La « Bataille » de la qualité

28 mars 2009

La Rédaction

La société de négoce a souhaité faire de son chai de La Bataille, sur la commune de Saint-Preuil, un modèle de qualité autant qu’un outil de démonstration à l’adresse de ses livreurs. Visite guidée par Jean Pineau et Jean-Pierre Vidal* le 4 octobre dernier, alors que les vendanges battaient leur plein.

 

citerne_3.jpgDe La Bataille, propriété viticole à mi-pente des coteaux de Saint-Preuil, s’offre une vue panoramique sur l’un des plus beaux paysages de Grande Champagne. Ce paysage viticole n’est d’ailleurs pas sans rappeler une autre Champagne, celle de Reims. La société Hennessy a choisi le site pour recevoir et vinifier la vendange de l’ensemble de ses vignobles : Le Peu à Juillac-le-Coq, Douvesse à Saint-Même-les-Carrières, Touzac, Bagnolet… en tout 180 ha. La création du chai de vinification remonte à 1996. Arrivé six ans plus tôt en Charentes, Jean Pineau en assumera la conception. Equipé de cinq pressoirs Pera de 100 hl vol. remplis en un quart d’heure/vingt minutes, le chai est dimensionné pour traiter environ 1 800 hl/jour. Avec deux machines à vendanger en début de chaîne, les vendanges ne doivent pas dépasser trois semaines. Signe distinctif du chai : un tapis de réception des raisins permet de remplir les pressoirs par le haut, sans traumatisme supplémentaire de la vendange. Le transfert se réalise sans conquet ni pompe de reprise. « Le but consistait à éviter d’introduire des artefacts entre la récolte et le pressurage » explique J. Pineau (artefacts : phénomènes d’origine accidentelle qui viendraient altérer l’expérience – NDLR). Outre la batterie de cuves pour la décantation, le chai est également équipé d’un réchauffeur qui, comme son nom l’indique, permet de réchauffer les moûts avant fermentation. Le responsable recherche-développement chez Hennessy voit dans ce chai un modèle de réalisation. « De ce chai, estime-t-il, sont partis tous les chais qui se construisent maintenant dans la région. On retrouve toujours le même principe de travail – pressoirs, cuves de décantation, réchauffeur pour s’affranchir du climat – bien sûr adaptés aux besoins de chacun. » L’équipement se complète, en extérieur, de cuves de plus grande capacité (400 hl vol.), refroidies par arrosage (eau recyclée) et dans l’ancien chai de cuves béton de petits volumes (180 hl), bien adaptés à la distillation. Pour ce type de logement, le système de contrôle de température est celui du drapeau immergé.

Un vin « grandeur nature »

Jean Pineau parle du chai de La Bataille comme d’un outil de démonstration doté d’une grande souplesse, permettant des expérimentations grandeur nature. « Auparavant, dit-il, des expérimentations se conduisaient au vignoble, en laboratoire ou à la distillerie mais il manquait l’échelon intermédiaire du vin “grandeur nature”, permettant de valider les résultats à partir d’un lot significatif. Les 180 ha vinifiés ici représentent 0,5 % de nos approvisionnements. Ils ne sont donc pas stratégiques pour nous mais offrent une vraie opportunité d’approcher la réalité. » Lors des vendanges 2005, 23 expérimentations furent conduites à La Bataille, expérimentations propres à Hennessy ou essais à l’initiative de la Station viticole du BNIC, sachant qu’in fine l’objectif recherché par la maison de Cognac est tout de même l’information et la formation de ses livreurs « sur la meilleure façon de faire du vin ». « Notre seul objectif est l’amélioration constante de la qualité, précise l’ingénieur recherche-développement. Il s’agit non seulement de maîtriser cette qualité mais encore de pouvoir élaborer des produits de qualité en “tout circonstances.” En clair, que la qualité ne soit pas la résultante de facteurs favorables mais relève d’une démarche active, permettant d’agir sur les paramètres qualité. « D’ailleurs dit-il, il faut autant d’énergie pour laissez faire ou mal faire que pour faire bien. Alors pourquoi ne pas faire bien ! »

Depuis le début des années 90, Hennessy véhicule un message fort : l’amélioration des vins, avec la conviction « qu’un bon vin donne une bonne eau-de-vie ». « A mon arrivée note J. Pineau, je me suis rendu compte que la viticulture charentaise souffrait d’un complexe “vin” par rapport à d’autres vignobles. Il fallait réhabiliter le rôle du vin dans la chaîne d’élaboration du Cognac. Ceci est d’autant plus vrai que le vin des Charentes n’est pas un sous-vin mais un vrai vin, avec ses propres contraintes. Pour moi, ajoute-t-il, c’est même l’un des plus durs à réaliser, car il n’a pas droit au moindre antiseptique. Et face à la baisse générale de l’acidité, vérifiable dans tous les vignobles français, les vins s’avèrent de plus en plus fragiles. D’où l’importance du message d’hygiène et de bonnes pratiques que nous nous sommes employés à véhiculer. »

Précurseur du décantage

Si l’on peut considérer que les préconisations d’hygiène sont désormais tombées dans le domaine public, Hennessy a joué un indéniable rôle de précurseur dans l’introduction d’une nouvelle technique, celle du décantage. Ce système qui consiste à traiter et à clarifier le moût avant sa mise en fermentation n’appartenait pas aux traditions charentaises. Pourquoi développer la décantation ? Réponse de Jean Pineau : « Nous recherchions une certaine finesse des eaux-de-vie, en lien avec l’évolution de nos produits. Nous avions besoin d’eaux-de-vie exploitables très rapidement, le vieillissement du V.S étant tout de même court. Il nous fallait donc des eaux-de-vie déjà rondes, sans aspérité. Si le décantage n’est pas la réponse unique, il participe à cet objectif. Un vin plus fin donne des eaux-de-vie plus fines. Notre V.S d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’il y a quinze ans. Je crois qu’il a progressé en qualité. Même chose pour la Fine de Cognac, un VSOP qui ne présente pas la même structure que le VSOP traditionnel. Mais pour que la technique du décantage rentre dans les mœurs, il a fallu du temps poursuit J. Pineau. Le travail d’explication a débuté en 1996. C’est d’ailleurs un principe. La bonne compréhension du pourquoi des choses permet aux gens de s’approprier la technique et ensuite d’exécuter les bons gestes. »

Yann Fillioux, le maître de chai de la maison, confirme l’avancée qualitative. « A la dégustation dit-il, nous avons le sentiment d’une prise de conscience qui aboutit à des évolutions concrètes. Le viticulteur charentais a toujours adoré ses vignes mais se montrait plus hésitant à l’égard de son chai. Aujourd’hui, si tous les vignerons ne sont pas devenus d’excellents vinificateurs, la plupart soignent leur vinification. Cette meilleure maîtrise est surtout sensible depuis 2003. Et heureusement ! Confrontés à une année difficile, les viticulteurs ont su la gérer alors que, de notre côté, nous redoublions nos efforts de conseils. »

Réunions d’information, Lettres aux livreurs, fiches techniques, visites d’exploitations, analyses des vins, dégustations…. le dispositif d’accompagnement et de conseil mis en place par la maison de négoce repose sur une panoplie d’outils. L’équipe de Jean Pineau insiste sur la dimension de conseil ainsi que sur la réactivité de l’approche technique. « En septembre 2004, alors que tout le monde craignait une vendange altérée par le botrytis – la pourriture est un peu notre bête noire car elle marque les vins et les eaux-de-vie – nous avions sorti en quelques jours une note envoyée à nos 1 800 livreurs. Et puis la pourriture a séché sous l’effet du beau temps mais nous avions su prendre les devants, au cas où… »

Le service recherche-développement revendique un certain engagement dans la délivrance de ses préconisations. « On se mouille en donnant nos conseils, même si ces conseils s’appuient toujours sur nos propres essais et expérimentations. Cette année par exemple, nous conduisons cinq essais de levures. Demain, nous pourrons recommander une levure mais nous le ferons que si nous sommes sûrs du résultat. » Jean-Pierre Vidal souligne la richesse d’échange entre l’expérimentation et le terrain. « Ce sont les analyses de vins – plus de 9 000 durant la campagne, faisant du laboratoire d’Hennessy certainement l’un des plus gros de la région – qui ont permis de mettre en exergue le rôle de la trituration de la vendange sur la qualité des vins. »

« La Lettre aux livreurs se nourrit également d’un aller-retour entre fondamental et appliqué » explique Jean Pineau. « Sans être les “tables de la loi”, les fiches techniques que nous proposons à nos livreurs sont autant de gages de réussite de pratiques comme le décantage, le levurage… Nous souhaitons démontrer que la qualité est susceptible de progresser par des gestes simples, sans dépenses somptuaires. En condition de vendanges froides, comme nous en connaissons souvent ici, un réchauffeur d’une valeur de 5 000 € peut déboucher sur un gain qualitatif substantiel. Cet investissement-là est parfois préférable à de plus lourdes dépenses. »

Les nouvelles marges de progrès

Après le vin, où résident les nouvelles marges de progrès ? Pour Jean Pineau, pas de doute. « La marge de progrès va se trouver dans une meilleure prise en compte de la qualité du raisin. Comment apprécier la vendange en fonction des données phénologiques, climatiques ? Comment interpréter la structure même du raisin ? La qualité du raisin, commente-t-il, ne se résume pas à un degré, à une puissance alcoolique. Elle est à corréler avec la charge de la vigne. A degré égal, un vin peut manquer de matière, donner des eaux-de-vie linéaires s’il est trop dilué par de gros rendements ou, au contraire, déboucher sur des eaux-de-vie plus grossières en condition de sur-maturité liée à de petits volumes. »

Pour le responsable du département recherche-développement, l’amélioration constante de la qualité fait partie des devoirs de toute entreprise. « C’est notre raison de vivre de vouloir faire toujours mieux. Une société qui ne se fixerait pas cet objectif serait en perte de vitesse. » A côté de ces considérations générales, J. Pineau évoquent des arguments plus concrets. « En 1990, dit-il, Hennessy vendait 2 millions de caisses. La maison en vend aujourd’hui 4 millions. Cela suffit à expliquer que nous ayons besoin de plus d’eaux-de-vie. Or, en 1990, le vignoble était plus dense. Nous avions donc de quoi largement nous approvisionner. Aujourd’hui la denrée se fait plus rare. Pour que nos livreurs traditionnels puissent satisfaire nos besoins, il est plus que jamais nécessaire de décliner notre message qualitatif. »

Visite d’Exploitations

Depuis cinq ans, Hennessy a lancé une politique de visites des exploitations de ses fournisseurs. Conduites au rythme d’environ 400 par an, elles permettent de faire le tour des exploitations en 3 ans, 3 ans et demi. Cette mission a été confiée à Jean-Pierre Vidal et à l’un de ses collaborateurs. « Nous essayons de faire un état des lieux de l’exploitation du point de vue technique, hygiène, vinification, distillation, stockage. La visite dure environ deux heures. Si tout est “nickel”, tant mieux, sinon nous dégageons les priorités pour chacun et préconisons un plan de modification, réalisable dans le temps. » J.-P. Vidal insiste sur le rôle de conseil et le rapport de confiance qui s’instaure. « Pour moi, dit-il, le relationnel s’est nettement amélioré. A une époque, nos fournisseurs n’osaient pas trop nous appeler. Aujourd’hui, ils n’hésitent pas à le faire même en cas de problème, en toute transparence. Ils savent qu’on est là pour les aider. Par ailleurs, il ne se passe pas de semaine où nous ne soyons interrogés sur un projet de conception de chai ou autre. Nous donnons les grands axes, définissons une logique d’enchaînement des investissements, sachant que le viticulteur décide en dernier ressort, avec son portefeuille. » En plus des visites auprès de toute la population de livreurs, le service technique suit plus particulièrement un noyau de viticulteurs, une quarantaine de fournisseurs exclusifs. Ces viticulteurs sont intégrés à toute la chaîne du contrôle qualitatif. Ils goûtent les vins, sont invités à déguster les eaux-de-vie. « Il est intéressant de suivre ces viticulteurs. Cela permet de voir si le message diffusé est bien compris ou s’il faut corriger le tir. Pour nous, c’est aussi une manière d’acquérir du “vécu”. »

 

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