Conditions de production, agrément, organisme de gestion… Le comité régional INAO, en partenariat avec le BNIC, est en train d’écrire ce qui fera le futur de la région. Belle responsabilité et gros travail pour ses membres. Assisté de Laurence Guillard, Philippe Boujut, président du CRINAO, retrace l’état d’esprit qui anime le chantier et son niveau d’avancement.
« Le Paysan Vigneron » – Où en êtes-vous de vos travaux ?
Philippe Boujut – La réécriture du décret d’appellation Cognac du 15 mai 1936 (1), qui constitue en quelque sorte la charte du Droit à l’appellation Cognac, se poursuit et pourrais-je même dire, est en voie d’achèvement. Il s’agissait notamment d’y intégrer la notion nouvelle d’affectation parcellaire. La décision formelle du conseil de direction de l’ONIVINS validant, le 26 octobre dernier, les hauts rendements pour les Charentes (130 hl +70 hl) a levé la dernière barrière. Dorénavant, rien ne s’oppose plus à l’affectation parcellaire, dont le principe général avait été acté par la loi sur le développement des territoires ruraux parue en février 2005. Qui dit affectation parcellaire dit vignes affectées au Cognac et donc rendement de ces vignes. Il revient au décret d’appellation d’indiquer les règles de fixation de ce rendement ou plutôt de ces rendements. En Charentes, sont retenus deux rendements, un rendement annuel et un rendement « de référence » qui correspond à la typicité du produit Cognac. A été cité comme valeur agronomique le chiffre de 120 hl vol./ha. Je précise que ce niveau serait plutôt à concevoir comme un objectif qualitatif et non comme un plafond de rendement, dont le dépassement entraînerait des sanctions. Un peu à la manière de ce qui se passe dans les régions de vins de bouche, prévaudrait la notion de charge agronomique optimale. En ce qui concerne le rendement annuel, il sera fixé par arrêté ministériel, comme la QNV aujourd’hui. Se retrouvera-t-il dans l’arrêté commun définissant les rendements annuels de toutes les régions ? Existera-t-il un arrêté spécifique eau-de-vie ? Je l’ignore. Quand au niveau de ce rendement annuel, ne nous voilons pas la face. Il répondra à des critères purement économiques. Ce qu’on appelait QNV sera baptisé rendement annuel, avec une méthode de calcul qui a des chances de s’appuyer quelque part sur l’accord interprofessionnel de février 2005. Seule différence, d’importance : c’est le Comité national de l’INAO qui validera tous les ans le rendement de l’appellation. Un autre appendice va devoir être introduit dans le décret d’appellation : le mode de gestion des excédents au-delà du rendement annuel sur les ha Cognac. Si l’idée est acquise que ces excédents ne doivent pas être destinés à la consommation humaine et doivent être transformés à coût zéro pour la viticulture, reste à en définir les modalités pratiques. Ces modalités feront d’ailleurs l’objet d’un arrêté d’application spécifique. La solution est loin d’être évidente. Plusieurs pistes sont à l’étude : alcool de « pétrolette », sucre additif, dénaturation… En la matière nous avons à « inventer » une solution. Enfin, il nous a semblé opportun de profiter du toilettage du texte de base de l’appellation pour procéder à une actualisation des conditions de production. Mais je pense que nous reviendrons sur cet aspect.
« L.P.V. » – Dans quel corpus de texte se situe l’agrément des eaux-de-vie ?
Ph.B. – L’agrément fera l’objet d’un décret – le décret agrément – dont le soin de la rédaction nous incombe. Là aussi, nous sommes en face d’une partition vierge, à écrire de toutes pièces. Car, si d’autres régions productrices d’eau-de-vie AOC ont déjà intégré l’agrément dans leurs décrets d’appellation – le Calvados depuis très longtemps, le Rhum de la Martinique ou l’Armagnac plus récemment – les conditions de mises en œuvre varient beaucoup d’un produit à l’autre. A la difficulté de s’entendre sur le stade ultime de contrôle s’ajoutent des conditions pratiques très disparates. Les flux générés par le Cognac sont sans commune mesure avec ceux de l’Armagnac ou du Calvados. Pour ces raisons, après avoir envisagé un moment un texte « agrément » commun à toutes les eaux-de-vie d’AOC, l’INAO y a renoncé. A chaque AOC de concocter ses propres règles. D’où la notion de « page blanche » pour le Cognac. Au décret agrément prévoyant les grandes lignes de l’agrément – création d’une commission de suivi des conditions de production, modalités de contrôles… – viendra s’ajouter un arrêté qui définira les examens analytiques et organoleptiques sur le produit eau-de-vie.
« L.P.V. » – Quel calendrier vous fixez-vous pour la rédaction de l’ensemble de ces textes ?
Ph.B. – Nous devons être prêts pour la récolte 2007. Concrètement, nous disposons de cet hiver pour aboutir à quelque chose de suffisamment construit. D’ores et déjà, trois ou quatre réunions sont programmées pour mettre, sinon la touche finale, en tout cas le ciment à tout le travail de préparation accomplit par les juristes de l’INAO, du BNIC, du Syndicat. Depuis un an ces techniciens ont échafaudé un premier canevas. Ils ont écrit les grandes lignes du projet, afin de permettre à la filière de décider. Mais, milieu 2005, un léger sentiment de flottement s’est infiltré dans les rangs des professionnels. Les hauts rendements allaient-ils véritablement être validés ? Pourquoi se réunir si ça ne marchait pas ? Aujourd’hui ces tergiversations sont définitivement balayées. Aux membres du CRINAO de se mettre d’accord sur les options définitives.
« L.P.V. » – On ne reviendra pas sur les modalités de l’affectation parcellaire. Dominique Bussereau, lors de sa visite, a confirmé que l’affectation serait annuelle dans un premier temps et qu’un gros travail de pédagogie allait être conduit en direction des viticulteurs. Mais qu’en est-il de la mise en place de l’agrément des eaux-de-vie ? Le sujet avait été amorcé par Laurence Guillard lors de la journée des courtiers.
Ph.B. – Il faut démystifier cette question. Le but n’est pas de se lancer dans des schémas compliqués. Tout le souci du groupe de travail agrément au sein du BNIC consiste au contraire à se servir de l’existant, à l’adapter, quitte à rajouter quelques lignes supplémentaires. On s’aperçoit en effet que même si on ne veut pas compliquer les choses, on est obligé d’être précis, pour couvrir toutes les cas de figure.
« L.P.V. » – Concrètement, comment s’envisage l’agrément ?
Ph.B. – Ce qui a été confirmé à maintes et maintes reprises, c’est qu’il s’agira d’un agrément non pas systématique mais par sondage. L’autre idée forte est de dire que la dernière étape de contrôle concernera l’eau-de-vie à la sortie de l’alambic. A un moment, il avait été envisagé de pouvoir exercer un contrôle durant les 24 premiers mois suivant la distillation. Cette piste a été définitivement abandonnée. Il s’agit aussi de ne pas gêner les flux, de ne pas entraver les opérations de distillation. La région délimitée « brasse » beaucoup d’eaux-de-vie en peu de temps. D’où toute une réflexion sur les délais d’analyses, le temps de réponse de l’agrément… Un lot bloqué ne doit pas arrêter la chaîne de production. Nous distillons en continu.
« L.P.V. » – Quand vous dites que la dernière étape possible de contrôle se situe à la sortie de l’alambic, cela signifie qu’il peut y en avoir d’autres avant.
Ph.B. – Il est classiquement admis que l’agrément représente un tout. En délivrant un certificat d’agrément au produit on agrée aussi toute la chaîne de production. En Charentes, cette chaîne de production s’étend de l’aire délimitée jusqu’à la distillation en passant par le nombre de pieds/ha, la nature du vin, le degré de distillation… Même si dans la région l’on considère souvent « que la distillation fait tout », avoir une vision panoramique semble assez normale. Pour viser l’objectif qualitatif de 120 hl/ha, on ne taillera pas à 100 000 yeux/ha. Même chose pour la zone de production des vins. Imaginez qu’on aille distiller des vins du Gers. L’eau-de-vie qui coulerait de l’alambic ne serait pas du Cognac. Au niveau des vins par exemple, il y aura des critères très simples à respecter, contenus dans le décret d’appellation : l’origine géographique bien sûr mais aussi un TAV minimum de 7 % vol., un taux de SO2 inférieur à 2 g/hl, une acidité volatile inférieure à 0,68 H2 SO4… Un vin qui ne présenterait pas ces caractéristiques ne serait pas considéré comme un vin apte à produire du Cognac. A partir du moment où l’on décide dans cette région, d’avoir un vignoble AOC Cognac et parallèlement, un vignoble dit « de transformation », conduit à 200 hl/ha, il faut pouvoir être en mesure de contrôler le vignoble AOC. L’objectif : être sérieux et crédible sans gêner les opérateurs.
« L.P.V. » – A vous entendre, le contrôle lié à l’agrément peut porter indifféremment sur le vignoble, le vin, l’eau-de-vie à la sortie de l’alambic.
Ph.B. – Tout à fait. Il peut porter sur tout ou partie de la chaîne de production : contrôle des parcelles affectées au Cognac, contrôle d’un lot de vin, d’un lot d’eau-de-vie… Pour prendre l’exemple du vin, chacun sait qu’un bon vin est nécessaire pour faire une bonne eau-de-vie. La sémantique a d’ailleurs un peu évolué sur le sujet. Ce qui pouvait choquer il y a quinze-vingt ans est rentré dans les mœurs aujourd’hui. Même les négociants Cognac s’attachent de plus en plus au vin. Vous remarquerez que les normes pressenties pour figurer dans le décret sont très très larges. Certains nous le reprochent d’ailleurs. Ils souhaiteraient des critères plus sévères. Mais nous partions de zéro et on ne change pas un décret tous les matins. Notre démarche ne cherche pas à conférer aux contrôles un caractère répressif. Il s’agit plutôt de faire de la pédagogie, de réprimer les excès, d’encadrer la production dans un objectif qualitatif. Cette approche ne va pas sans tâtonnement. A travers ce que l’on subodore du réchauffement climatique, on peut se demander s’il ne faudrait pas introduire dans le décret d’appellation la notion de degré maximum, pour dissuader les viticulteurs à chercher trop ostensiblement le degré dans un but économique ? Si ce nouveau critère de TAV maximum était retenu, il n’irait pas sans le filet de sécurité des dérogations, pour tenir compte d’années par trop atypiques comme 2003. Je pense qu’il ne faut pas craindre de se doter de critères de production. Plus on associera de spécificités à notre produit, moins il courra le risque de la délocalisation ou de l’usurpation. Et plus nous donnerons d’arguments à nos juristes et aux gens du marketing pour le promouvoir. Je crois que négoce et viticulture l’ont bien compris. Le problème n’est plus vraiment là mais dans la mise en musique concrète du dispositif, dans ces détails pratiques. Il se trouve toujours des personnes pour soulever des cas particuliers. A un moment, il faudra dépasser ces obstacles pour « boucler la boucle ».
« L.P.V. » – Si le contrôle doit pouvoir s’exercer à tous les niveaux de la filière, comment savoir qui fait quoi ?
Ph.B. – Pour avoir une connaissance des différents opérateurs à tous les niveaux de la filière, l’idée est de les identifier par une « déclaration d’aptitude », un vocable qui pourra peut-être changer dans le temps. Par cette déclaration d’aptitude, l’opérateur s’engagera à respecter les conditions de production. Ainsi par exemple, si le contrôle porte sur le vin, celui-ci sera prélevé chez le vinificateur déclaré comme tel, même si le vin est acheté par un bouilleur de profession. Pour la mise en place de ce dispositif, nous allons être aidés par la nouvelle réglementation sur la traçabilité à la parcelle, applicable à partir de 2006 (Règlement européen 852-2004 NDLR). L’INAO s’appuiera sur les documents qui vont être créés à cette occasion. Pas question en effet de remplir un document particulier quand on peut en dupliquer un déjà existant. En ce sens, on peut dire que la réglementation sur la traçabilité arrive au bon moment.
« L.P.V. » – Qui décidera du plan de contrôle ?
Ph.B. – Cette prérogative reviendra à l’ODG, l’organisme de défense et de gestion qui va être créé dans chaque appellation et donc dans la nôtre également. Je vous rappelle que la notion d’ODG tire son origine du monde viticole, de la CNAOC précisément (Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie à appellation d’origine contrôlée). Pour redonner un nouvel élan aux appellations, la profession a souhaité dissocier les syndicats de défense des organismes de contrôle, selon l’idée que l’on pouvait difficilement être juge et partie. La nouvelle loi d’orientation agricole à paraître va poser le principe des ODG dont la création interviendra ensuite par ordonnances. Par ailleurs, l’INAO confiera à un organisme agréé le soin d’assumer par délégation les tâches pratiques de contrôle. Cet organisme agréé, lui aussi à installer dans chaque région, devra présenter les garanties d’indépendance et de neutralité suffisantes.
« L.P.V. » – Pour orienter les contrôles par sondage, l’ODG procédera-t-il de manière totalement aléatoire ou d’une autre manière ?
Ph.B. – Ce sera à chaque ODG d’en décider. Mais la tendance qui se dessine à l’échelon national est de dire que les contrôles devraient se concentrer en priorité sur les aberrations, les dérives importantes. C’est déjà le cas avec les Douanes. Un viticulteur présentant une déclaration de récolte hors normes, avec des vignes à 400 hl/ha, se désigne tout seul à l‘attention des contrôleurs. Dans ce domaine, le bon sens doit prévaloir. L’INAO est là pour éviter toute absurdité dans le système.
« L.P.V. » – Quelle articulation existera entre syndicat de défense et ODG. Où résidera le véritable lieu de pouvoir ?
Ph.B. – Du côté de l’ODG serais-je tenté de dire. L’organisme de gestion a en effet vocation à recouvrir beaucoup de missions du syndicat de défense. Tout ce qui relève du tronc commun des syndicats – définition des conditions de production, rendement, mise en œuvre du contrôle… – va être transféré à l’ODG, ce qui n’empêchera pas les syndicats de défense de conduire des actions complémentaires : défense des adhérents, conseils techniques et/ou réglementaires… L’ODG aura également le pouvoir de lever des cotisations « volontaires obligatoires » applicables à tous. Dans ce contexte, y a-t-il intérêt à faire coexister les deux structures, ODG et syndicats ? C’est un débat que nous devrons avoir en région. Le Comité national de l’INAO a choisi de laisser carte blanche aux régions même si à terme une trame commune est souhaitée. En sachant que rien n’interdira à un vignoble de s’exonérer de la mouvance générale.
« L.P.V. » – En Charentes, des prémices de discussion avaient déjà concerné la création du Syndicat de défense de l’appellation. Quid de l’ODG ?
Ph.B. – Une chose est sûre, la demande du négoce ne change pas. Que ce soit pour le syndicat de défense ou l’ODG, il souhaite une représentation paritaire, à 50/50, comme ce qui se passe au CRINAO ou à l’interprofession. Au niveau viticole, la décision n’a pas été prise mais les positions me semblent beaucoup plus ambiguës. On retrouve toute l’échelle, du 100 % viticole comme dans d’autres régions aux 50 % en passant par 60, 80 %. Dans une organisation comme l’ODG, je pense qu’il faudra regarder de près le critère de financement. Si la viticulture devait contribuer à 100 % du financement de l’ODG pour une représentation à 50/50, il y aurait certainement quelque chose d’anormale. Je sais bien que la parité viticulture/négoce existe au BNIC alors que le négoce contribue au budget pour 60 %, mais la décision a été prise d’atteindre à terme la parité financière. Sur ces questions de financement, il faut attendre la sortie de la loi d’orientation agricole pour y voir plus clair. Je précise aussi qu’avec l’ODG le but n’est pas de faire un BN bis, avec 110 personnes et des missions similaires. Et vice versa, le BN n’aura pas à se substituer non plus à l’ODG. Il n’y aura pas de doublon.
(1) Le décret du 15 mai 1936 s’accompagne d’un autre décret, celui du 13 janvier 1938, définissant les sous-appellations régionales (Grande Champagne, Petite Champagne, Fins Bois…) et délimitant leurs aires de production. Le nouveau décret a vocation à fusionner les deux textes.
L’INAO a 70 ans
Le 18 octobre dernier, grande réception au Sénat. Sous les lambris du palais du Luxembourg, les membres des quatre comités nationaux de l’INAO ont tenu leur congrès annuel, clôturé par Dominique Bussereau. Par la même occasion, ils ont fêté les 70 ans de l’Institut national des appellations d’origine. C’est en effet en 1935 que naît l’INAO avec, comme premier président, le sénateur Capus. D’où l’hommage rendu par le Sénat aux appellations. Conjonction de dates ! Il y a cent ans exactement, suite à la grande crise phylloxérique et aux dérives qui s’en suivent (faux Cognacs, faux Champagnes, vins frelatés…), est adoptée la loi du 1er août 1905 qui introduit la défense de l’appellation d’origine, en sanctionnant la tromperie sur les qualités substantielles et l’origine du produit. Télescopage de dates encore. Les deux années qui viennent devraient voir la disparition de l’INAO au profit d’un Institut national de l’origine et de la qualité (d’où la possibilité de maintenir l’acronyme INAO). Aux signes déjà gérés par les quatre comités nationaux constituant l’actuel INAO (AOC, AOP, IGP) viendraient se joindre les labels rouges, le label AB et les certifications de conformités. Par une pirouette dont l’histoire a parfois le secret, les vins de pays n’y trouveraient pas leur place. Affaire à suivre.
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