Brettanomyces : Le point sur ces redoutables levures de contamination

15 février 2010

La Rédaction

Odeurs animales désagréables de cuir, d’écurie, de sueur ou d’urine de cheval dans un vin, l’organisme responsable est souvent une levure du genre Brettanomyces. Afin de faire le point sur ces redoutables levures de contamination, l’IFV Sud-Ouest a organisé le 24 novembre dernier une journée de formation autour de deux intervenants : Xavier Arioli, de la société Intelli’œno et Béatrice Vincent, de l’IFV Bourgogne. Plus de 30 vignerons et œnologues du Grand Sud-Ouest ont répondu présents. Nous vous proposons de faire le point sur ces micro-organismes, les moyens de détection et les traitements pour les éliminer .

Brettanomyces et caractère phénolé

Les « Brett » sont des champignons unicellulaires ou levures microscopiques qui se multiplient dans les moûts et vins en cours d’élevage ou après mise en bouteille. Les levures du genre Brettanomyces sont de plus petite taille que Saccharomyces cerevisiae et possèdent un diamètre de 1 à 2 μm. Leur présence n’est pas systématiquement synonyme de défaut gustatif car il est important de dissocier les levures qui sont inodores et les molécules aromatiques produites par Brettanomyces lors d’une prolifération : les phénols volatils représentés essentiellement par l’éthyl-4 phénol (EP au seuil de perception dans le vin de 500 μg/l) et l’éthyl-4 gaïacol (EG au seuil de perception dans le vin de 100 μg/l). On retrouve en général dans un vin 10 fois plus d’éthyl-4 phénol que d’éthyl-4 gaïacol.

Les vins ne « supportent » pas en général plus de 500 μg/l de ces composés. Ils sont produits en 2 étapes à partir des acides phénols (acides p-coumarique et férulique) présents dans le raisin.

Origine des Brettanomyces

Bien que la présence de Brettanomyces sur le raisin, dès le vignoble, a été mise en évidence à plusieurs reprises, il semblerait, d’après les premiers travaux, que l’origine des Brettanomyces soit endogène et qu’elles se retrouveraient dans le moût ou le vin par contamination croisée entre deux vins ou entre un vin et le matériel.

Des essais menés depuis 2006 en Bourgogne et dans le Beaujolais par l’Institut Français de la Vigne et du Vin ont permis de comparer les codes génétiques (ADN) des Brettanomyces isolées sur les raisins et des Brettanomyces isolées dans les vins issus de ces raisins. Celles présentes sur le raisin à la récolte sont génétiquement différentes de celles retrouvées dans les vins contaminés, ce qui semble prouver une origine essentiellement œnologique des Brettanomyces. D’autres études sont en cours afin de valider cette hypothèse.

Quelques points clés pour limiter la prolifération

Brettanomyces est relativement résistante à l’alcool et à des pH bas. Voici quelques éléments pour limiter leur prolifération.

* Sulfitage : un sulfitage raisonné du moût à l’encuvage (5 g/hl) permet de limiter les populations de Brettanomyces fin FA sans empêcher le déclenchement de la FML. Fin FA et en cours d’élevage, un sulfitage fractionné est nettement moins efficace qu’un sulfitage en une seule fois pour éliminer les Brettanomyces. La fraction la plus active du SO2 libre est appelée SO2 actif et est composée du SO2 moléculaire. Cette fraction rend compte, de manière plus précise que le simple SO2 libre, du niveau de protection d’un vin. Le SO2 actif est fonction du pH, de la température, du degré alcoolique et du SO2 libre. Selon les auteurs, on peut considérer qu’il est nécessaire d’avoir un niveau de SO2 actif de 0,6 à 0,8 mg/l pour se protéger efficacement contre les Brettanomyces. Nous vous rappelons qu’un formulaire de calcul est disponible sur notre site Internet

http://www.vignevin-sudouest.com/services-professionnels/
formulaires-calcul/so2-actif.php

* Levurage du moût et ensemencement bactérien: par la compétition exercée entre Brettanomyces et Saccharomyces ou Oenococcus oeni et le racourcissement des phases de latence, ces pratiques permettent d’éviter leur prolifération. L’autre avantage du levurage est également d’éviter les fermentations languissantes et de limiter les teneurs en sucres résiduels, substrat de choix pour ces levures de contamination. On peut considérer que 0.1 g/l de la Glucose + Fructose implique la production de 300 à 500 μg/l d’éthyl-phénols.
* Soutirage : un soutirage permet l’élimination des lies contaminées. En effet, ces levures sédimentent rapidement et se retrouvent fréquemment dans les lies. Ceci implique de faire attention aux prélèvements pour les contrôles microbiologiques qui doivent être réalisés dans des récipients stériles dans le bas du contenant. La pratique couramment utilisée de « tâcher » les cuves de vins n’ayant pas commencé leur fermentation malolactique (FML) par des lies d’une cuve non sulfitée à FML achevée peut être à l’origine d’une contamination multiple du chai.
* Maîtrise des températures : le développement des Brettanomyces est moindre à faible température (< 14 °C).
* Maîtrise de l’hygiène : en évitant les contaminations croisées, l’hygiène est l’un des meilleurs moyens pour éviter les problèmes de Brettanomyces. Il est important de respecter les procédures de nettoyage :

1. Prélavage (démontage et trempage des matériels dans l’eau chaude)
2. Lavage (application du produit adéquat et brossage du matériel)
3. Rinçage à l’eau froide
4. Désinfection (application du produit adéquat et temps de pose adéquat)
5. Rinçage à l’eau froide
6. Contrôle (qualité visuelle du matériel, visuelle et chimique de l’eau)

Une seule solution : la prévention

La solution pour lutter contre Brettanomyces est d’agir en préventif, avant l’apparition des phénols volatils, en réalisant des contrôles sur les lots à risque (FML difficile, sucre résiduel, pH élevé, antécédent parcellaire…).

La détection des Brettanomyces peut se faire par différentes méthodes :

* Par culture sur milieu gélosé sélectif (la flore est composée à 99 % de Brettanomyces). Il s’agit de la méthode la moins onéreuse (15 à 20 € TTC par échantillon) mais le délai de lecture est d’environ 9 jours. Le Sniff Brett®, milieu de culture liquide, est une alternative aux milieux classiques, plus facile à mettre enœuvre mais moins précis en cas de faible contamination. La contamination est vérifiée par détection d’une odeur putride
* Par PCR quantitative en biologie moléculaire. Cette technique plus coûteuse (100 à 150 €) permet d’identifier la présence spécifique de Brettanomyces en 24 heures environ.
* Par cytométrie de flux pour un résultat en 15 mn. Cette technique ne détecte pas spécifiquement les levures du genre Brettanomyces. Elle est donc uniquement utilisable fin FA.

Pendant l’élevage, l’absence totale de Brettanomyces n’est pas forcément recherchée, seuls importent le niveau de contamination et les moyens de maîtrise.

Le seuil de vigilance, imposant un suivi régulier se situe autour de 100 cellules par ml. Des études récentes menées par l’équipe de Pierre Strehaiano, du Laboratoire de Génie Chimique de Toulouse, ont montré que sur milieu synthétique à 30 °C, pour une contamination à hauteur de 1 000 cellules par ml, la production mensuelle de 4 éthyl-phénol se situait autour de 6 μg/l. Pour une population 1 000 fois supérieure (10 millions de cellules par ml), la production quotidienne se situe par conséquent à environ 200 μg/l. Sans contrôle et dans des conditions favorables à la croissance de la levure, un vin peut être définitivement spolié en l’espace de quelques jours.

Après la mise, des études ont montré que la présence d’une unique levure par bouteille suffisait à contaminer 70 % des bouteilles après un an de conservation à 15 °C. L’élimination totale à la mise des Brettanomyces doit donc être recherchée par l’une des techniques décrites ci-dessous. Il est également capital de s’assurer du bon état d’hygiène du matériel afin d’éviter les contaminations croisées.

Les traitements physico-chimiques d’élimination des Brettanomyces…

* Flash-pasteurisation : cette technique consiste, après préchauffage, à chauffer le vin ou le moût à 72 °C avant d’être refroidi. Ce procédé est surtout intéressant pour des traitements en cours de FA et pendant l’élevage.
* Clarification : le simple fait de réaliser un soutirage permet de réduire les populations d’un facteur 100. L’effet en terme de réduction de la centrifugation est variable (réduction d’un facteur 10 à 1 000). La micro-filtration tangentielle ne permet que de réduire au maximum les populations d’un facteur 10 000 et n’est donc pas totalement efficace. Compte tenu du diamètre des levures (1 à 2 μm) une filtration à 1 μm est en général suffisante
* Emploi de DMDC ou Dicarbonate de diméthyle à la dose de 200 mg/l permet d’éliminer les populations de Brettanomyces. Ce produit vient d’être autorisé par l’Union Européenne uniquement sur les vins à plus de 5 g/l de sucre résiduel avant l’embouteillage. Sa mise en œuvre impose d’être équipée d’une pompe doseuse onéreuse car il s’agit d’un produit dangereux avant son hydrolyse dans le vin. Aux USA, son usage est fréquent car près de 300 000 hl de vins rouges sont traités à l’aide de DMDC pour des problèmes de Brettanomyces.

Quoi faire si malgré toutes les protections une cuve est contaminée en éthyl-phénols ?

Même si ce procédé est interdit, il est possible techniquement d’éliminer les phénols volatils par des méthodes membranaires (coût de 3 à 4 €/hl). L’impact sur les composés aromatiques du vin est loin d’être négligeable (-20 à 25 % d’esters, -2 % composés phénoliques). Une première nanofiltration permet de séparer les composés volatils, les éthylsphénols sont éliminés dans un second temps par absorption sur résine.

L’autre option à considérer plus sérieusement est de de masquer, après élimination totale des Brettanomyces, le caractère phénolé. Les composés aromatiques du bois et la 3-isobutyl-2-méthoxypyrazine (IBMP) possèdent des propriétés masquantes vis-à-vis des phénols volatils.

L’IBMP est la principale molécule responsable des arômes de poivron vert dans les vins de Cabernet Sauvignon et de Merlot, et que l’on retrouve également dans les vins de Fer Servadou. La cuve contaminée pourrait être assemblée avec des cuves riches en IBMP. Si la réglementation le permet, le boisage à l’aide de copeaux ou de douelles est une pratique qui peut également permettre d’atténuer le caractère phénolé.

Conclusions

La présence de levures du genre Brettanomyces est un paramètre que le vinificateur doit prendre en compte au cours des processus de transformation du raisin en vin. La maîtrise des risques passe par une bonne gestion des phases fermentaires et des actions de stabilisation microbiologique des vins, et par une grande rigueur dans les procédures d’hygiène utilisées.

Béatrice Vincent (IFV Bourgogne)
Xavier Arioli (Intelli’Oeno)
Extrait de la Grappe d’Antan (IFV Sud-Ouest)

Hygiène et désinfection des barriques contaminées…
La désinfection de la futaille contaminée est une question assez délicate. Différentes procédures de désinfection comparée par la société Intelli’oeno sur des fûts contaminés (de 100 à 100 000 cellules/cm3 de douelle) ont permis de mettre en évidence l’efficacité de la procédure décrite ci-dessous. Dans cette situation des temps plus courts de traitement à la vapeur n’ont pas permis d’éliminer complètement les levures de contamination.
• Eau : 1 minute
• Vapeur : 6 minutes
• Eau Haute Pression : 5 minutes
• Vapeur : 10 minutes
• Eau : 2 minutes
Bien entendu, d’autres procédures sont imaginables.

 

 

 

 

 

 

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