Cave coopérative de lîle de Ré : une stabilité et des investissements

10 avril 2019

À cheval sur deux exercices, Jean-Jacques Enet, président de l’Uniré, la coopérative viticole et maraîchère de l’île-de-Ré, nous livre les ressentis de l’exercice 2017/2018, avec une certaine ubiquité, par un œil déjà avisé sur la fin des distillations 2019. « La récolte 2017 a été très abondante. Nous avons totalement échappé au gel sans avoir ni problème climatique ni de maladie. Nous avons fait une année exceptionnelle, plus en quantité qu’en qualité, puisque nous avons connu un phénomène de dilution de par le volume. Nous l’avons davantage obtenue cette année [NDLR : en 2018] avec quasiment les mêmes quantités, un tout petit moins de récolte mais une qualité remarquable. »

Abondance de biens ne nuit pas, dit le proverbe. En viticulture, cet adage s’avère vrai si le rendement est maîtrisé et en adéquation avec son territoire, son agronomie. Cet équilibre est permis par la grâce du labeur et d’une remise en question après plusieurs années délicates. « Nous avions eu une succession de cinq années, depuis 2012-2013, de toutes petites récoltes : pour les rouges de 35hl/ha, ce qui est insuffisant, et pour les blancs à 70hl/ha, ce qui était très insuffisant dans une période où le produit se vendait très bien. » Ainsi, depuis 2016, les vignerons rétais ont vu leurs efforts récompensés, et leur élan non brisé, par la grâce d’être passés à côté des orages de grêle du 26 mai 2018 qui ont largement touché la Saintonge et le Bordelais. « La belle récolte a reproduit du stock. C’est toujours plus facile d’avoir un volume de stock plutôt que d’être toujours en flux tendu et d’arriver au 31 août en espérant que cela aille jusqu’au bout. Le pire est d’annoncer aux distributeurs de dire que nous n’avons plus de produits, car ils trouvent quelqu’un pour nous remplacer et c’est difficile de revenir », explique, lucide, Jean-Jacques Enet.

 

Travail sur les cépages, expérimentations et résistants

 

Dans l’embellie actuelle du Cognac, la vente des produits vinifiés par l’Uniré se présente dans un triptyque gagnant. « Nous pouvons considérer que nous sommes à un tiers dans chaque famille de produits, Cognac, Pineau, vin de pays, avec une embellie, 35 à 40%, sur ces derniers. Notre particularité c’est qu’on a trois gammes de produits assez différents.» Cet équilibre dans la qualité des différentes productions, complémentaires mais pas tout à fait analogues, les coopérateurs la doivent à un virage pris au milieu de la décennie 1970. « La reconversion a commencé il y a très longtemps, au début des premières crises du Cognac. Nous nous sommes dirigés vers des vins de pays de qualité, qui à l’époque n’existait pas en tant que tels. C’est mon prédécesseur Michel Pelletier qui les a créés, dans les années 85. Au début des années 1980, nous avons planté des cépages rouges dits “améliorateurs” comme le merlot, le cabernet franc et le cabernet sauvignon. Les blancs sont venus un petit peu après ; au début nous pensions que nous pouvions faire du vin blanc avec de l’ugni blanc, mais nous l’avons pas fait longtemps. Avec le colombard, nous voyions que c’était nettement mieux, nous avons ensuite planté du chardonnay, du sauvignon, et maintenant nous avons des produits qui se sont nettement améliorés par rapport à ce que nous avons connu dans le passé. »

 

Des marchés équilibrés par une vinification adaptée

 

Ainsi, toute la partie vinification a joui de nombreux investissements. « Nous sommes équipés de pressoirs pneumatiques depuis 20 ans, nous faisons de la thermo-vinification et de la micro-oxygénation, nos cuves sont thermorégulées. Nous avons travaillé très tôt la vinification des vins de pays. » L’équipe dirigeant a su s’entourer de professionnels venus d’autres régions, dont un œnologue issu de la Champagne. « Il était très pointu sur les effervescents. Il avait pris à cœur la partie des effervescents, nous avons un vin mousseux de qualité que nous faisons depuis 40 ans. Dès le début, nous le faisions en méthode traditionnelle, nous le faisions élaborer à Saint-Émilion.»

Le dynamisme des flacons provient évidemment de la douce ivresse des vignes. Le soin particulier alloué au vignoble, au-delà des intempéries ou de certains vents salins, permet de produire des vins à la hauteur des ambitions de l’île. « Notre cahier des charges a une quinzaine d’années où nous imposons un nombre de pieds vivants minimum à l’hectare : soit de la complantation, pour les vignes qui arrivent à la limite, soit carrément un arrachage quand la vigne a 25% de manquant. Elle est ensuite replantée », décortique M. Enet. Les maladies du bois, et notamment le pourridié, pèsent telle une menace continue sur le vignoble de l’île. « Les vignes vieillissent mal. Il est fréquent qu’une vigne arrivant à trente ans ait beaucoup de manquants. Celles qui peuvent aller jusqu’à 40 ans, c’est grâce à une bonne complantation qu’il y a eu des lots de plants de très bonne qualité. Il y a eu des périodes. Les années 1980 furent très mauvaises au niveau de la qualité car les pépiniéristes n’étaient pas encore préparées à ces maladies donc il y avait pas de traitements à l’eau chaude ou à la vapeur. »

 

La vitiviniculture biologique, un appel de la base

 

Les recherches et le travail atour de la matière première indispensable ont donc vu de réels retours sur investissements. À tel point que le vin issu de la vitiviniculture biologique s’est bien implantée. Une initiative venue des adhérents. « Six viticulteurs ont souhaité se convertir au bio, partiellement (quatre) ou totalement (deux). Il n’était pas question de refuser », se rappelle Jean-Jacques Enet. « C’est tout à fait dans l’air du temps. Cela correspond à peu près au marché, car le bio ne représente qu’une niche, 5-6% du chiffre d’affaire. Nous arriverons peut-être à faire 10%, mais pas beaucoup plus, si nous voulons vraiment le valoriser. Les clients ne le réclamaient pas particulièrement, mais depuis qu’il est en vente, nous nous sommes rendus compte que cela correspondait à une demande. »

 

Travail dans les vignes, choix stratégiques, bon sens et bio-contrôle

 

Outre le renouvellement par l’investissement dans du matériel vinicole de qualité, les Rétais ont misé sur un travail de fond dans la vigne, entre expérience et expérimentation. « Nous nous intéressons de plus en plus aux cépages résistants. Le réchauffement climatique offre aujourd’hui des possibilités que nous ne connaissions pas. Il y a eu une adaptation des cépages. Le cabernet sauvignon, il y a vingt ans, nous avions énormément de mal à le faire mûrir correctement. Depuis 10-15 ans, nous avons des produits très intéressants. Ces avancées sur l’ampélographie s’accompagnent de luttes communes contre certains ennemis de la vigne. « Notre lutte insecticide, ver de grappe, est en bio-contrôle avec des raques, la confusion sexuelle qui marche très bien, parce qu’en plus nous sommes sur un vignoble délimité par rapport à l’océan. Nous essayons de faire adhérer 100% de nos coopérateurs mais c’est compliqué. Nous n’arrivons pas à le mettre obligatoire. On essaye de faire comprendre que ce serait très bien si tout le monde y adhérer. Pour le moment, il nous reste un adhérent, principalement, qui ne veut pas utiliser ce bio-contrôle. La mise en place est même ouverte à d’autres personnes que les viticulteurs. Il y a des associations plus ou moins environnementales qui délèguent deux à cinq personnes pour aider. Cela se fait fin mars, dans un but d’ouverture. C’est une façon d’expliquer la manière dont nous travaillons, comment le faisons-nous et de lier des relations avec des personnes qui ne sont pas du milieu viticole. »

 

Les vents salés, l’autre ennemi de la vigne

 

Protégé des éventuelles sécheresses par une nappe phréatique très haute, le vignoble rétais est soumis à une autre forme de stress. L’épée de Damoclès est tenue par les vents salés du printemps ou de la fin août. En effet, le mauvais temps (des vents de 70 à 80 km/h, qui peuvent doubler de puissance comme en 2010 lors de la tempête Xyntia) est accompagné de vents salés, chargés en embruns car « nos vents dominants viennent de l’ouest, donc de l’océan », explique le président charentais. Cet air salé peut brûler les feuilles de vignes, les inflorescences et les fleurs. « Il y a des années où c’est catastrophique », se rappelle-t-il. Sans contraindre la nature, l’accompagnement est de rigueur. Ainsi, la coopérative a mis en place des brise-vent afin de freiner les souffles intempestifs. « Nous avons des contraintes environnementales qui sont très strictes. Nous les faisons actuellement avec des cannes de Provence, des espèces de bambous, qui montent à 3m50-4m dans les plus hautes et qui sont assez mal vues par les touristes, prétextant que ce n’est pas local, que l’île n’en comptait pas par le passé. » Sans solution miracle, le résultat s’avère « assez bénéfique ».

 

Jeunesse et tradition, l’Uniré marche sur deux membres

 

La coopérative mise également dans la filiation et le renouvellement de génération. « Nous avons mis en place une structure immobilière qui a pour but d’acquérir ou de louer du foncier agricole dans le but d’y implanter de la vigne, dans un premier temps, une exploitation viticole pour permettre à, plutôt, un jeune, car nous manquerions de marchandise à l’heure actuelle, et nos viticulteurs sont un peu arriver à saturation au niveau des surfaces », explique le natif de l’île. Selon leurs méthodes culturales et leur historicité, les vignerons exploitent 5 à 30 hectares de vigne. Portée sur l’avenir, l’Uniré n’en oublie pas pour autant ses origines ; des fondations, comme Jean-Jacques Énet, fils et petit-fils d’agriculteur qui commença sur l’île avec un hectare de vigne, un hectare de pommes de terre et un peu de céréales. Croisé le matin à l’assemblée générale de l’UCVA, M. Enet rappelle que sa coopérative valorise ses marcs depuis plusieurs décennies dans locaux de Coutras. « L’UCVA va avoir 70 ans et notre coopérative a été créée en 1950 va avoir 69. »

 

Le pilier Pineau, la noblesse du cognac, la force du nombre

 

Dans une gamme de produits qui s’allonge et s’affine, la coopérative Uniré produits jusqu’à deux millions de bouteilles par an entre les différentes déclinaisons du vin (cuvées classiques, biologiques, de petite garde, et le BIB qui peut représenter 50% des ventes), les cognacs et les pineaux. « Nous produisons jusqu’à 2 millions de bouteilles dans la coopérative. Nous vendons 35hl d’AP par an, environ 35000 bouteilles de Cognac. Il reste un produit noble et reste un produit intéressant même si l’île-de-Ré est en bois ordinaires. » Malgré tous les aléas, qu’ils soient climatiques, économiques, financiers, les fondations restent solides par la grâce du pilier Pineau des Charentes. Quoiqu’un peu trop réduit à un « apéritif de vacances » dû au fait de la difficulté de trouver une offre satisfaisante hors de l’Aunis et la Saintonge, le Pineau demeure « la valeur sûre dans les années difficiles : il peut représenter 50% du CA dans les années de grande difficulté au niveau du Cognac », assure Jean-Jacques Enet. Ainsi, quand les IGP et les vins de France ont augmenté de 10 et 15% entre les exercices 2015-2016 et 2017-2018, le Pineau a stagné face à un Cognac qui a presque doublé en terme de production d’alcool pur.

En période de doute ou de crise, il est souvent conseillé de rester fidèles aux traditions. Vivant actuellement sous l’ombre portée de la puissante et historique eau-de-vie, le paratonnerre Pineau reste un argument de poids pour les insulaires.

   

 

Un nouveau cellier, le grand projet pour 2019-2020

 

Un nouveau magasin de vente, dont les derniers plans sont pour le moment à l’étude, devrait voir le jour au printemps 2020. « Celui qui existe est vieillot. Il était très bien il y a 25 ans, quand il a été installé, aujourd’hui, il est dépassé commercialement, car il est trop petit, et au niveau de la décoration », précise Jean-Jacques Enet. Ainsi, le nouveau cellier prendra place dans les vieux conquêts de réception de vendanges. Réhabilités, la boutique se présentera tel quai par une terrasse en bois avec un mât rappelant celui d’un bateau. « Nous restons iliens », s’amuse le Rétais d’origine.

La future enseigne proposera trois fois plus de surface et un mode commercial beaucoup plus dynamique afin de limiter l’attente. « Nous ne pouvons nous permettre de voir des clients déçus », justifie le directeur de la coopérative. La clientèle est de plus en plus internationale, avec des Anglais, des Allemands, des Néerlandais et des Belges, « en général de très bons clients ».

« Le nouveau processus de vente va permettre de réguler et de mieux gérer cet afflux touristique. Le présent local va être reconditionné pour recevoir les groupes et à côté nous prévoyons de faire une salle de réception (sur l’île, cela manque beaucoup). Cela nous permettrait de pouvoir placer plus de vin, avec une partie pour recevoir des traiteurs. » La coopérative stabilise ses ventes 35hl AP pour le Cognac et deux millions de bouteilles pour les autres produits de la coopérative – c’est-à-dire les vins de France, les vins IGP, les Pineaux des Charentes.

 

 

Pomme de terre, l’autre atout de la coopérative

 

Toujours dans un esprit coopératif, l’activité maraîchère de la SCA Uniré s’est alliée l’an passé avec l’île vendéenne de Noirmoutiers pour la commercialisation de ses pommes de terre. « Depuis 2018, nous avons mis en place un partenariat uniquement commercial avec Noirmoutiers, où les démarches sont communes. Nos deux directeurs vont visiter les gros clients (la grand distribution) ainsi que des grossistes, avec qui nous travaillons régulièrement », explique Jean-Jacques Énet. Deux pommes de terre insulaires, une AOP pour l’île-de-Ré et un label rouge envisagé en 2019 pour l’île de Noirmoutiers. « Nous sommes sur le même produit, sur le même créneau commercial », annonce le Rétais pur souche. « Nous commençons et terminons les arrachages à peu près en même temps. Le but de cet accord commercial, pour nous, est, surtout, d’éviter la mise en concurrence et permettre une régularité dans la fourniture de matière première ; les aléas climatiques font qu’il y a des jours où nous ne pouvons arracher car il pleut trop. Il y a des arrangements qui se font du côté de deux îles. »

 

Alcmaria, la petite nouvelle de l’île de Ré

À la suite d’un déficit de plants dans la variété phare, l’Alcmaria [NDLR : qui représente plus de 40% de la production annuelle], la coopérative va commercialiser pour la première, lors de la campagne 2019, la variété Primabelle. En effet, une fin d’hiver froide et conjuguée à un début de printemps humide ont amputé les récoltes d’environ 16%. Mais le président de la coopérative reste positif. « C’est une petite récolte, 1300 tonnes [NDLR : 1361 exactement], mais avec une belle qualité et de bons prix. Nous préférons une petite récolte bien payée qu’une grosse récolte mal payée. »

Gardant la dynamique insulaire, quatre variétés de pommes de terre seront désormais proposés pour l’année 2019 : Alcmaria, Charlotte, Léontine et Primabelle.

 

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