Coup de projecteur sur deux jeunes boutures

18 décembre 2019

Récemment établis en Charente, respectivement dans les cantons de Rouillac et Jarnac, Manon Reboul, en cadre familial, et Billy Morice, hors cadre familial, ont expliqué leurs relations avec la SAFER pour leur implantation professionnelle. Entretien. Coup double.

Manon Reboul, 27 ans, installation à Fleurac, en cadre familial

 

Quelle acquisition avez-vous faite ?

Afin de m’intégrer à la société familiale, j’ai acquis 2ha50 de vigne en Fins Bois, 2ha de terre, qui seront plantés si nous avons des autorisations avec la société. En mon nom propre, j’aurais dû faire de la location de matériel, faire appel à des prestations. Acheter un tracteur pour 2h50 n’est pas rentable. L’idée d’intégrer la société s’articule également autour de la succession car j’ai une sœur. Je les mets donc en fermage et les exploite par le biais de la société.

 

Comment s’organise le travail dans l’exploitation familiale ?

Je serai la seule à reprendre à la suite de mon père, avec lequel je travaille. J’ai une sœur qui ne travaille pas du tout dans le milieu viticole. Le plus économique et intelligent, au départ, sera de lui payer une fermage sur sa partie quand mon père partira à la retraite.

 

 

Quels étaient vos rapports avec la SAFER par rapport aux achats effectués ?

Ils connaissaient ma volonté d’installation dans le canton de Rouillac depuis quatre à cinq ans, en somme à ma sortie d’étude. Ils me tenaient informer régulièrement s’il y avait des affaires près de chez moi qui étaient susceptibles de m’intéresser. Il y a toujours eu un échange. Je leur donnais des informations sur mes évolutions professionnelles.

Pour l’opportunité présente, la SAFER m’a contacté. Dans l’immédiat j’ai réfléchi car mes projets professionnels avaient évolué. Ma volonté de m’installer était toujours présente, mais je me posais des questions sur la manière de mener à bien un tel projet. Je me suis finalement porté candidate.

 

Quel métier faisiez-vous en attendant de trouver cette opportunité ?

Je travaillais à l’Oisellerie, au CFA avec les apprentis. Cela me prenait beaucoup de temps. J’aidais le domaine familial les journées de repos et le weekend, mais ce n’était pas une vie. Du coup, j’ai travaillé à l’année mi-temps sur l’exploitation et mi-temps en campagne de distillation, six mois chacun. C’est mon profil actuel, en attendant l’achat des vignes qui va se concrétiser dans l’hiver pour petit à petit quitter cette double activité.

 

Cette idée d’installation était-elle en vous depuis longtemps ?

Au moment des vœux post-baccalauréat, je me suis lancé dans les formations viticoles car je passais déjà beaucoup de temps dans ce monde-là. Je savais, en obtenant mon BTS Viticulture-Œnologie, que mon père ne serait pas à la retraite et que je n’étais pas près de m’installer. Et finalement cette opportunité s’est présentée.

 

Êtes-vous officiellement intégrée à l’entreprise familiale ?

Tout est encore à l’étude, je le serai dans l’hiver. Cet achat d’hectares de vignes permet mon installation et mon intégration à la société. Il faut apporter des moyens : financier ou foncier, ce qui me paraît plus intéressant.

 

Quels conseils donneriez-vous à ceux souhaitant s’installer ?

Je fais partie du groupe des JA de Rouillac. Nous discutons beaucoup entre jeunes. Dans l’installation avec la SAFER, il faut rester sincère dans ses actes, ses projets, ses objectifs, ses lieux d’installation. Il est nécessaire d’échanger avec enjeux, sans a priori.

 

Avez-vous eu des relations avec l’interprofession pour vous implanter (chambres d’agriculture, BNIC, UGVC) ?

Pas du tout. Je me suis directement adressé à la SAFER à la sortie de mes études. C’est un choix personnel. Beaucoup se tournent également vers les chambres d’agricultures, car elles ont le répertoire départ-installation1 qui fonctionne très bien mais je ne suis pas passée par ce biais-là.

 

Comment se sont passées les relations avec les banquiers pour financer votre projet ?

C’est le banquier familial qui connaît déjà la structure de l’exploitation. Je l’ai rencontré aussitôt après la SAFER afin de me présenter, travailler sur les projets et surtout un accompagnement et un suivi, et également du cabinet comptable. Cela fait deux ans, avec le cabinet comptable, nous étudions la manière d’intégrer la société, la rentabilité des investissements. Au final, je suis dans le médian actuel, alors que dans ce triangle Foussignac-Sigogne-Vaux-Rouillac, les prix peuvent parfois s’envoler.

 

Comment gérez-vous la transition entre le travail extérieur et votre future autonomie ?

J’ai commencé ma campagne de distillation l’année dernière, 6 mois, retour dans les vignes. À nouveau six mois de distillation, retour dans les vignes en avril pour intégrer l’entreprise. L’achat des vignes va nous donner davantage de travail. Nous allons arriver à une surface cohérente pour deux personnes dans la société, mon père et moi. Mon père y est actuellement seul, sur une surface où c’est un peu trop pour une seule personne, mais pas assez avec un employé à temps complet. C’est aussi pour cela mon installation a mis un peu de temps, afin de construire intelligemment le foncier, ne pas mettre en péril la société existante.

 

Au niveau environnement, des certifications, avez-vous réussir à l’inclure dans votre démarche d’intégration ?

Mon père travaille déjà sur ces approches environnementales depuis plus de quinze ans avec les techniciens de la coopérative : réduction de doses, diminution des surfaces désherbées. Nous sommes au travail du cavaillon, avec des interceps hydrauliques depuis six ans, combiné avec un désherbage d’hiver, le reste en mécanique. Et depuis trois campagnes, nous avons mis en place des couverts végétaux. Nous avons un très bon technicien de coopérative qui nous tire vers le haut et les évolutions. Durant la morte saison, nous avons utilisé des produits agréés en biodynamie. Nous n’allons pas chercher ces certifications biologiques ni biodynamiques mais nous intégrons à nos programmes phytosanitaires des produits nouveaux qui nous permettent de diminuer les intrants. C’est l’esprit de la viticulture raisonnée. L’objectif est ‘utiliser de moins en moins de pesticides, déjà pour notre propre santé, celle du consommateur, ainsi qu’un aspect financier qui pourrait être bloquant. Nous en parlions en saison, les nouveaux produits intégrés sont plus chers voire équivalents, et nous nous posons la question de la future valorisation. Nous voulons bien faire des efforts, mais si nos eaux-de-vie ne sont pas davantage valorisées, cela sera problématique. Le fait de passer les lames hydrauliques, cela demande la formation d’une personne, de l’investissement en matériel, des tracteurs au point. Nous nous remettons en question constamment, mais la préservation de l’environnement, la dernière campagne, avec la pluie, nous sommes passés, en moyenne, cinq passages de lames hydrauliques du débourrement à la veille des vendanges, contre un seul pour un désherbant. Du coup, cela pose la question du bilan carbone.

 

Y a-t-il d’autres sujets qui vous intéressent ou vous préoccupent pour le futur de votre profession ?

Les autorisations de plantation. Si je m’installe, c’est que je crois un minimum à l’avenir. C’est ma passion. Mais ce qui m’inquiète sont les ventes de Cognac et les quotas. Le fait que nous plantons des vignes car nous ne sommes pas capables de fournir les rendements nécessaires au négoce, mais si les techniques et les produits autorisés sont modifiés, les hauts rendements (15 voire 16 hlAP/ha), avec les produits bio-contrôles et sans désherbant, nous aurons des baisses de rendements, donc nous devrons travailler sur davantage de surface pour répondre aux demandes du négoce. Cette combinaison m’inquiète, car j’ai l’impression que tout cela nous dépasse, que le contrôle n’est pas forcément suivi par rapport à la réalité du terrain. Ce sont des sujets récurrents : les rendements, les autorisations de plantation, les ventes, les produits phytosanitaires, l’environnement.

 

 

1. https://www.repertoireinstallation.com/

 


Billy Morice, 31 ans, installation à Sigogne, hors cadre familial

 

Quelle acquisition avez-vous faite ?

Je me suis installé sur 5 hectares et demi en Fins Bois depuis janvier 2019.

 

Quel métier exerciez-vous précédemment ?

J’étais distillateur au sein de l’entreprise Gélinaud, à Marancheville ainsi qu’ouvrier viticole sur le domaine, où je faisais la taille ou encore les traitements. Je faisais les saisons et ce pendant une dizaine d’années. J’ai eu une formation de terrain (sourires). À côté de cela, il y a cinq ans, j’ai créé une entreprise de prestation de service d’arrachage de vigne avec une mini-pelle. J’arrache les pieds morts et travaille à l’entre-plantation. Cela me permettait d’œuvrer sur une année complète.

 

Quels furent vos rapports avec la SAFER pour cette première étape ?

Je peux leur dire merci. Ils ont joué leur rôle pleinement. Le secteur de Sigogne est très prisé, beaucoup ont plus de moyens que moi. Dans la loi de l’offre et la demande, jamais je n’aurais pu obtenir ces terres car le prix a été raisonné. J’ai pu ainsi tenter ma chance.

 

Sur combien de temps votre projet a-t-il été monté ?

Cela faisait cinq ans que je le mûrissais. Il fallait prendre le virage au bon moment. J’ai vu que les vignes étaient à vendre près de chez moi, de 800m à 2km autour de la maison. C’était l’opportunité idéale. Je me suis investi complètement et cela a fonctionné. J’avais pour projet de passer le diplôme de certificat de qualification professionnel, le CQP. Pour l’obtenir, il fallait que je restasse neuf mois sans salaire. Je n’avais aucune de subvention. D’où la création de mon entreprise. Je voulais travailler un maximum, également avec la distillerie, afin de dégager neuf mois de revenus et passer le CQP. La tournure des événements m’a permis d’éviter cette période.

 

Comment se sont passés ces premiers mois ?

J’ai mis les bottes et j’y suis allé. J’étais très heureux. Je pensais que l’achat de ma maison serait l’achat de ma vie ; je me suis rendu compte que l’achat des vignes en était un également. J’ai de la chance d’avoir de bons copains, je peux les remercier. Ils m’ont suivi de près et n’ont pas hésité à donner de leur temps, des conseils, de leur matériel (des outils, passer du temps dans les vignes afin d’évaluer leur santé), afin de me permettre d’y arriver. Ils ont partagé leur expérience.

 

Au niveau de l’entourage, vous êtes-vous rapproché de l’interprofession ?

Pas vraiment. Pour le moment, je travaille bien avec mon réseau local.

 

Quelles relations avez-vous avec votre banquier et votre comptable ?

J’ai construit un solide dossier auprès du comptable. Avoir une entreprise m’a bien aidé, car le banquier savait comment fonctionnait l’entreprise et il connaissait ma manière de gérer mon compte professionnel. Avoir un CDI ne m’aurait pas permis, auprès de la SAFER, d’obtenir les vignes. Le banquier ne m’aurait pas suivi non plus. Pour faire 5ha de vigne, il faut du temps et même en y étant quotidiennement après le travail, ce n’est pas faisable. Les dossiers ont mis un peu de temps à être traité, mais les banques ont suivi.

 

Continuez-vous la distillation ?

J’arrête de distiller fin novembre et je vais me consacrer aux vignes et à mon entreprise d’arrachage. J’ai déjà fait ma première vendange, même s’il y a eu des complications dues au gel. Pour une année d’installation, ce fut difficile mentalement. Cela fait partie du métier, je le savais avant de m’installer. J’ai distillé mon vin dans les locaux où je travaillais avant, selon les besoins négociants avec lesquels je suis lié, et nous avons les conseils alloués. Les vendanges sont faites par un entrepreneur, pressées, et, le jus, une fois distillé, est envoyé aux partenaires.

 

Comment se passe le vieillissement ?

Pour la première année, je n’en fais pas. Avoir un chai de vieillissement est un projet, d’autant que j’ai la place. Je le ferai par la suite. Dans les premières années, avant de placer l’argent dans les barriques, il faut placer de l’argent sur les comptes.

 

Comment gérez-vous l’aspect environnemental au quotidien?

Comme l’installation est nouvelle, autant s’y investir directement. Les personnes dirigeant les maisons de négoce avec qui j’ai eu des entretiens comprennent qu’en achetant 5ha de vigne, je n’ai pas les mêmes apports financiers pour amortir le matériel qu’une personne qui en possède 20 ou 70 hectares. Ils me laissent le temps. Je m’engage déjà en ce sens, en limitant les désherbages en travaillant avec des lames, ainsi que mes traitements ; j’utilise des produits de bio-contrôle. J’essaie de prendre la bonne ligne. Je pense faire de la lutte raisonnée en intégrant des groupes de travail.

 

Quels conseils donneriez-vous à des personnes souhaitant s’installer ?

Il faut beaucoup de détermination et prendre le risque. Je l’ai pris au moment opportun. Il ne faut pas être avare du travail. On ne peut vivre de 5ha50, heureusement que j’ai mon entreprise à côté. Je souhaite m’agrandir et de réussir à être autonome. Je ne cherche pas à être plus gros que tout le monde.

 

Le fait de ne pas être d’une famille de viticulteurs a-t-il été un frein à votre installation ?

Beaucoup m’ont dit qu’ils étaient contents pour moi, surtout les jeunes que je côtoie, car dans le milieu viticole beaucoup partent à la retraite et ils voyaient d’un bon œil un jeune s’installer et avoir envie d’y arriver. Beaucoup l’ont vu dans ce sens-là.

 

 

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