Les ambitions affichées
désormais confrontées aux réalités
L’année 2019 aura soufflé le chaud et le froid du premier au dernier jour avec une climatologie excessive, des vignes malmenées ou généreuses, un contexte économique porteur et préoccupant, une pression sociétale forte en matière d’environnement et une vie professionnelle intense et crispante. La belle conjoncture économique du premier semestre avec des expéditions toujours en hausses a porté toute l’organisation de production des dernières vendanges. Les enjeux géopolitiques mondiaux ont perturbé l’activité commerciale en la stimulant dans un premier temps avec des expéditions de précaution abondantes aux États Unis et en Angleterre lors du second trimestre et en la ralentissant sur les derniers mois sur ces mêmes marchés et en Chine. La principale inquiétude du premier semestre 2020 sera le marché des États Unis. L’administration Américaine envisage de taxer d’autres produits importés d’Europe en février prochain. Souhaitons que notre nectar régional échappe encore à ces mesures ? Malgré ce contexte économique plus incertain, les grands négociants restent optimistes à moyen terme. Au niveau de la production, les alambics Charentais vont encore faire une belle campagne. La récolte que l’on annonçait assez maigre en volume en raison du gel de printemps s’avère au final dans la moyenne des dix dernières années. Le niveau du rendement moyen devrait s’établir entre 10 et 10,50 hl d’apr./ha.
Des projets d’avenir auxquels les hommes et les femmes de la région doivent être associés
Les objectifs de production d’eaux-de-vie du business plan ne seront pas atteints malgré un rendement Cognac très généreux. Son officialisation au cours de l’été a été l’objet de débats épineux traduisant des divergences d’analyses au sein des familles de la viticulture et du négoce. Le consensus trouvé avec un volume de référence de 14,64 hl d’AP/ha va permettre de distiller et de mettre en stock plus de 800 000 hl d’alcool pur. Aucun fond de cuve n’échappera « à l’appétit » des alambics ! Est-ce trop ou pas assez ? L’avenir le dira ! L’adaptation des potentialités de production du vignoble dans le court et le long terme est un challenge prioritaire et global à la fois pour accompagner le dynamisme des grands acteurs commerciaux et pour assurer le développement harmonieux des 4 300 propriétés viticoles. Trouver le bon curseur aujourd’hui pour construire un avenir prospère et équilibré pour la viticulture et le négoce n n’est pas simple. Les représentants des deux familles siégeant au BNIC ont entériné une extension de la surface du vignoble de 10 000 ha sur les prochaines années. La région s’engage dans un cycle de développement qui est présenté par ses promoteurs comme ambitieux et stratégique. L’économie régionale va prendre un nouveau cap dont la réussite reposera sur la mobilisation de l’ensemble des strates des forces vives de la région. L’écoute et la mise en place de dialogues ouvert et large seront des éléments essentiels pour convaincre « les hommes de l’art » de soutenir cette stratégie. La diversité des idées, les débats larges à tous les étages de la région sont des sources de richesse pour prendre des décisions et construire des projets forts qui respectent l’identité culturelle des hommes et des femmes de la région délimitée.
Le réchauffement climatique «ne confronte-il pas» l’ugni blanc à ses limites ?
L’autre événement majeur de l’année 2019 a été la chaleur et l’ensoleillement exceptionnel de tout l’été. Les séquences tempérées ont été rares et c’est la constance de la chaleur qui a fait « l’alcool pur ». Les niveaux des titres alcoométriques des vins s’avèrent élevés même en présence de rendements généreux. De la mi-juillet à la fin septembre les grappes d’ugni blanc auront été façonnées par des rayonnements intenses qui ont « boosté » la maturation du cépage régional. Le caractère tardif de la maturité de l’ugni blanc et la structure acide puissante des vins sont désormais de « l’histoire ancienne ». La typicité des vins de la récolte 2 019 exprime la forte maturité des raisins et cela se « sent » à la sortie des portes alcoomètres. De telles qualités de vins et d’eaux-de-vie seront probablement les standards des millésimes de la prochaine de décennie. Les conséquences de l’évolution climatique déjà très perceptibles, vont encore s’amplifier. On peut donc s’interroger sur les capacités d’adaptation de l’ugni blanc en 2030 ou 2 040. Notre cépage « roi » sera-t-il encore en mesure de permettre d’élaborer des eaux-de-vie exprimant la typicité unique des terroirs Cognac ? Le sujet est de pleine actualité compte tenu de l’importance des surfaces de vignes plantées actuellement. Celle-ci sera le « poumon » de la productivité et des mises en stocks dans deux décennies. Les échelles de temps de la vigne et du Cognac sont longues et les vendanges 2030, c’est finalement presque demain !
Le respect de l’environnent « bouscule les itinéraires de production
Les problématiques environnementales sont passées en moins de trois ans du statut de problématique émergente à celui de centre de préoccupation majeur. Les consommateurs de Cognac dans le monde font preuve de plus en plus de curiosité vis-à-vis des méthodes de production. La pression sociétale sur les problématiques environnementales ne se limite plus à quelques pays Européens mais concerne désormais tous les marchés porteurs du Cognac. Défendre l’intérêt de process de production fondés sur des niveaux des d’utilisations d’intrants justes normaux est presque devenu une cause perdue. On peut le regretter mais c’est ainsi ! Les polémiques sur l’emploi des pesticides de plus en plus fréquentes attestent d’un changement profond de l’attitude de la société civile. Même si ces réactions sont en partie excessives, elles traduisent une évolution véritable de l’état d’esprit des consommateurs actuels et ceux de demain risquent d’être encore plus exigeants. L’ignorer serait sans doute une erreur historique ! Remettre en cause la totalité de nos certitudes de production actuelles serait également très dangereux ! Intégrer une forte « dose » d’environnement dans les itinéraires de production est une voie ambitieuse, incontournable qu’il va falloir aborder avec de la sagesse et un véritable sens des réalités. Pour la filière Cognac, ce challenge est peut-être encore plus prioritaire que dans d’autres régions viticoles. En effet, les eaux-de-vie distillées cet hiver seront consommées dans le monde entier dans 5, 10, 15 ou 20 ans. Le nectar issu des raisins récoltés à l’automne dernier automne seront dans les verres d’une génération de consommateurs sera dans les verres d’une génération de consommateurs encore plus exigeante.
La viticulture durable, un projet technique et économique majeur
Le concept de viticulture durable est donc un passage obligé mais il va falloir le développer avec lucidité et en s’appuyant sur de nouveaux moyens. La mise en place d’itinéraires de production respectueux de l’environnement va indéniablement transformer les principes de conduite des vignes actuels, peut-être faire chuter les niveaux de productivité et modifier l’équilibre économique des propriétés. L’innovation offre des perspectives intéressantes dont l’intégration ne pourra pas intervenir dans l’urgence. Les cépages résistants aux maladies cryptogamiques, l’agriculture de précision, la robotique vont permettre de repenser certains aspects des méthodes de production mais pas dans le court et moyen terme. Elles ne seront pas opérationnelles avant une grosse décennie et leur déploiement sur des surfaces importantes va demander du temps. Vouloir développer un projet de viticulture durable rapidement est louable mais quels risques cela va-t-il engendrer ? Certaines problématiques majeures comme le mildiou, l’oïdium, le black-rot avec la disparition possible de quelques molécules majeures pourraient à très court terme déboucher sur des impasses techniques. Même l’historique cuivre est aujourd’hui contesté ! Les produits de biocontrôle considérés par les pouvoirs publics comme l’alternative idéale à la chimie sont encore loin d’être opérationnels en vigne. Les spécialités « vertes » actuelles et celles encore dans « cartons » respectent pleinement l’environnement mais sont aussi beaucoup moins efficaces. Quelles solutions auront les viticulteurs d’ici 5 à 10 ans pour maîtriser des problématiques aussi importantes ? L’ambitieux projet de viticulture durable de la région de Cognac ne pourra éluder des problématiques aussi sérieuses. Ce ne sont pas des enjeux qu’il faut « prendre » à la légère. Le développement durable dont l’ambition première est de valoriser l’excellence du Cognac ne pourra se construire de manière pérenne que grâce à des solutions techniques réalistes et à une prise de conscience des conséquences économiques qu’il engendre.
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