Cent ans à l’écoute d’un territoire toujours en mouvement

13 juin 2025

La Rédaction

Depuis 1925, Le Paysan Vigneron s’inscrit dans une relation de proximité avec ses lecteurs. Créé à Cognac dans un contexte de bouleversements économiques et agricoles, le journal s’est voulu, dès le départ, un outil de lien et de connaissance. Pas pour enseigner, mais pour partager. Pas pour surplomber, mais pour relayer. Ce positionnement, exprimé dès notre premier éditorial, reste notre cap : une presse écrite au service du concret, des réalités du terrain et des évolutions vécues au quotidien par vous, nos lecteurs. Et il s’en est passé des choses en cent ans. Nous avons vu la mécanisation transformer les gestes du métier, les crises redessiner les équilibres, les normes restructurer les pratiques. Nous avons accompagné les mutations de la filière, les débats sur les rendements, les transitions agronomiques, les tensions sur les marchés. Nous avons vu les générations se succéder, avec leurs espoirs, leurs colères parfois, leur volonté toujours de faire tenir leur métier dans un monde qui change. Nous avons publié plus de mille numéros. Mais au-delà des chiffres, c’est une mémoire collective que nous avons contribué à forger. Aujourd’hui, alors que nous entrons dans notre centième année, nous ne regardons pas notre passé comme une vitrine. L’anniversaire que nous célébrons en 2025 n’est pas un exercice d’autosatisfaction, mais une invitation à relire, à comprendre, à éclairer le présent. Car ce que nous observons aujourd’hui dans la filière viticole charentaise – tensions économiques, incertitudes contractuelles, blocages commerciaux, défi de la transmission – n’est ni une parenthèse, ni une surprise. Ce ne sont pas les anciens qui diront le contraire.

LES JEUNES AGRICULTEURS DES DEUX CHARENTES RÉCLAMENT DES ACTES

A l’heure où nous bouclons ces lignes se joue d’ailleurs peut-être quelque chose. Les Jeunes Agriculteurs de Charente et Charente- Maritime ont publié une lettre ouverte qui ne laisse place à aucune ambiguïté. Dans ce texte adressé aux principales structures représentatives de la filière Cognac, ils expriment un sentiment de lassitude. Ce qui est mis en cause, ce n’est pas seulement la conjoncture, mais une forme d’immobilisme institutionnel. Les structures représentatives sont perçues comme insuffisamment présentes du débat en local. Les jeunes viticulteurs ne réclament pas de mesures symboliques, mais des réponses concrètes : un positionnement public des instances, des outils de régulation, une étude du mode de gouvernance. En l’absence de réponse, ils préviennent qu’ils se mobiliseront. Pas par posture, mais parce qu’ils n’ont plus le choix. Une mobilisation qui irait cette fois audelà des seuls enjeux internationaux, eux-mêmes sans issue à date.

PAS D’ACCORD EN CHINE ET DONC PAS ENCORE DE SORTIE DE CRISE

Le 10e Dialogue économique et financier franco-chinois, tenu le 15 mai dernier, très attendu par la profession, s’est finalement conclu sur une absence d’accord pour le cognac. Pas de levée des blocages commerciaux. Pas de déclaration commune. Sur le dossier du cognac, rien n’a bougé. Les droits antidumping provisoires imposés par la Chine restent en place, de même que le gel du duty free. Depuis novembre, chaque conteneur d’eau-de-vie de vin charentaise doit s’accompagner d’une caution douanière. Résultat : des exportations freinées, des flux désorganisés et une filière qui évalue aujourd’hui ses pertes à 50 millions d’euros par mois. La perspective d’un allégement des mesures reste floue, sans promesse ni calendrier, mais avec un silence qui pèse. Cette séquence diplomatique est aussi révélatrice du déséquilibre des rapports de force alors que, dans le même temps, les États-Unis obtiennent une réduction réciproque des droits de douane sur plusieurs catégories de produits. L’axe Pékin-Washington se redessine sous nos yeux, avec des effets tangibles. L’Europe, elle, reste en marge. La France, en particulier, se heurte à une réalité brutale : sa capacité d’influence commerciale ne suffit plus à protéger certains de ses fleurons exportateurs. Dans cette impasse, la filière viticole charentaise n’a pas de marge. Elle attend des réponses. Et surtout, elle attend qu’on parle d’elle autrement qu’en marge de communiqués diplomatiques généraux. Parce qu’il ne s’agit pas ici d’un simple ralentissement conjoncturel, mais d’un risque de décrochage durable. La crise est là. Elle est chiffrée, documentée et désormais vécue.

ET SI LA DIPLOMATIE FRANÇAISE NE PASSAIT PLUS ASSEZ PAR LE GOÛT ?

La France est une puissance culinaire reconnue. Son vin, sa cuisine, son art de vivre jouissent d’une renommée mondiale qui s’est construite sur le temps long, à coups de savoir-faire, de récits, de pratiques partagées. Mais cette réputation est-elle encore un levier actif de sa diplomatie ? Ou bien s’est-elle figée en symbole, que l’on convoque sans vraiment l’exploiter ? La question mérite d’être posée… Partout dans le monde, des pays développent des stratégies culturelles où la nourriture devient un outil politique à part entière. La Corée du Sud, la Thaïlande, le Pérou l’ont compris. Ils ne se contentent pas de faire rayonner leur cuisine : ils l’activent comme un langage diplomatique, un vecteur d’image, un levier économique. La France, elle, semble s’en remettre à sa notoriété. Comme si son prestige gastronomique suffisait à prolonger son influence. Mais le monde a changé. Les consommateurs aussi. Les récits ne circulent plus comme avant. Et la simple évocation de la « cuisine française » ne suffit plus à raconter nos terroirs, nos produits, nos spécificités – ni à répondre aux offensives commerciales de nos concurrents. Dans ce paysage, les vins et les eaux-de-vie pourraient être des piliers de notre diplomatie culturelle, et le cognac en particulier, qui possède déjà une forte identité à l’international, pourrait y jouer un rôle central. Son ancrage dans certaines cultures urbaines et son image de produit à la fois traditionnel et contemporain en font un médiateur naturel entre patrimoine et modernité. Mais encore faut-il le dire, le montrer, le revendiquer. Réinvestir le terrain de la gastrodiplomatie ne signifie pas reconstruire ce qui a déjà été fait. Cela signifie adapter notre influence aux nouveaux codes de communication, aux attentes des marchés et aux logiques de soft power contemporaines.

UNE AUTRE INFLUENCE EST POSSIBLE, ET ELLE COMMENCE ICI

À défaut de peser pour l’instant sur les décisions internationales, les Charentais des terres et de la côte investissent, quant à eux, un autre terrain d’influence : celui de la relation directe, de l’accueil et de la transmission. Au travers d’une programmation estivale 2025 plus riche que jamais – expositions, visites patrimoniales, rencontres, itinéraires oenotouristiques, festivals, etc. – le territoire poursuit son mouvement et n’a de cesse de se découvrir. Loin d’être une vitrine figée, il se veut vivant et capable de parler à tous les publics. Et c’est peut-être là que se joue, désormais, une partie de l’essentiel : dans les paysages, les verres tendus, les histoires racontées au fil des vignes. Une diplomatie par les sens, par les usages, par l’hospitalité. Malgré les tensions, malgré les blocages, la vie de la filière ne s’arrête pas ! Et dans ce contexte, notre rôle reste le même : rendre compte de la réalité telle qu’elle se vit, sans filtre ni excès, en donnant la parole à ceux qui n’ont pas toujours les moyens de la faire entendre ailleurs. Être un journal professionnel, c’est documenter ce qui se passe, mais aussi aider à penser ce qui vient. C’est pourquoi, en 2025, Le Paysan Vigneron continue – et continuera – d’être un espace d’expression, de contradiction, de construction. À l’écoute du terrain, comme depuis 1925.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A lire aussi

Crédits carbone : mieux mesurer les impacts pour plus de crédibilité

Crédits carbone : mieux mesurer les impacts pour plus de crédibilité

Instrument de compensation des émissions de gaz à effet de serre (GES), les crédits carbone sont adoptés par les entreprises soucieuses de limiter leur empreinte environnementale. En investissant dans des projets visant à réduire ou stocker les émissions de GES, ces...

Les Phyt’ autrement, une matinée d’alternatives

Les Phyt’ autrement, une matinée d’alternatives

Face au retrait de nombreux produits utilisés par la filière pour lutter contre les pathogènes de la vigne, il devient nécessaire de modifier ses pratiques et d’utiliser d’autres types de produits, dits de biosolutions. Les Chambres d’Agriculture 17/79 et 16, dans le...