« Le site des Distilleries de Matha s’agrandit et se modernise. Cette évolution marque une nouvelle étape dans la vie de notre société. Nous avons eu envie de vous faire partager ce moment, vous qui nous accompagnez au quotidien. » Ce vendredi 2 juillet, alors que le ciel vire à l’orage, Philippe Coste accueille dans la cour des Distilleries de Matha une bonne vingtaine de fournisseurs et de prestataires de services : verriers, fabricants d’étiquettes, de bouchons, de décors, transitaires, courtiers, distillateurs… L’idée est de leur faire découvrir le nouveau chai d’expédition, en cours d’achèvement et, plus généralement, le site de production. C’est en 1987 que la Compagnie de Guyenne prend pied à Matha, à l’occasion du rachat de la société Brugerolle, bien connue pour ses Cognacs et liqueurs traditionnelles (liqueur Sève feu de joie de Léopold Brugerolle). Quand le besoin apparaît de nouvelles installations de production, la CDG pourrait opter pour un bâtiment industriel « de tôles et de parpaings » en périphérie de Cognac. Elle choisit d’investir la distillerie de Matha. Explications de Ph. Coste : « On ne peut pas prétendre prospecter les marchés du Cognac et du Pineau sans parler d’histoire, de tradition, de terroir. Un endroit comme celui-ci témoigne en lui-même du soin apporté à nos réalisations. Le sentiment du luxe passe par ces symboles. C’est pourquoi le site de Matha nous semble en totale cohérence avec le message que nous souhaitons transmettre. » Un peu plus tard, le P-DG de l’entreprise évoquera les moellons qui serviront de parement aux murs extérieurs ou encore ce vieux puits conservé au milieu du chai d’expédition. « Sans notre insistance, je ne suis pas bien sûr que le cabinet d’architecte l’eut conservé. » Que Christian Delage, le fabricant de bouchons, déclare que ces bâtiments « ont une âme » est un compliment qui va droit au cœur de l’affectif Philippe Coste, lui qui n’apprécie rien tant que de travailler « en famille », avec ses sœurs Marie-Laure et Céline. Lors de la visite, leur mère, Colette Coste, était là.
des robots de palettisation
Mise en palettes et chargements se feront bientôt dans le nouveau chai d’expédition de 40 m x 30 m. De la salle de mise en bouteille, les caisses passeront directement sur le convoyeur pour aller rejoindre les trois robots de palettisation, chargés de dispatcher les marchandises selon les codes barres. A eux seuls, les trois robots coûtent 350 000 € pour un investissement total d’1,4 million d’€. Une première tranche d’investissement, d’un montant équivalent – 1,4 million d’€ – avait déjà eu lieu en 2003. Justifiés par la reprise de la maison ARB (Augier, Robin, Briand), la filiale brandy de Martell, les travaux avait concerné à l’époque la réception des liquides, la cuverie, le chai de coupe. Ils s’étaient accompagnés du transfert de 21 employés, « dont la plupart sont encore là » a signalé Ph. Coste. Quant à la salle d’embouteillage, dotée de six lignes de mise en bouteille (plus la manuelle), elle avait été installée deux ans plus tôt, en 2001, au détour d’un changement de réglementation des chais jaune d’or. Dorénavant, pouvaient cohabiter dans un même lieu – et donc dans une même salle d’embouteillage – du Cognac et d’autres produits. Pour la Compagnie de Guyenne, ce fut un gros progrès.
adaptabilité
En 2010, il s’agit de rendre le site des Distilleries de Matha « plus compétitif et parfaitement adaptable, pour qu’il puisse se développer en fonction des besoins de nos clients ». Adaptabilité… mot-clé dans l’univers de la Compagnie de Guyenne. Il faut dire que la société a un code génétique double. A la fois, elle anime depuis 1995 une marque forte, parfaitement identifiée, Meukow et sa panthère noire tapie sur le dos de la bouteille ; et puis, dans le même temps, elle alimente toute une série de « produits de commodités « ou « produits de service », encore appelés « marques de distributeurs ». Ces « MDD » peuvent, au choix, appartenir en propre aux grandes enseignes ou leur être dédiées en exclusivité par la Compagnie de Guyenne. L’entreprise s’est fait une spécialité de ce type d’activité, aussi bien pour le Cognac que pour le Pineau. Ses clients se nomment Leclerc – « Nos régions ont du talent », c’est elle – Metro, Carrefour, Monoprix, parfois Système U ou encore Tesco en Angleterre… « Notre cœur de métier, confirme Philippe Coste, c’est le sur-mesure, que l’on qualifie parfois de ”niche marketing”. Par notre intermédiaire, nos clients ont l’opportunité de lancer de petites séries. Ils peuvent ainsi tester leurs marchés, sur des qualités ou des packagings différents. » « Car la perle rare, c’est le client » poursuit le chef de maison. « Ici, nous avons l’habitude de mettre en avant nos clients plutôt que nos produits. »
un système de flux tiré
Cette stratégie du « sur-mesure » a un coût : adaptabilité, réactivité, écoute du client. L’entreprise ne produit rien d’avance, ne dispose d’aucun stock tampon. Elle fonctionne à la commande confirmée et s’engage à livrer la marchandise dans un délai maximum de 15 jours ouvrés. « C’est un système de flux tiré, contrairement au flux poussé qui consiste à produire et voir après. » Dans ces conditions, l’outil de production doit se montrer modulable à l’extrême. Le chai de coupe des Distilleries de Matha fait un peu office de plaque tournante. Y travaillent sept personnes. De son poste, le maître de chai (une femme) donne le tempo. C’est elle qui planifie la charge de travail, de la réception des liquides à la chaîne de mise en bouteille. Selon le carnet de commandes, les camions citernes arrivent, chargés d’alcools ou d’eaux-de-vie de Cognac de différentes sources : chais des distillateurs partenaires, chais de vieillissement de la Compagnie de Guyenne à Cognac. Suivent plusieurs manipulations : passage au froid, pour éviter la précipitation des acides gras sous forme de cristaux blancs ; passage dans une colonne de déminéralisation équipée d’un filtre résine, afin d’éliminer les minéraux, calcium, cuivre et surtout fer, responsable de la casse ferrique (liquide qui devient vert). Dans le chai de coupe, 18 000 hl vol. de cuves inox sont affectés aux différentes tâches : réception des liquides, cuves de travail, stockage des produits prêts à la mise. Naturellement, tout un système de certification et de traçabilité est à la manœuvre. La société a choisi la certification BRC, proposée par une société anglaise. Elle correspond à un haut niveau de sécurité mais, surtout, elle est plébiscitée par la grande distribution britannique. Côté traçabilité, plusieurs niveaux de sécurité existent : codes couleur différents pour le Cognac et les autres produits sur les cuves, bracelets de pompes, clés de raccords des tuyaux et bien sûr code-barres. De la ligne de mise en bouteille, il est possible de remonter à l’échantillon accepté par le distillateur.
A la CDG, le Cognac représente, tous produits confondus (Marques de la maison plus MDD), 1 million de caisses, soit 13 millions de bouteilles. C’est l‘équivalent d’une déjà belle marque de Cognac. En terme financier, le Cognac pèse pour 50 % du chiffre d’affaires, suivi d’un petit quart pour le Brandy et d’un autre quart pour le Pineau. Ce qui, entre parenthèses, fait de CDG un gros opérateur Pineau. La société commercialise également un peu de Vodka, de Whisky, quelques Armagnacs et a lancé depuis le 1er janvier 2010 une liqueur (voir encadré). Particularité ! Chez CDG, le marché français du Cognac y est certainement moins anodin qu’ailleurs. La maison tire 22 % de son activité du marché hexagonal, Pineau et Cognac confondus. Ses autres marchés sont l’Europe du Nord, les marchés de l’Est, la Chine, les Etats-Unis. « La Chine, nous sommes en plein dedans en ce moment et ça marche bien » note Philippe Coste. La société emploie au total 82 personnes, 46 sur le site de Matha et 36 au siège de Cognac, rue Pascal-Combeau.
Le P-DG de la Compagnie de Guyenne a remercié la Mairie de Matha pour sa coopération, le Crédit Agricole Charente-Maritime en tant que financeur et le Conseil général 17 « qui nous a aidés sur les deux tranches de travaux. C’est important de se sentir accompagné ». Il a annoncé que sa maison allait sortir pour la prochaine « Part des anges » – la vente aux enchères de Cognacs organisée tous les ans en septembre par l’interprofession – une carafe d’exception, au-dessus de la qualité Extra. L’exemplaire n° 1 sera offert au Bureau national du Cognac. Le nom de la carafe : Esprit de famille. On ne se refait pas !
* Distilleries de Matha : il n’y a pas d’activité de distillation sur le site. Selon le P-DG de la société, le terme « distilleries » est à prendre dans le sens d’une « bodega » espagnole, une entreprise commerciale vouée aux vins et spiritueux. Les Distilleries de Matha reçoivent des produits bruts mais déjà vieillis, au moins lorsqu’il s’agit de Cognac.
Une saga familiale d’Aujourd’hui
A Cognac, une origine familiale estampille peu ou prou toutes les maisons. Mais, dans le cas de la famille Coste, l’histoire est une histoire vivante. Elle remonte à deux générations et les protagonistes sont toujours là.
Philippe Coste l’a rappelé. « Notre maison fut créée par mes parents, Michel Coste et Colette Coste. » C’est en 1964 que la Compagnie commerciale de Guyenne voit le jour. Pourquoi avoir choisi ce nom, qui ne renvoie pas nécessairement aux rives de la Charente ? Parce que Michel Coste est né à Monpazier, dans cette bastide du sud de la Dordogne, partie intégrante de l’ancienne province de Guyenne. Pour le passionné d’histoire qu’est M. Coste, le concept fait sens. Au départ, l’activité se concentre sur le brandy, avec une mise en bouteille rue Millardet. Mais le véritable développement de l’entreprise démarre en 1979, quand
M. Coste quitte son poste de directeur général d’Otard. Dans les années qui suivent, la société procède à un certain nombre de fusions-absorptions : les Cognacs Réaux de Monboyer et Foucault, dont les bâtiments, rue Pascal-Combeau, serviront de siège à l’entreprise. En 1981, la CCG reprend la marque Meukow, fondée en 1862. Elle continue sa croissance externe avec l’intégration, en 1987, des Distilleries de Matha (créées en 1849), qui appartiennent à la famille Brugerolle. La dernière acquisition a lieu en 1989 avec la maison Rouyer-Guillet, située à Saintes. En 1996, Michel Coste laisse la présidence à son fils. Un an auparavant, en 1995, il adopte le design de la panthère pour la marque Meukow. Animal « puissant et élégant », la panthère est censée célébrer« le lien naturel du Cognac au terroir ». Par sa plastique, elle véhicule aussi une certaine image d’opulence, intemporelle. Alors que la société a mis un frein à sa croissance externe, Philippe Coste avoue aujourd’hui cultiver davantage une stratégie de « maximisation », autant sur la partie services que sur la marque Meukow.
Société Major – Marché français Créer le buzz
Se servir d’une liqueur – la liqueur Jägermeister – pour faire parler du Cognac dans des endroits où, habituellement, on ne parle pas de Cognac… c’est la stratégie visée par la Compagnie de Guyenne avec sa filiale Major, créée en 2010 pour s’attaquer au marché français des CBHR (cafés, bars, hôtels, restaurants).
La liqueur Jägermeister (maître chasseur en allemand) est une liqueur de style bitter (amer) née en Basse-Saxe dans les années 30 sous les auspices d’une famille, les Mast-Findel. Entre dans sa composition, tenue secrète, une cinquantaine de plantes. La saga aurait pu s’arrêter là si la liqueur n’avait connu un succès retentissant aux Etats-Unis grâce à Sidney Franck, « l’inventeur » d’un autre phénomène commercial, la Vodka Grey Goose de Gensac-la-Pallue. En janvier 2010, CDG est devenu distributeur exclusif de la liqueur Jägermeister pour la France ainsi que du Rhum Santiago de Cuba, donné d’une qualité « Tip Top ». Ce faisant, la Compagnie de Guyenne a créé sa filiale de distribution Major. Objectif : se doter d’une force de vente sur le marché français pour démarcher directement le « on trade », c’est-à-dire les lieux de consommation : cafés, bars, hôtels, restaurants (CBHR). Pourquoi une telle stratégie alors que le groupe est plutôt perçu comme un fournisseur de MDD (marques de distributeurs) ? Pour répondre à cette question, Philippe Coste repart du Cognac. « C’est incroyable de voir que le Cognac n’arrive pas à imprimer davantage les esprits en France. La seule solution, semble-t-il, c’est de retrouver le plaisir de la dégustation. Il faut toucher directement le consommateur. » C’est alors qu’intervient la liqueur Jägermeister. « Distribuer une liqueur comme Jägermeister, c’est une occasion unique de parler du Cognac dans un environnement où, d’ordinaire, l’on ne parle pas du Cognac. » La vieille technique du cheval de Troie ! En créant le buzz autour de Jägermeister mais aussi, espère-t-il, autour du Cognac, le négociant souhaite déclencher la demande et, par la bande, intéresser au Cognac ses clients de la grande distribution.
Il faut dire que, comme locomotive, la liqueur Jägermeister présente quelques arguments. Consommée en long drink mais plutôt sous forme de « shooters » (cocktails de quelques centilitres qui se boivent d’un trait), elle se vend à plus de 80 millions de bouteilles de par le monde, surtout aux Etats-Unis mais aussi en Europe (un million de bouteilles en Espagne, deux millions de bouteilles au Royaume Uni). En France, elle démarre de plus bas (80 000 bouteilles) mais présente un fort potentiel de croissance. « L’idée, dit-on à la CDG, est d’atteindre assez vite les 400 000 bouteilles. » Et si, en plus, elle entraîne le Cognac dans son sillage…
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