Une page se tourne

27 juin 2009

La Rédaction

Inscrite au cœur du vignoble Fins Bois, la Cave du Liboreau, à Siecq, a fusionné fin d’année 2008 avec Syntéane, le groupe coopératif charentais dont la branche viticole occupe aujourd’hui une position de premier plan au sein de la coopération viticole charentaise. Même motivée par de bonnes raisons, la fusion-absorption représente toujours un concentré d’émotions et d’interrogations pour la coopérative absorbée. Rencontre avec Jean-Yves Marilleau, président de la Cave du Liboreau depuis treize ans.

 

marilleau_9_opt.jpeg« J’avais le sentiment que nous avions atteint un point de non-retour ». Jean-Yves Marilleau ne le cache pas. C’est au nom de la sagesse et de la rationalité qu’il a défendu l’idée de se fondre dans une autre structure. Mais à écouter son cœur ou ses « tripes », l’aurait-il fait ? « On ne travaille pas pendant des décennies pour donner les clés à un autre organisme. On ne me fera jamais dire ça. Ce n’est pas une évolution logique des choses. » Seulement voilà, le principe de réalité rattrape les hommes comme les entreprises. Et, à la Cave du Liboreau, le principe de réalité s’est manifesté sous la forme d’une défection d’adhérents, et donc d’ha. En régime de croisière, en plus de ses surfaces vins de pays et vinification à façon, la coopérative viticole disposait, il y a peu de temps encore, d’un socle d’Ugni blanc d’environ 110 ha orientés vers le Cognac et le Pineau. Ces ha constituaient le noyau dur de la coopérative, ceux-là mêmes qui avaient permis à la cave de s’adapter aux heurs et malheurs de la région. Après certains départs à la retraite (exploitations reprises par des vignerons non-coopérateurs), cette surface avait fondu de quelques dizaines d’ha. Mais à 90 ha, le pari était encore jouable. Sauf qu’en quelques années, la cave constate l’évasion de 48 ha, le fait des plus gros adhérents de la structure, apporteurs à 100 %, happés par les « sirènes du négoce ». Leurs récoltes continuent d’être vinifiées par la coopérative – il faut faire tourner l’outil – mais « ne reviennent plus à la maison ». Un manque se creuse sur la partie commercialisable. Au niveau de la vente des Pineaux et Cognacs, ne restent plus que 42 ha de vins blanc Cognac, répartis sur dix-douze exploitations. « Le nœud du problème réside là, dans la perte de ces 48 ha » résume J.-Y. Marilleau. A quinze kilomètres à la ronde, c’est un des pans les plus dynamiques du tissu coopératif qui se délite. Autour de la table du conseil d’administration, le président perd ses principaux collègues impliqués dans la filière viticole et, faut-il le dire, vit douloureusement d’apprendre la nouvelle par la bande. « Ils sont partis sans rien dire, sans éclats de voix ni débat. C’est ce qui fait le plus mal. » Quelque part, les principes coopératifs sont bafoués. « La somme des intérêts individuels met en péril le collectif. Nous en étions là. » La cave va-t-elle pouvoir faire jouer les statuts pour s’interposer aux départs ? En reprenant la présidence il y a treize ans, J.-Y. Marilleau hérite d’une situation de fait. Depuis des décennies, Le Liboreau joue à fond la carte des vins de table et des jus de raisins, dans une période de faibles QNV et de récoltes plus abondantes qu’aujourd’hui. Une politique menée à la satisfaction de tous car elle met du « beurre dans les épinards. » Mais, revers de la médaille, la coopérative consent aux apports partiels et aux allers-retours, en se montrant oublieuse des pénalités. De toute façon, eut-elle voulu les appliquer aujourd’hui qu’elle aurait dû « bétonner » bien davantage ses statuts. Ainsi la cave se retrouve-t-elle devant le fait accompli, sans moyen de réagir.

Prendre les devants

Que faire ? Rester seul sans bouger, en constatant la baisse des ha et en attendant que les stocks de Cognac et de Pineau chutent de façon dramatique ? Ou prendre les devants, pendant que la situation est encore saine ? Le président penche pour la seconde solution et son conseil d’administration le suit dans son analyse. « Face à un niveau de production trop bas, qu’advient-il ? La structure ne peut plus faire face aux charges fixes, aux charges de personnel devenues aujourd’hui incompressibles. Depuis un an et demi, les cours du Cognac et du Pineau nous aidaient beaucoup mais cet effet conjoncturel ne devait pas masquer la réalité, la baisse des surfaces et la chute des stocks. » Jean-Yves Marilleau prend l’initiative de rencontrer les gens de Syntéane, qu’il connaît bien. Le Liboreau possède une distillerie en commun avec Syntéane et la coopérative de l’île de Ré au sein de l’Union de Mosnac. Par ailleurs, la coopération a l’habitude de se serrer les coudes sur le chapitre des Vins de pays et du Pineau. « De toute façon, il n’y avait pas 36 structures capables de répondre à toutes nos activités et nous, dans la situation où nous nous trouvions, nous avions besoin d’une solution globale ! » S’ensuit au printemps et en début d’été 2008, une série de navettes entre Le Liboreau et Syntéane avec, à chaque fois, un retour vers le conseil d’administration du Liboreau, où la question de confiance est posée : « On arrête ou on continue ? » Le résultat du vote n’est pas difficile à deviner. Syntéane ne s’engage pas à la légère. Elle demande, en toute logique, à examiner les comptes. « Nous avons clôturé sur un bon bilan, je tiens à le souligner » précise Jean-Yves Marilleau. Arrêter en plein vol alors que tout va bien au niveau des comptes peut sembler paradoxal. Pourtant cette apparente contradiction s’explique aisément, par l’effet mécanique des vases communicants. En phase de baisse des surfaces, la coopérative écoule des stocks élaborés sur plus d’ha. Dans le même temps, elle sert des rémunérations à moins d’adhérents. Ainsi toutes les conditions sont réunies pour sur-vitaminer les chiffres mais sur une période bien circonscrite. Si aucun pare-feu n’est prévu, la coopérative risque d’être rattrapée par la baisse des stocks et avec elle, le lot des ennuis.

Des amortissements à expiration

L’incendie de 1994 avait alourdi la structure en charges d’amortissement mais ces amortissements arrivent à expiration. En terme d’emprunt, l’outil est fini de payer. Au niveau du Cognac, la coopérative possède un contrat Hennessy depuis 2005, via le distillateur local. Au niveau du Pineau vrac, le contexte 2008 est porteur. Les vins de pays s’équilibrent, « grâce » aux deux petites récoltes précédentes mais aussi à l’existence d’un débouché important sur l’Angleterre complété des ventes sur place. Tous produits confondus, le circuit court dégage un chiffre d’affaires de 300 000 € HT (200 000 € au magasin et 100 000 € auprès des CHR du voisinage). La performance du site est reconnue de tous. La cave ne vient-elle pas de décrocher deux médailles d’or au dernier Concours général agricole, l’une pour son Vin de pays rosé, l’autre pour son Pineau rouge. De même, lors du dernier concours Anivit, elle a obtenu une médaille d’or pour le Sauvignon et une d’argent pour le Chardonnay. Ainsi, dans la « corbeille de la mariée », Le Liboreau n’arrive pas les mains vides.

Des assurances

Au fil des discussions avec Syntéane, la cave souhaite obtenir des assurances sur un certain nombre de points. Et les obtient. L’un d’entre eux a trait à la continuité de la vinification sur place pour l’élaboration des trois produits Pineau, Cognac et Vins de pays, une question qui revient souvent chez les adhérents. Même chose pour l’utilisation, autant que faire se peut, des débouchés historiques du Liboreau, ainsi que du maintien sur site du magasin de vente au détail. « C’était important pour nous en terme d’ouverture sur l’environnement local. La Mairie de Siecq nous a toujours soutenus. » Un autre point concerne la poursuite de la prestation de service afférente à la vinification des vins Cognac, une activité devenue incontournable pour la cave. A noter d’ailleurs que les adhérents qui sont partis continuent de vinifier leurs volumes à la cave, avec l’assentiment de la structure, sauf à déplorer que la partie la plus rémunératrice – l’activité de commercialisation – ait déserté la coopérative. La sauvegarde de l’emploi des cinq salariés permanents constitue un autre élément important. Syntéane, qui n’en est pas à sa première fusion-absorption, tranquillise le conseil d’administration sur le sujet. A l’intérieur du groupe, les départs à la retraite ont jusqu’à maintenant permis d’éviter les licenciements. Qui plus est, la cave n’ignore pas qu’en restant sans bouger, elle n’aurait pas eu les moyens de sauver ses cinq permanents. Parmi les assurances à décrocher, il y a enfin le contrat Hennessy avec le distillateur local. « Il s’agissait d’un facteur important pour l’image de la coopérative dans le secteur. Syntéane l’a bien compris. » Côté rémunération, les adhérents du Liboreau n’ont rien à perdre à intégrer Syntéane, bien au contraire. Globalement, ils seront mieux payés et plus vite. Si le différentiel est légèrement supérieur sur les vins de pays, il s’avère plus important sur les Pineaux et Cognacs. Mais surtout, le principal intérêt réside dans la rapidité de paiement, en seulement deux échéances, après la récolte et au printemps suivant. L’effet groupe permet une meilleure gestion de la trésorerie.

Une rencontre est organisée fin juillet entre les adhérents livreurs du Liboreau et les gens de Syntéane, suivie d’une seconde réunion avant vendanges, réservée aux seuls adhérents du Liboreau, afin qu’ils puissent s’exprimer plus librement. Courant septembre, les deux conseils d’administration prennent la décision d’enclencher la fusion avant la fin de l’année 2008. Pourquoi avancer aussi vite ? Il s’agit de pouvoir faire jouer la rétroactivité, en clair que Syntéane assure le paiement de la récolte 2008. Syntéane et Le Liboreau tiennent leurs assemblées générales extraordinaires décidant de la fusion respectivement le 11 et le 18 décembre 2008. Bonne participation à l’AG du Liboreau où le « oui » l’emporte à 88 %. Clairement, la grande majorité des adhérents envisage cette fusion d’un œil bienveillant. Les retraités ont l’assurance de récupérer leur capital social, nombre de sociétaires sont déjà adhérents de Syntéane, ils ne changent donc pas de « boutique ». De même, en Charente, beaucoup d’adhérents sont déjà à la CAC, sachant que les deux coopératives travaillent en commun pour les agro-fournitures et les ventes de céréales. Les oppositions les plus fortes viennent d’adhérents, sur des considérations territoriales liées aux agro-fournitures et aux céréales. Ceci dit, il est assez délicat à ces opposants d’élever la voix puisque ce sont les mêmes qui ont livré, plus ou moins récemment, plus ou moins partiellement, leurs Ugni blanc à la coopérative avant de se retirer. Commentaire navré de Jean-Yves Marilleau : « Ils avaient la solution entre leurs mains. »

Un siège à syntéane

Dans la fusion, la Cave du Liboreau perd son nom. Toutefois sa bannière devrait être maintenue sur les produits commercialisés au magasin. Elle hérite d’un siège au conseil d’administration de Syntéane et de trois sièges à la commission viticole du groupe, là où se dégrossit la politique viticole de la coopérative. Naturellement, au sein du groupe, ses représentants vont tout faire pour que l’identité du Liboreau soit préservée. « La cave a toujours su exprimer une qualité au plan technique, un savoir-faire au niveau des hommes. Notre maître de chai est quelqu’un d’extrêmement fiable. Nous fûmes les premiers dans la région à mettre en place une grille de paiement à la parcelle, associée à un encadrement strict des rendements, avec la collaboration de Lionel Dumas-Lattaque, de la Chambre d’agriculture de la Charente-Maritime. Car nous avions très vite compris que les gros volumes diluaient la qualité. De même notre petite taille nous a permis de faire du “cousu main”, avec des apports à l’optimum de maturité. »

J.-Y. Marilleau redit sa confiance dans le modèle coopératif. « Il y a vingt ans déjà, quand je me suis installé, on me disait que la cave du Liboreau n’avait pas d’avenir. Vingt ans plus tard, elle est toujours là, même si elle évolue. Certes, il nous a sans doute manqué un contrat grande maison un peu plus tôt. Nous y avons travaillé intensément mais l’ouverture ne s’est concrétisée qu’il y a quatre ans. Dans cette région, le grand négoce est incontournable. Par ailleurs, il faut bien reconnaître que l’incendie ne nous a pas aidés. La coopérative a eu du mal à rebondir quand il a fallu miser davantage sur la commercialisation, après avoir longtemps valorisé les récoltes en vrac. Nous n’en avons eu ni le temps ni les moyens. Le commerce ne s’improvise pas. Par contre je reste persuadé que la coopération, sous ses différentes formes – cuma, groupement, coopérative, sica… – reste un modèle fiable pour les exploitations moyennes. Quand je vois aujourd’hui des gens sans successeurs investir individuellement dans des sites de vinification, cela me semble aberrant. Travailler en commun, c’est faire ensemble ce que l’on ne peut pas faire seul. La coopérative aide à passer des caps difficiles. Mais il faut s’en souvenir quand les choses s’améliorent. C’est ce qu’on appelle la fidélité, un mot quelque peu désuet par les temps qui courent. Finalement, pour se maintenir, il n’aura manqué à la Cave du Liboreau que quelques dizaines d’ha. Mais le passé est le passé. L’aspect primordial pour nous maintenant, c’est de conserver tous nos ha, voire d’en accueillir de nouveaux en commercialisation ou en prestation de service, en continuant de travailler dans le respect de nos valeurs. »

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