L’UE et la Chine sèment le vent, Cognac récolte la tempête
Ça y est, le mot est lâché. La filière Cognac est en crise et traverse aujourd’hui une période d’instabilité, à la fois économique et géopolitique, dont le terme serait impossible à déterminer, y compris pour le meilleur des prévisionnistes.
Si les tensions internationales se font jour de toute part à l’échelle du globe, l’avenir de la Chine inquiète en premier lieu dans l’ordre calendaire. La perte du marché chinois, deuxième marché du cognac, menacé par la mise en place de droits de douane supplémentaires, constitue la première épée de Damoclès pesant sur la filière (les élections américaines de novembre étant un autre facteur de risque à court terme), la poussant à adopter une position basculant de la prudence à la nécessaire adaptation.
Rendement annuel cognac revu à la baisse pour la deuxième campagne consécutive avec un niveau de 8,64 hl AP/ha pour la récolte 2024, réouverture exceptionnelle de l’affectation 2024 cette année, maintien de l’envoi des excédents cognac aux jus et sucres de raisin, mais aussi dispositif d’adaptation temporaire à venir pour 2025, la filière envoie aujourd’hui un signal qui, s’il est nécessaire, n’est pas sans inquiéter la viticulture charentaise.
Avec des stocks au 31 juillet de plus de 6 millions d’hectolitres d’alcool pur, soit 10,70 années de rotation contre 9,02 l’an passé ou encore 7,20 années au 31 juillet 2015 quand le niveau d’expédition était équivalent à celui d’aujourd’hui (un peu plus de 450 000 hl AP), la filière n’a désormais d’autre choix que de réévaluer ses objectifs de production et de s’adapter en regard pour limiter au maximum les déséquilibres et leurs conséquences. Car si l’embellie observée lors de la dernière décennie a permis une expansion significative des structures viticoles, elle a également créé des fragilités.
Le retour du goût de crise ?
Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Si la campagne 2023-2024 a déjà entamé le capital énergie des viticulteurs, ayant façonné un millésime complexe à gérer à la vigne dans des conditions climatiques ayant rendu les interventions difficiles et avec une pression mildiou qui les aura mis au défi cette année, ces derniers peuvent se satisfaire du travail accompli qui permettra de réaliser le rendement annuel cognac établi à 8,64 hl AP pour 2024. Avec un rendement prévisionnel moyen établi par le Pôle technique et développement durable du BNIC à 95 hl vol./ha (+/- 5 hl), soit 9,5 hl AP par ha à 10 % vol., le contrat est en effet rempli côté viti, bien que le coeur n’y soit pas vraiment. L’allégresse n’est plus de mise et le contexte économique de la filière, contrastant avec la florissante dernière décennie, source d’inquiétudes profondes. A l’heure où la vendange approche, tous les discours axés sur la qualité et la maîtrise de la chaîne de bout en bout, pourtant répétés chaque année, raisonnent différemment aujourd’hui. Ils font craindre le retour d’une notion lointaine et pourtant toujours dans les esprits : le goût de crise. Si ces inquiétudes avaient déjà été exprimées avec le sens de la formule à l’occasion de la réunion des vendanges de l’UGVC l’année dernière, elles ont été réitérées cette année avec un verbe qui, moins fleuri, reste partagé par le plus grand nombre au bout du rang de vigne.
Une situation qui n’est pas sans rappeler la crise des années 70
Déjà évoqué dans notre édito d’octobre 2023, il y a près d’une année, le parallèle avec la crise des années 70, développé par Max Cointreau dans son ouvrage de 1985, reste criant de vérité, la configuration des exploitations viticoles en moins (ce qui est loin d’être un détail). Pour rappel, dans ce petit opus consacré à La crise du cognac, douze mesures pour l’avenir de la Grande Champagne, Max Cointreau indiquait alors que « le cognac [avait] connu, jusqu’en 1973 environ, un essor prodigieux. La prospérité n’était pas l’aisance pour tous, mais le décollage économique de la région a permis une prospérité euphorique, extraordinaire dans la vie d’une population. Le moteur psychologique était d’abord la confiance dans l’avenir. Les viticulteurs vendant facilement, l’argent circulait vite, les emplois se trouvaient et se créaient. Les viticulteurs changeaient facilement de tracteur et avaient la possibilité d’acheter tout le matériel nécessaire. […] Trois facteurs expliquent [alors] l’expansion de la viticulture : le stockage, l’extension des vignobles amenant la monoculture et l’amélioration des rendements avec la mécanisation de la culture de la vigne. » C’est alors à cette époque et « en extrapolant les résultats d’une étude du Bureau national du cognac, qui déterminait le taux d’expansion des ventes du cognac autour de 7 % par an, [qu’il] fut décidé de planter en plusieurs étapes 30 000 hectares de vignes pour que la production suive la demande. Le premier jour, une demande gigantesque se produisit pour avoir les autorisations de plantations. Tout le monde en voulait et on a planté dans de nombreux endroits critiquables […]. Disposant de capitaux, les viticulteurs se sont mis à investir, et les perspectives s’annonçant de plus en plus positives d’après les prévisions, ils n’ont pas hésité à s’endetter, recevant un accueil très favorable des organismes financiers. »
Bis repetita ? « L’essor de la production a duré pendant plus d’une dizaine d’années en assurant le développement de la région, en rééquilibrant la demande et en permettant de répondre à l’offre. En même temps, le volume global a fini par dépasser les capacités d’absorption des marchés, avec le ralentissement du commerce mondial à partir de 1973 dû au premier choc pétrolier », et dans un contexte de plantations nouvelles déjà réalisées et d’une amélioration effective des techniques agricoles permettant une nette amélioration des niveaux de rendement. « D’un point de vue structurel, le début de la crise du cognac a coïncidé avec une période de mutation profonde dans le monde. Deux chocs pétroliers, des crises économiques et monétaires profondes, une augmentation des prix, de la concurrence internationale et du chômage ont frappé de plein fouet les exportateurs sur tous les marchés étrangers.» « D’un point de vue conjoncturel, une succession de bonnes récoltes et la quantité de stocks disponibles ont contribué à aggraver la crise. Car, en plus des droits de plantations, les conditions climatiques ont joué dans le même sens : en l’espace de 5 ans, la région a produit trois “années du siècle” : 1970, 1973, 1975 […]. »
Un déséquilibre de l’offre et de la demande impactant à la fois la viticulture, disposant de moins de liquidités, le négoce, supportant le poids du stock (plus de 70 % du stock au négoce en 2024), mais aussi tous « les secteurs artisanaux qui profitaient de l’activité viticole ». Et pour quel épilogue ? Si l’arrachage définitif était la mesure phare du plan évoqué à l’époque par Max Cointreau, d’autres mesures étaient par ailleurs évoquées pour endiguer la crise du cognac. Diversification, contrôle des rendements, montée en puissance des syndicats, redynamisation des exportations et développement des actions de communication et de formation, implication des élus à tous les niveaux, actions en faveur de l’attractivité du territoire et de son désenclavement… soit autant de mesures qui sont pour certaines encore sur la table.
Si l’arrachage définitif ne fait pas partie des options présentées par les représentants de la filière, lui préférant leur conférer aujourd’hui un caractère temporaire qui permettrait d’être en ordre de marche au moment d’une reprise, l’annonce de l’absence d’aide du Gouvernement pour des arrachages temporaires, contre 4 000 euros par hectare pour les arrachages définitifs, pourrait accélérer le débat.