les œnologues régionaux proposent des démarches d’accompagnement qui à la fois suscitent beaucoup d’intérêt et sont aussi l’occasion de révéler de nouveaux besoins. Par exemple, les aspects concernant la régularité de la conduite des mises au courant des chauffes de vins et l’hygiène des chaudières sont devenus des sujets des préoccupations plus fréquents. Julien Frumholtz, l’œnologue d »Archiac-OenoLabo a développé sur ces deux thématiques des études qui ont débouché sur des moyens innovants d’aborder les choses.
Les phases de mise au courant des chauffes de vins et des brouillis représentent des étapes importantes de la distillation durant lesquelles de nombreux composés ayant un rôle majeur dans la structure aromatique et gustative des eaux-de-vie passent. Les différentes méthodes de distillation des grandes maisons fixent des règles précises de coulages des têtes. Leurs modalités sont en relation avec la typicité d’eaux-de-vie recherchée. Lors des chauffes de brouillis, l’homogénéité du liquide d’origine facilite le déroulement de phase de mise à ébullition. Pour les chauffes de vin, le pilotage des mises au courant devient plus complexe à piloter surtout quand des lies sont incorporées.
Des études et des essais pour améliorer la régularité des temps de mise au courant
Julien Frumholtz, l’œnologue d’Archiac-OenoLabo qui travaille avec de nombreux bouilleurs chaque hiver était confronté à de fréquentes interrogations sur le pilotage des mises au courant. Grâce à l’implication de plusieurs passionnés de la distillation, il a mis place une étude pour mieux comprendre les causes de ces phénomènes et essayer d’améliorer la régularité des durées des mises au courant des chauffes de vin. En effet le vécu de beaucoup de distillateurs révèle que les mises au courant en présence de vins chargés normalement en lies varient fréquemment entre 10 et 40 minutes avec des réglages d’allures de gestion du feu identique. De telles variations ont une incidence sur le déroulement du coulage des têtes et le contenu qualitatif de cette fraction de distillat. Les études et les divers essais depuis 3 à 4 ans dans plusieurs distilleries ont débouché sur l’introduction de moyens nouveaux pour obtenir des mises au courant plus régulières.
La nature hétérogène du liquide Vin + Lies influence le déroulement des mises au courant.
La distillation de vins clairs (sans ou avec un peu de lies fines) est globalement assez facile à conduire car la fraction de liquide mise en œuvre est plus homogène. Par contre, la distillation de vins avec des lies est toujours plus problématique. La nature hétérogène de l’ensemble Vin + Lies engendre une variabilité du déroulement des mises au courant. Le fait d’une part d’incorporer dans des proportions rarement identiques des lies dans les vins et d’autre part d’être confronté à des natures de lies très différentes d’une cuve à une autre constitue des éléments qui modifient le déroulement des mises au courant. Après une 1 heure à 1 heure 30 de chauffage (selon l’importance du préchauffage), les vins arrivent à leur point d’ébullition et les premières montées en températures du collet de la chaudière et du chapiteau attestent du début de cette phase. À l’approche de l’ébullition, il se produit des mouvements ascendants de vapeurs qui progressent dans le chapiteau et ensuite dans le col-de-cygne. C’est quand les vapeurs arrivent à ce niveau qu’il faut impérativement modérer le feu pour par la suite bien maîtriser ensuite le coulage des têtes.
Des règles précises à maîtriser pour réduire l’allure du feu et des moulages
La phase de mise au courant nécessite beaucoup de vigilance pour baisser l’intensité du feu au bon moment afin de favoriser une bonne sélection des composés passant au tout début du coulage. Le non-respect de cette règle essentielle a pour conséquence de provoquer un emballement de la chaudière et la sortie au niveau du porte-alcoomètre du vin. On dit alors que la chaudière « Pouline ». Le poulinage est amorcé par un développement de mousses en abondance qui envahit le chapiteau et progresse ensuite au début du col-de-cygne. C’est à ce niveau que se produit alors un phénomène d’obstruction (avec des différences de pressions) engendrant une aspiration brutale du liquide présent dans la chaudière. Le résultat de ce phénomène se matérialise par un coulage très tumultueux de vin au niveau du porte-alcoomètre. Tous les distillateurs font preuve d’une grande vigilance pour maîtriser les mises au courant et pour éviter ce type de phénomènes.
L’importance de détecter la montée des premières vapeurs
La détection de la montée des premières vapeurs est capitale pour réduire l’allure du feu. Autrefois, une petite casserole fixée sur la partie montante du col-de-cygne avec de la cire servait d’avertisseur sonore du début de l’ascension des vapeurs. La montée en température du col-de-cygne faisait fondre la cire et tomber sur le sol la casserole. Son bruit indiquait au distillateur le début de la mise au courant. Aujourd’hui, l’installation de sondes de température au niveau du collet et sur le col-de-cygne permet de détecter la montée des vapeurs avec plus de précision. Ces systèmes facilitent la gestion de la réduction d’allure du feu qui s’effectue avec progressivité et en respectant les préconisations de chaque grand Maisons. Il est indéniable que la conduite des coulages des têtes des chauffes de vins nécessite une grande maîtrise car la première étape de « capture » des composés aromatiques du process de distillation Charentais à double chauffe.
La sélection des têtes des chauffes de vin, la première étape de la concentration aromatique
La phase de coulage des têtes durant les chauffes de vins obéit à des règles précises et leur importance est capitale pour le bon déroulement ultérieur du cycle de distillation.
La maîtrise du débit du distillat est un élément important. Diverses études ont mis en évidence que le débit devait être de l’ordre de 1l/min. La maîtrise du refroidissement de la pipe contribue également à une meilleure sélection des composés. Il doit être réglé de façon à ce que le coulage des têtes se déroule entre 13 et 15 °C. Les premiers litres de têtes obtenus ont un TAV moyen qui avoisine les 60 % volumes.
Bien maîtriser les prélèvements
Les têtes sont recueillies séparément afin d’être recyclées ultérieurement dans les vins. Les volumes de prélèvements des têtes sont très liés à la qualité des vins mis en chaudière. Les effets millésimes (surtout l’état sanitaire de la vendange), les conditions et la durée de conservation des vins et l’époque de distillation sont des éléments à prendre en compte pour piloter les prélèvements de têtes.
Quand les vins sont sains, les têtes sont très parfumées et le volume de prélèvement peut-être limiter à quelques litres. Par contre, en présence de vins issus de vendanges altérées par la ou les pourritures, l’odeur des premiers litres de têtes peut-être marquée par des notes d’âcreté, d’amertume très impactantes. Les distillateurs devront alors augmenter de façons significatives les prélèvements pour éliminer ces fractions de composés indésirables du contenu des futurs brouillis. La présence du distillateur au moment du coulage des chauffes de vin est essentielle pour piloter le niveau de prélèvement en fonction de la dégustation.
La plupart des grandes Maisons ont fixé des normes de références des coulages des têtes qui sont spécifiques à chaque méthode de distillation. Leurs équipes techniques disposent des services d’accompagnement des bouilleurs de crus et distillateurs de profession. Chaque d’hiver, ces experts calent les process de distillation en fonction des spécificités de chaque millésime et des effets terroirs.
Mieux appréhender l’émission des premières vapeurs des vins distillés avec lies
Le premier travail de J Frumholtz a été d’observer comment se déroulaient les mises au courant à l’intérieur de la chaudière et dans l’ensemble chapiteau col-de-cygne. Dans un premier temps, la présence de hublot au niveau du collet, a permis de mettre en place un suivi de la phase de mise à ébullition des vins. Il s’avère que les émissions des premières vapeurs en présence de lies se déroulent de manière différente qu’en présence de vins clairs. À l’approche du point d’ébullition des vins, la présence de lies provoque la formation à la surface du liquide « d’une petite croûte » qui gêne et retarde la libération progressive des vapeurs. La libération des vapeurs intervient alors d’une manière plus brutale ce qui peut nuire au tri de ces premières émissions de composés. L’utilisation de caméra thermique a permis de visualiser ces phénomènes avec encore plus de précisions.
L’importance de maîtriser la régularité des mises au courant
Dans les distilleries, des mises au courant trop rapides et trop lentes ne sont pas en phases avec les objectifs qualitatifs des différentes méthodes de distillation. Les images des caméras thermiques ont permis de visualiser et surtout de révéler la rapidité ou l’extrême lenteur de la progression des premières vapeurs dans le chapiteau et le col-de-cygne. Le point d’ébullition des vins est directement dépendant de la teneur en alcool des vins (additionnés des secondes) et de la proportion de lies incorporées. Diverses mesures réalisées dans la fraction de liquide dans la chaudière au cours des trois dernières campagnes de distillation ont révélé qu’il pouvait fluctuer entre 78, 80 et 82 à 83 °C.
Un excès de rapidité engendre des pertes d’arômes et surtout les notes de lourdeur
Des temps de mise au courant trop courts de seulement 7 à 10 minutes attestent de passages de vapeurs rapides dont le tri ne se déroule pas dans les meilleures conditions. Il se produit deux types de phénomènes, des pertes et des enrichissements de composés aromatiques préjudiciables pour le potentiel de qualité des eaux-de-vie. Les pertes aromatiques concernent malheureusement des composés bénéfiques à la qualité (principalement des esters). L’émission rapide des vapeurs ne laisse pas le temps aux composés aromatiques de se condenser lors de la phase de refroidissement dans le serpentin. La fraction de ces arômes ne se retrouve pas dans les brouillis et « s’évapore » au niveau du porte alcoomètre. Les bonnes odeurs qui diffusent dans l’atmosphère des distilleries, sont perdues pour le processus de qualité Cognac. Une émission de vapeurs trop rapide au moment de la phase de mise au courant occasionne aussi le passage de composés plus lourds qui ne devraient pas se retrouver dans les brouillis. La progression rapide des vapeurs limite les phénomènes de rectification et de tri dans le chapiteau et le col-de-cygne. Ces composés indésirables dans les brouillis se retrouveront ensuite dans les eaux-de-vie. Ils sont souvent à l’origine de notes aromatiques de lourdeur et masquantes.
Des mises au courant trop lentes amplifient le tri des vapeurs
Des temps de mise au courant trop lents (de 30 à 45 minutes) s’avèrent également problématiques. Les vapeurs émises progressent si lentement que les phénomènes de reflux sont amplifiés et deviennent excessifs. Les phénomènes de tri des vapeurs deviennent excessifs et le potentiel de composés aromatiques bénéfiques recueillis dans les brouillis s’en trouve amoindri. Une mise au courant lente peut avoir comme conséquence de provoquer un reflux des vapeurs dans le liquide en ébullition suite à une baisse d’allure du feu mal maîtrisée, trop précoce ou trop forte. Une partie des composés présents dans les premières vapeurs se re-condensent dans les vins et malgré un bon déroulement ultérieur de la mise au courant, ils ne se reformeront pas.
Une étape clé pour le passage des composés aromatiques qualitatifs
La régularité du déroulement des mises au courant lors des chauffes de vins est une phase capitale de la distillation. C’est durant cette première étape qu’il se produit le premier cycle de concentration aromatique des futures eaux-de-vie. Des travaux scientifiques réalisés par Messieurs Roger Cantagrel, Luc Lurton, Jean-Pierre Vidal, les ingénieurs de la Station Viticole du BNIC ont permis d’étudier le passage des divers constituants lors du processus de distillation Charentais. Les conclusions de ces travaux confirment que c’est pendant al phase de mise au courant que la majorité des esters d’acides gras et d’alcools passent pendant la phase de mise au courant.
Mieux appréhender la phase d’ébullition des vins
La conduite d’une mise au courant à partir de vins distillés avec lies doit s’effectuer dans un délai de 15 à 25 minutes maximum en ayant le souci de favoriser une montée des premières vapeurs de façon progressive et régulière (sans reflux). La maîtrise de la vitesse du flux de vapeurs dans le chapiteau et le col-de-cygne conditionne à la fois l’importance de la rectification et la qualité de la condensation des composés aromatiques. La gestion de la puissance des brûleurs et donc de celle du feu s’avère déterminante pour maîtriser le déroulement des mises au courant des brouillis en présence d’un liquide de base (vin + lies hétérogènes) de nature hétérogène. La phase d’arrivée à l’ébullition des vins correspond aussi au moment où les premières d’émission de vapeurs se produisent. La réflexion développée par J Frumholtz en partenariat avec plusieurs bouilleurs de cru a été de suivre la montée en température du vin dans la chaudière pour mieux anticiper le moment ou le liquide arrive à l’ébullition.
Les mesures de températures dans le liquide plus fiables que celles des vapeurs
Leur initiative a été de comparer le fonctionnement de deux sondes type de températures installées au niveau du collet de la chaudière, l’une courte mesurant la montée en température des vapeurs au-dessus le vin et l’autre longue de 50 cm de longueur dont l’extrémité reste en permanence immergée dans le liquide. Les essais conduits dans divers ateliers de distillation ont mis en évidence que de nettes différences apparaissaient entre ces types deux mesures au moment de l’approche du moment du point d’ébullition. Les mesures des sondes courtes au niveau des vapeurs indiquaient systématiquement des niveaux de températures inférieurs (de l’ordre de 5 à 8 °C) et plus fluctuants que celles fournies par la sonde longue plongée dans le vin.
Des mises au courant calées à partir des montées en températures du vin
À l’issue de ces divers essais en présence d’alambics différents, les informations des montées en température des vins se sont avérées être des données stables, précises et reproductibles. Cela permettait d’anticiper avec plus de précision le moment d’une part ou les vins (avec et sans lies) arrivaient à leur point d’ébullition et d’autre part les toutes premières émissions de vapeurs dans le chapiteau. Ces enseignements ont permis de pousser la réflexion plus loin. Ne serait-il pas intéressant d’utiliser ces nouveaux paramètres plus stables pour piloter les mises au courant avec plus d’anticipation ? La baisse d’allure du feu corrélée au point d’ébullition des vins devrait permettre d’appréhender plus finement le moment ou les émissions des premières vapeurs se produisent. La conduite de nouveaux essais a confirmé de cette nouvelle méthode de gestion des mises au courant. La prise en compte de la température du liquide permet de conduire les mises au courant avec plus de régularité et de progressivité. La mise en place de suivis analytiques et gustatifs apporte une caution scientifique à cette initiative.
De nouveaux moyens pour maîtriser l’hygiène des chaudières
Le suivi et le maintien de l’hygiène des alambics sont également des préoccupations pour tous les distillateurs de la région. À partir de quel moment, le nettoyage de l’intérieur de la chaudière doit-il être réalisé ? La réponse est en assez simple : « à partir du moment ou des notes de type graillon et foin viennent perturber la netteté des eaux-de-vie en masquant la présence des composés aromatiques bénéfiques. Tous les distillateurs nettoient régulièrement (toutes les deux ou trois semaines) leurs chaudières pour justement éviter l’apparition de ces déviations qualitatives mais sans réellement savoir si l’état d’encrassage des cucurbites le justifie. Jusqu’à présent, Il fallait ouvrir la chaudière pour observer visuellement l’état de propreté de la surface des parois en cuivre. J Frumholtz a testé de nouveaux moyens pour apprécier l’état de propreté de l’intérieur des chaudières sans les ouvrir. Son idée a été de mettre en place des suivis de mesures d’épaisseurs du cuivre au niveau du collet en utilisant un épaissimètre.
Des mesures d’épaisseur du cuivre corrélées à l’état de propreté de la chaudière
Les épaissimètres sont des instruments qui fonctionnent en utilisant la technologie d’émission-réception. Leur fiabilité est démontrée dans l’univers de la fabrication de tous les métaux puisqu’ils sont utilisés comme moyen de contrôle des épaisseurs de la fabrication des tôles, des barres, des IPN, …… . Des essais ont été conduits dans plusieurs distilleries en mettant en place un suivi quotidien des mesures épaisseurs du cuivre après le nettoyage des chaudières. Les résultats ont permis d’observer une augmentation régulière des épaisseurs jusqu’au moment ou l’état de surface du cuivre atteint un niveau de salissure justifiant le nettoyage. La mise en œuvre des mesures a été effectuée en utilisant un protocole rationnel et reproductible. Elles interviennent doivent toujours au même endroit sur le collet et pendant la même phase du cycle de distillation. Les essais au cours de la dernière campagne de distillation se sont déroulés dans trois distilleries qui utilisent des méthodes de distillation différentes (des vins clairs, des vins avec lies, différents types de repasses). Les résultats se sont avérés convaincants et fiables.
Des essais convaincants dans plusieurs distilleries
L’augmentation des épaisseurs de cuivre est un paramètre fiable pour apprécier le moment ou la chaudière doit être nettoyée. Les mesures ont démontré que les épaisseurs avaient atteint leur niveau maximum au moment ou les alambics devenaient « sales » et commençaient à moins bien rectifiés. Des observations visuelles de l’intérieur des chaudières ont confirmé une augmentation régulière de l’état de salissure des parois de la chaudière. La réalisation des mesures d’épaisseurs s’effectue facilement et sans contrainte particulière. Le relevé d’épaisseur est calculé immédiatement. L’introduction de ce procédé permet de gérer la fréquence des nettoyages sans prendre de risques qualitatifs. Quand on passe beaucoup de lies ou des vins en cours de fermentation malolactique, l’encrassement des parois des chaudières est forcément plus important et plus rapide. La technologie des mesures d’épaisseur est aussi accessible sur le plan économique car le prix d’achat d’un épaissimètre à métaux est de l’ordre de 200 € HT.
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Bibliographie :
– Études de la Station Viticole du BNIC
– Bernard Galy, ingénieur œnologue à la Station Viticole du BNIC
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