1 milliard de tonnes : Ce nombre édifiant totalise la quantité de nourriture gâchée en 2022 au niveau mondial, soit presque 20% de la production totale. Dans un rapport de l’ONU intitulé Food Waste Index Report 2024, l’organisme tire la sonnette d’alarme sur le gaspillage alimentaire, responsable de 8 à 10% des émissions de gaz à effet de serre et occupe environ 30% des surfaces agricoles mondiales.
Afin d’atteindre l’objectif de l’ONU de réduire de moitié ce gaspillage d’ici 2030, le rapport insiste sur des efforts “concertés et collaboratifs” des différents secteurs et chaînes d’approvisionnement. Parmi les secteurs qui démontrent des initiatives originales dans ce sens, les alcools et spiritueux
Ainsi, au Royaume-Uni, la Greensand Ridge Distillery en a fait son cheval de bataille. “Pour la durabilité de notre système alimentaire en général, nous devons utiliser moins de terres agricoles et produire plus de nourriture pour les gens”, déclare Will Edge, fondateur de Greensand Ridge en 2015. Liqueur de cassis ou gin à la prune et pomme produits à partir des surplus des maraîchers locaux, eau-de-vie de mangue basée sur des fruits “trop mûrs” retirés des étals des supermarchés, voire même un whisky confectionné à partir des chutes d’une usine de crêpes, la créativité de la distillerie n’a pas de limites. “Les agriculteurs et les producteurs de produits alimentaires avec lesquels je travaille se soucient vraiment de la terre et de leur gestion. La plupart du temps, lorsque des problèmes de gaspillage alimentaire surviennent, il incombe aux agriculteurs d’en assumer le coût”, explique Edge. “Quand on peut faire de bons spiritueux à partir des surplus de production, comme j’espère avoir pu le prouver au fil des années, cela me semble évident.”
Une flexibilité nécessaire pour surmonter les obstacles
Bien sûr, si ces initiatives sont louables elles impliquent aussi des difficultés supplémentaires pour les producteurs, comme l’explique Sam Trevethyen, chef de produits chez William Grant & Sons, producteurs notamment d’un rhum aromatisé… à la peau de banane : “Nous n’obtenons pas un produit que nous avons sélectionné, transformé et obtenu exactement comme nous le souhaitons”, déclare-il. « Nous travaillons fondamentalement avec quelque chose qui n’était plus désiré, ce qui ajoute également des problèmes de cohérence. »
Pour la marque anglaise Sapling Spirits, l’approvisionnement constitue un obstacle important. « Cela demande plus de main d’œuvre car il faut s’approvisionner au fur et à mesure que les fruits sont excédentaires, il n’y a donc pas de chaîne d’approvisionnement stable et régulière », explique le co-fondateur Ivo Devereux. Pour fabriquer sa vodka Raspberry & Hibiscus, qui utilise des framboises qui autrement seraient jetées, Sapling produit en une ou deux séries plutôt que tout au long de l’année
La perception des consommateurs est un autre obstacle pour les producteurs travaillant avec des ingrédients excédentaires. Bien que l’idée gagne du terrain auprès du public, les marques concernées doivent encore lutter contre le “cliché qu’un déchet ne peut produire qu’un déchet”, explique Edge. « C’est en partie dû au fait que l’industrie elle-même communique aux consommateurs que pour fabriquer un bon spiritueux, il faut récolter les meilleurs grains et ne cueillir que les meilleurs fruits de l’arbre », explique-t-il. “Mais nous ne parlons pas de récupérer ce qui traîne au sol de notre distillerie. Nous parlons de produits surdimensionnés, déformés et en trop grande quantité..”
Face à ces préconceptions, l’équipe de William Grant & Sons a réorganisé son approche du marketing. “Auparavant, nous mettions beaucoup plus en avant le produit “fabriqué à partir de déchets””, explique Trevethyen. « Mais à mesure que l’on se rapproche des spiritueux ou des cocktails, les recherches que nous avons effectuées ont montré que les consommateurs n’aiment pas cette image, et il est vraiment difficile de jouer sur un marché premium. « La marque donne désormais la priorité aux messages autour des qualités gustatives de sa gamme, et la discussion sur les ingrédients recyclés joue plutôt un rôle de soutien.
Bien que de plus en plus de producteurs adoptent l’utilisation d’ingrédients excédentaires, il existe encore un grand potentiel inexploité pour que l’industrie puisse contribuer à la réduction du gaspillage alimentaire. Edge estime que la véritable opportunité réside dans les grands fabricants d’alcools de céréales. “Là où nous allons vraiment faire une différence, c’est si les grands producteurs commencent à utiliser les surplus de céréales, de pain et de blé”, dit-il. “Alors tous les marchés qu’ils desservent utiliseront automatiquement les surplus de production.”
Comme on le constate, si les producteurs commencent déjà à opérer le virage vers une distillation de spiritueux plus durable, l’opinion du public doit elle encore évoluer pour convaincre que des fruits “mal-aimés” peuvent eux aussi produire un alcool de qualité.
Source: The Drinks Business
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