des recherches prometteuses sur la maturité aromatique des raisins d’Ugbi Blanc

21 août 2012

Apprécier la maturité aromatique des raisins d’ugni blanc destinés à la production d’eaux-de-vie est désormais possible grâce aux travaux de recherche conduits par la Station Viticole du BNIC. La mise en œuvre d’une démarche d’étude depuis 6 ans a débouché sur le développement de deux indicateurs de la maturité aromatique qui ont passé avec succès le cap de l’expertise scientifique. Leur validation sur le terrain est en cours et, d’ici quelques années, ils permettront de faire progresser la caractérisation de la maturation de chaque millésime en y intégrant une composante supplémentaire : l’état de maturité aromatique des raisins.

L’évolution climatique induit des modifications au niveau du déroulement du cycle végétatif, de la maturation des raisins et de leur nature au moment de la récolte. Les conséquences les plus perceptibles au niveau des moûts se matérialisent par une augmentation des TAV potentiels, une baisse de l’acidité, une modification du processus de maturation des arômes et, certaines années, un développement accru du botrytis. La structure qualitative des eaux-de-vie nouvelles est modifiée par l’effet climat dans des proportions très variables d’une année à l’autre. La qualité de récoltes comme 2003, 2005, 2009 et 2011, a fait émerger de nouvelles interrogations techniques sur un certain nombre de sujets : la baisse d’acidité des moûts et des vins, la diminution des teneurs en azote assimilables, l’apparition de note de verdeur dans des eaux-de-vie issues de vendange précoce (récoltée avec des niveaux d’acidité corrects), l’apport aromatique des lies moins marqué, l’apparition de défauts aromatiques potentiellement liés au botrytis… Les acquis historiques au niveau de la maturité idéale des raisins destinés à la production des vins de distillation semblent moins pertinents lors de millésimes marqués par l’évolution climatique. C’est particulièrement vrai pour le critère niveau d’acidité des raisins à la récolte, même si cet élément a pris au fil des années une importance croissante. Tous ces éléments ont été le déclencheur de nouvelles actions de recherches conduites par la Station Viticole du BNIC sur la caractérisation et l’influence de la qualité des moûts sur la composition finale des eaux-de-vie nouvelles. Les avancées les plus spectaculaires concernent la maturité aromatique des raisins d’ugni blanc destinés à la production d’eaux-de-vie. Le développement des indicateurs de maturité aromatique des raisins à partir de la véraison va, d’ici quelques années, sûrement permettre d’aborder l’organisation de la récolte de manière plus cohérente. Ensuite, les travaux de recherches en cours sur le potentiel acide des raisins d’ugni blanc laissent espérer à moyen terme des évolutions au niveau des pratiques viticoles et des démarches de sélection de nouveaux clones, cépages et porte-greffes. Enfin, les études sur les conséquences qualitatives sur les eaux-de-vie des attaques de botrytis ouvrent également de nouvelles pistes de réflexion. L’apport de toutes ces connaissances aura, d’ici quelques années, des conséquences importantes sur les itinéraires de production à la vigne et dans les chais.

Dans le contexte d’années marquées par la sécheresse et un fort ensoleillement, le déclenchement d’une récolte plus précoce pour conserver des niveaux d’acidité plus élevés et éviter des TAV forts est souvent un acte de bon sens vis-à-vis de la stabilité biologique des vins, de leur qualité aromatique et gustative et de celles des eaux-de-vie. Or, dans ces contextes, le fait de vendanger plus précocement ne permet pas systématiquement d‘élaborer des eaux-de-vie ayant la typicité aromatique attendue. Ce constat, les maîtres de chais l’ont fait en 2003, en 2005, en 2009, ce qui a suscité des interrogations au niveau de la pertinence de l’indicateur de maturité usuel : le rapport sucres/acidité. Les eaux-de-vie issues de récoltes précoces présentaient souvent des notes de verdeur marquées et des arômes désagréables de type plastique.

La maturité aromatique est parfois décalée de l’optimun sucres/acidité

Le ratio de sucres/acidité des moûts à la récolte représente un marqueur fiable de la typicité aromatique des eaux-de-vie dans le cadre de millésimes ayant une précocité normale, moyenne ou tardive. Par contre, il semble perdre une partie de sa pertinence quand l’incidence de la sécheresse estivale est plus marquée. Cette situation a amené les œnologues et les maîtres de chais à émettre l’hypothèse qu’un décalage entre la maturité aromatique et le rapport sucres/acidité optimum pouvait se produire. L’ugni blanc n’est pas réputé pour extérioriser un potentiel d’arômes de cépage fort comparativement à du colombard ou à du sauvignon. Ensuite, le fait que le vin ne soit qu’un produit intermédiaire dans le process d’élaboration Cognac complique sérieusement la mise en œuvre de réflexion sur la maturité aromatique des raisins. A la demande des professionnels, l’équipe de la Station Viticole du BNIC s’est intéressée à la caractérisation du potentiel aromatique des raisins d’ugni blanc.

Pas de précurseurs d’arômes variétaux de type thiols dans l’ugni blanc

Les aspects de maturité sur l’ugni blanc ont été peu travaillés car ce cépage n’est pas cultivé dans les grandes régions viticoles productrices de vins blancs comme l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne, le Bordelais ou la Vallée de la Loire. Seul le vignoble gersois a continué d’associer l’ugni blanc en tant que cépage complémentaire au colombard dans la production de vin de pays de Gascogne. L’ugni blanc n’est pas un cépage réputé pour une expression aromatique caractéristique de ses vins et, généralement, l’extériorisation d’arômes plus intenses est la conséquence de l’utilisation de levures aromatiques durant la fermentation alcoolique. Des cépages comme le sauvignon ou le colombard, quand ils atteignent la pleine maturité aromatique, sont riches en précurseurs d’arômes spécifiques, des thiols variétaux (des composés soufrés) qui sont ensuite révélés au cours des interventions pré-fermentaires et fermentaires. Dans les raisins d’ugni blanc, les concentrations en composés de ce type très faibles ne permettent pas de développer une démarche de caractérisation du potentiel aromatique en s’appuyant sur des connaissances existantes.

Des essais pilotes et grands volumes depuis 2005

Les approches d’appréciation du potentiel aromatique des raisins d’ugni blanc ont été abordées en faisant appel à des éléments présents dans les moûts et les eaux-de-vie. L’équipe de la Station Viticole du BNIC travaille sur l’identification de marqueurs de la maturité aromatique des raisins d’ugni blanc depuis 2005, en mettant en œuvre des démarches innovantes et spécifiques à la filière Cognac. La démarche d’étude repose à la fois sur des essais à l’échelle pilote et en grands volumes. Dans la première approche, les mini-vinifications (200 kg de raisin) suivies d’une distillation pilote ont lieu depuis 2005 à partir de trois natures de vendange récoltées à 8 à 10 jours d’intervalle (précoce, médiane et tardive). La démarche a permis d’obtenir des eaux-de-vie qui sont ensuite analysées et dégustées par des professionnels. L’action a été conduite chaque année sur trois sites différents correspondant aux trois natures de sols principales de la région : les terres de champagnes, les groies et les doucins. Les essais en grands volumes ont commencé en 2006 sur deux sites et toujours avec trois dates de récolte, précoce, moyenne et tardive. La production de chaque parcelle et de toutes les modalités (unité de 300 hl de vin) est vinifiée de façon classique sur chaque propriété, puis distillée séparément, et ensuite les eaux-de-vie nouvelles sont dégustées par un jury de professionnels.

L’identification de quatre marqueurs d’évolution de la maturité aromatique

Les recherches ont commencé par un travail de screening des composés présents dans les moûts qui jouent un rôle majeur sur la structure aromatique des eaux-de-vie. Gérald Ferrari, l’ingénieur de la Station Viticole chargé de ce dossier, explique que l’objectif était de trouver des indicateurs de maturité qui soient faciles à doser au cours de la phase de maturation : « On s’est intéressé à toute la fraction aromatique présente dans les moûts pour trouver un indicateur qui soit facile à doser entre la véraison et la récolte. Le fruit de ce travail a débouché sur l’identification d’une soixantaine de composés volatils dont la concentration diminue ou augmente à la fois dans les moûts et les eaux-de-vie nouvelles.

Parmi ceux qui baissent au cours de la maturation, on a identifié le cis-3-hexénol, un des composés responsables des odeurs herbacées. Ensuite, on s’est intéressé à 4 composés issus du raisin aussi présent dans les eaux-de-vie nouvelles, l’alpha-Terpineol, (un marqueur issus de la famille des terpènes extériorisant une odeur de flan et de farine), les Vitispiranes (composé de la famille des noriso-prénoides se dégradant en substances volatiles propice à la révélation des arômes dans les EDV) et la bétadamascénome (molécule connue pour son odeur de compote de pomme dans les EDV). »

Un indicateur de maturité global : l’IMA

Au cours de la maturation, le cis-3-hexénol diminue régulièrement. A l’inverse, les concentrations en alpha-terpinéol, en viti-sparine et en bétadamacénone augmentent régulièrement à partir de la véraison. Des variations nettes de teneurs de ces quatre éléments ont été observées dans les essais pilotes et grands volumes, ce qui a incité les chercheurs à aller plus loin. Le rôle des quatre marqueurs sur la structure aromatique finale des eaux-de-vie nouvelles a été validé par des tests d’olfactométrie. L’équipe de la Station Viticole a relié ces différents composés entre eux pour obtenir un indicateur de maturité aromatique baptisé l’IMA, qui est un ratio entre la teneur en cis-3-hexénol et la somme des quatre autres marqueurs aromatiques.

Une démarche de validation en cours sur le réseau Maturité de 55 parcelles

p16.jpgLa démarche de validation de l’IMA a commencé en 2008 en s’appuyant sur le réseau de 55 parcelles de maturation. Cela a permis de se rendre compte qu’au moment de la véraison sa valeur moyenne est supérieure à 3. Ensuite, elle décroît régulièrement pour atteindre un niveau proche de 1 à la maturité. Certaines années de forte maturité comme par exemple 2009 ou 2010, l’indicateur IMA atteint des valeurs proches de 1 de façon décalée par rapport à l’optimum sucres/acidité. Cela confirme le décalage de la maturité aromatique des raisins d’ugni blanc.

G. Ferrari se montre prudent sur la validité de l’IMA et sur son utilisation : « Nous pensons que la phase de validation de l’IMA n’est pas terminée. Il est encore nécessaire de poursuivre les expérimentations même si les résultats que nous avons obtenus sont intéressants. La notion de seuil optimum de l’IMA a besoin d’être affinée en fonction de la typicité aromatique recherchée dans les eaux-de-vie.

Dans un premier temps, notre souhait serait d’utiliser le réseau Maturité à mi-maturation pour situer le niveau de maturité aromatique et ensuite pour optimiser la date de vendange. D’ici deux à trois campagnes, il nous paraît envisageable d’apporter cette information qualitative au niveau des comptes rendus hebdomadaires du réseau Maturité.

Une vulgarisation large du dosage analytique de l’IMA auprès des laboratoires œnologiques de proximité nous paraît difficile pour l’instant, car son obtention nécessite une méthodologie lourde et coûteuse. On réfléchit aux moyens de simplifier cette analyse mais ce n’est pas simple. »

Vendanges précoces et vendanges plus tardives, des différences de structures aromatiques

Les travaux de recherche au niveau des essais pilotes ont permis de caractériser les composés volatils des eaux-de-vie issues de vendanges précoces, moyennes et tardives. Le traitement statistique des résultats a révélé des différences significatives selon les époques de récolte. Les échantillons d’eaux-de-vie issues des vendanges précoces présentent une teneur d’alcools en C6 (composés herbacés) nettement plus élevée, ce qui traduit un état de sous-maturité aromatique. Les eaux-de-vie issues de vendanges plus tardives (décalées de 8 à 10 jours par rapport à la moyenne régionale) ont une structure plus concentrée en composés terpéniques (terpinéol, nérolidol…) qui contribue à l’extériorisation d’une typicité aromatique.
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Un outil adapté pour l’instant à des mesures à l’échelle régionale

Le dosage de l’IMA est assez complexe car les composés aromatiques présents dans les moûts doivent être extraits avant d’envisager leur dosage. L’échantillon de jus de raisins recueilli à l’issue des contrôles de maturité est acidifié pour le ramener à un pH de 1, puis enrichi en éthanol à une concentration de 10 % vol. et micro-distillé de manière classique (en double chauffe). Le distillat obtenu subit ensuite une chromatographie en phase gazeuse en injection directe (pour obtenir l’alcool et les esters), puis une extraction à l’iso-octane pour révéler les composés à faibles teneurs, les éléments intervenant dans le calcul de l’IMA. De telles analyses ne sont maîtrisées que par des laboratoires de recherche. Les laboratoires œnologiques de proximité ne pratiquent pas de telles analyses et le coût de ces dosages représente aussi un handicap à leur vulgarisation. Il est probable que la procédure d’analyse aura été simplifiée mais peut-être pas suffisamment pour se transformer en analyse courante. Actuellement, l’IMA présente de l’intérêt en tant qu’indicateur de la maturité aromatique des raisins à l’échelle de la région, en s’appuyant par exemple sur le réseau de 55 parcelles de maturation du BNIC.
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Une avancée très importante pour caractériser la maturation de chaque millésime

Indéniablement, le développement des deux indicateurs de maturité aromatique des raisins « Cognac » représente une avancée très importante. Ce sont de nouveaux moyens qui permettent de piloter judicieusement la caractérisation du processus de maturation de chaque millésime et de gérer plus finement le déclenchement de la récolte. L’équipe de la Station Viticole considère que ces nouveaux outils ont passé avec succès le cap de l’expertise scientifique, mais il reste maintenant à les valider à l’échelle très large d’un vignoble de 80 000 ha. G. Ferrari fait preuve de réalisme vis-à-vis de l’utilisation des indicateurs IMA et Index 2 :

« Le développement des deux indicateurs de maturité aromatique (l’IMA et l’Index 2) font progresser la connaissance de la maturité aromatique des raisins d’ugni blanc destinés à la production d’eaux-de-vie.

Les travaux de recherche ont démontré leur intérêt en tant qu’outil régional d’appréciation de la maturité aromatique. Néanmoins, leur utilisation à la parcelle n’est pas envisageable à court terme compte tenu de la nécessité de corréler les résultats à un échantillonnage représentatif. Dans le moyen terme, il sera possible d’affiner les résultats en tenant compte des principaux types de sols de la région, les terres de Champagnes, les Groies et les Doucins. A terme, l’IMA devrait permettre de mieux cibler le type d’arôme recherché dans les eaux-de-vie nouvelles alors que l’Index 2 serait plus adapté pour déterminer une date de vendange corrélée en fonction de la nature des arômes du raisin. »

Indicateur IMA = Teneur totale en cis-3-hexénol / Somme des quatre autres marqueurs aromatiques

L’index 2, un deuxième indicateur de maturité aromatique en cours de validation

Index 2 = Teneur en cis-3-hexénol / Teneur en hexanol

Les ingénieurs de la Station Viticole ont travaillé sur la recherche d’un autre marqueur de la maturité aromatique plus facile à maîtriser par les œnologues de terrain. Ils se sont demandés quels composés présents dans les eaux-de-vie nouvelles étaient les plus liés à la date de récolte. Cette approche a débouché sur l’identification de deux constituants, le cis-3-hexénol et l’hexanol, qui contribuent à l’extériorisation des notes de verdeur ou herbacées dans les eaux-de-vie. Le dosage facile de ces éléments dans les moûts et l’influence limitée des conditions d’extraction des jus (lors des contrôles de maturation) représentent des avantages importants. L’équipe de la Station Viticole a suivi l’évolution des teneurs en cis-3-hexénol et en hexanol, ce qui a permis d’établir un deuxième indicateur de maturité aromatique : l’Index 2.
Les premières études depuis les vendanges 2008 ont révélé une bonne corrélation entre l’Index 2 et la date de récolte. A partir de la véraison, sa valeur autour de 1,5 diminue progressivement durant la maturation pour se rapprocher du niveau de 0,4 à 0,5 à la récolte.
Les valeurs de l’Index 2 citées précédemment ne doivent pas être encore retenues comme des seuils de références, car l’indicateur a besoin d’être validé encore pendant plusieurs années.

 

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