Cognac, bourbon, scotch… Pourquoi taxer des spiritueux qui ne peuvent être produits ailleurs ?

4 avril 2025

Nina Couturier

Le Distilled Spirits Council dénonce l’incohérence des droits de douane sur une industrie « non transférable », dont les produits sont enracinés juridiquement, culturellement et économiquement.

Le Distilled Spirits Council of the United States (DISCUS), principal porte-parole et défenseur de l’industrie des spiritueux distillés aux États-Unis, réagit à la décision de l’administration Trump d’imposer de nouveaux droits de douane. Son président-directeur général, Chris Swonger, souligne que de nombreux spiritueux sont des produits à indication géographique ou à statut protégé, reconnus comme « produits distinctifs » par les États-Unis et leurs partenaires commerciaux, et qu’ils ne peuvent être fabriqués que dans les pays qui leur sont attribués. Par conséquent, leur production ne peut pas être déplacée vers un autre pays ou une autre région.

Des produits juridiques ancrés

Des spiritueux tels que le bourbon, le whisky du Tennessee, le cognac, le scotch et le whisky irlandais bénéficient d’une reconnaissance mutuelle entre les États-Unis et leurs partenaires commerciaux comme produits distinctifs. Cela signifie qu’ils ne peuvent être produits que dans des zones géographiques spécifiques, selon des méthodes de fabrication réglementées. Cette spécificité rend toute tentative de délocalisation impossible, contrairement à d’autres biens manufacturés, comme le rappelle Chris Swonger.

« Ils ne peuvent être fabriqués que dans les pays spécifiquement désignés. Leur production ne peut pas être délocalisée ni contournée. Leur imposer des droits de douane revient à frapper un secteur enraciné, sans aucune alternative logistique ou commerciale. »

Un modèle fondé sur la réciprocité

Aujourd’hui, près de 86 % des exportations de spiritueux américains — soit environ 2,1 milliards de dollars — sont destinées aux pays ayant supprimé les droits de douane sur ces produits. En retour, les États-Unis ont également ouvert leur marché : 98 % des spiritueux importés proviennent de pays qui ont éliminé les droits de douane sur les exportations américaines.

DISCUS souligne que ce système de libre-échange réciproque a permis à l’industrie des spiritueux distillés de se développer, de soutenir les agriculteurs américains, de créer des dizaines de milliers d’emplois dans l’hôtellerie restauration et de contribuer à la croissance économique américaine.

« Ce modèle de commerce réciproque a fonctionné pendant des décennies », insiste Chris Swonger.
« Il a permis à notre industrie de prospérer, au bénéfice des distillateurs, de l’agriculture, de l’hôtellerie et de l’emploi. »

L’impact des mesures de rétorsion

L’exemple de l’Union européenne est révélateur. Entre 1997 et 2018, les États-Unis et l’UE avaient établi une politique de droits de douane zéro pour zéro sur les spiritueux. Mais en 2018, l’Union européenne a imposé un droit de rétorsion de 25 % sur le whisky américain. Conséquences immédiates :

  • Les exportations vers l’UE — premier marché du whisky américain — ont chuté de 20 %, passant de 552 à 440 millions de dollars entre 2018 et 2021.
  • Depuis la suspension de ces droits, les exportations ont bondi de près de 60 %, atteignant 699 millions de dollars en 2024.

Même logique au Canada, où un droit de rétorsion similaire de 25 % a conduit les monopoles provinciaux à retirer les spiritueux américains de leurs rayons, bars et restaurants. Résultat : une perte de visibilité énorme pour les marques, et un recul des ventes dans un marché historiquement stratégique.

Une industrie à forte valeur ajoutée

Le secteur des spiritueux distillés aux États-Unis est loin d’être marginal :

  • Il soutient environ 1,7 million d’emplois dans la production, la distribution, la vente au détail et l’hôtellerie.
  • Il est étroitement lié à l’agriculture américaine, avec plus de 2,8 milliards de livres de céréales achetées auprès d’agriculteurs américains en 2023.
  • Dans la restauration, les ventes d’alcool représentent plus de 20 % du chiffre d’affaires des restaurants à service complet.

C’est toute une chaîne de valeur — des champs de céréales aux lieux de consommation — qui est affectée lorsque les droits de douane viennent perturber les flux commerciaux, soit un rôle structurant de ce secteur pour l’économie locale et nationale.

L’appel au retour à un commerce sans droits de douane

Tout en comprenant les préoccupations de l’administration Trump sur la question d’un commerce mondial plus équitable, DISCUS appelle à dissocier les spiritueux distillés des mesures de rétorsion. Une industrie « non transférable », dont les produits sont enracinés juridiquement, culturellement et économiquement.

Chris Swonger déclare :
« Nous sommes prêts à collaborer avec l’administration Trump pour démêler l’industrie des spiritueux distillés des récents conflits commerciaux. Un retour à des tarifs zéro zéro pour avec nos principaux partenaires commerciaux est la seule voie cohérente pour permettre à nos 3 100 distillateurs de continuer à se développer sur les marchés mondiaux. »

DISCUS demande à l’administration de reconnaître que les droits de douane sur les spiritueux distillés, qui ne peuvent être produits qu’à leur lieu d’origine, ne sont ni efficaces ni justifiés. Le Conseil appelle à un retour à des relations commerciales fondées sur la réciprocité et le respect des indications géographiques.

Un consensus transatlantique sur la spécificité des spiritueux

La réaction du Distilled Spirits Council of the United States (DISCUS) fait écho à ce que les représentants européens n’ont arrêté de rappeler : les spiritueux ne sont pas des biens manufacturés ordinaires. En cela, la position américaine rejoint pleinement les alertes formulées à Bruxelles par Ignacio Sánchez Recarte (CEEV) et Pauline Bastidon (SpiritsEUROPE), qui ont eux aussi souligné l’ancrage territorial, culturel et réglementaire des spiritueux européens. Tous plaident pour une sortie de ces produits des conflits commerciaux globaux, autour d’un modèle fondé sur la réciprocité, le respect mutuel des indications géographiques et la reconnaissance de la valeur ajoutée économique et sociale du secteur. Autant d’éléments qui renforcent la légitimité des demandes européennes d’exemption et de relance du dialogue dans le cadre de l’accord « zéro pour zéro ».

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