Brettanomyces et SO2 actif

21 février 2013

Aussi connue que redoutée des producteurs, la levure d’altération Brettanomyces bruxellensis est à l’origine de la production de l’un des défauts majeurs du vin : les phénols volatils. Les vins contaminés présentent alors un caractère « animal », « cuir » ou « écurie ». Les seuils de perception des phénols volatils décrits sont très variables, généralement de l’ordre de 450 μg/L. Il est en effet difficile de définir une concentration critique pour tous les vins car la perception des caractères phénolés dépend de la structure aromatique globale du vin et de son âge. Dans tous les cas, il est admis que ces phénols volatils provoquent une perte du
caractère fruité et des arômes variétaux.

Dans un marché de plus en plus concurrentiel, à la recherche de vins authentiques et fruités, les vins phénolés ne sont plus admis. Ainsi, lutter contre les Brettanomyces pendant tout le process d’élaboration du vin permet de diminuer de façon significative le risque d’altération lié à leur présence excessive.

A partir d’une certaine concentration dont le seuil n’est pas clairement établi, le SO2 est l’un des moyens de lutte privilégié par les producteurs contre les Brettanomyces. Cette lutte est d’autant plus difficile que les études menées ces dernières années ont montré une grande variabilité physiologique au sein de l’espèce Brettanomyces bruxellensis

SO2 et SO2 actif

Seule une faible fraction du SO2, appelée SO2 « actif » ou « moléculaire », est réellement efficace contre les levures en général et les Brettanomyces en particulier. Le SO2 actif se calcule principalement à partir du SO2 libre et du pH (la température et le TAV du vin entrent également dans son calcul). Pour un SO2 libre donné, plus le pH du vin est élevé, plus le SO2 actif est faible (cf. figure 1), donc plus la protection contre les Brettanomyces est difficile.

Etude des teneurs en SO2 actif

De façon générale, des concentrations de SO2 moléculaire de 0,5 à 0,8 mg/L sont préconisées pour lutter contre les Brettanomyces. Afin de mieux appréhender l’impact de la teneur en SO2, et plus particulièrement de sa fraction active, sur la viabilité de différentes souches de Brettanomyces et sur leur production de phénols volatils, une étude a été menée conjointement par Microflora et la Chambre d’Agriculture de la Gironde en 2010. Plusieurs concentrations de SO2 actif (0, 0,2, 0,4, 0,6 et 0,8 mg/L) ont été appliquées à du vin inoculé avec 3 différentes souches de Brettanomyces bruxellensis issues de la Collection de la Faculté d’œnologie de Bordeaux IOEB (souches L0417, L0463 et L0516). L’inoculum initial est de 1 000 cellules/mL.

Plusieurs méthodes d’analyses microbiologiques (microscopie par épifluorescence, cultures sur boîtes et qPCR) ont été comparées afin d’étudier la viabilité des levures 10, 20 et 30 jours après inoculation. Enfin, des analyses chimiques par SBSE/GC/MS ont été réalisées afin de connaître l’évolution dans le temps (10, 20, 30 jours et 1 an après inoculation) des phénols volatils dans les vins selon les modalités.

Effet de l’ajout de SO2 sur la population de Brettanomyces

En l’absence de SO2, toutes les souches de Brettanomyces se développent jusqu’à des populations de 107 UFC/mL après 30 jours. Les résultats sont quasiment similaires avec des teneurs en SO2 actif de 0,2 à 0,6 mg/L. Les différences commencent à apparaître à partir de 0,8 mg/L, teneur pour laquelle on observe après 30 jours peu ou pas d’évolution des populations (figure 2).

Plus précisément, l’effet inhibiteur apparaît à 0,6 mg/L de SO2 actif pour les souches L0417 et L0463, mais une réduction d’un facteur 10 à 1 000 n’est observée qu’à 0,8mg/L. Pour la 3e souche, la limitation des populations est plus faible et seulement transitoire. La cultivabilité est elle aussi très variable selon la souche. Ces résultats confirment que l’efficacité du SO2 dépend très nettement de la souche de Brettanomyces. Cette variabilité des souches est un élément extrêmement important car elle se retrouve sur le terrain. En effet, une étude réalisée sur le millésime 2005 par la Chambre d’Agriculture et Microflora avait montré que l’on pouvait retrouver dans un même chai, voire dans une même cuve, plusieurs souches de Brettanomyces bruxellensis.

Production de phénols volatils durant le stockage du vin

Après un an de stockage sans réajustement des teneurs en SO2, les vins contenant 2 des 3 souches ont des teneurs importantes en phénols volatils (jusqu’à 1,5-2,5 mg/L après 30 jours et 2,0-6,0 mg/L après 1 an, selon la souche et le sulfitage initial). Lorsque le SO2 actif initial est inférieur à 0,6 mg/L, toutes souches confondues, il existe une relation linéaire entre production de phénols volatils à court terme (30 jours) et populations cultivables (figure 3), mais cette relation n’est pas transposable aux doses plus fortes et sur des périodes plus longues. A 0,8 mg/L, seule une souche a formé des phénols volatils de façon importante après 30 jours. Les résultats montrent que les analyses par PCR quantitative (qPCR) sont beaucoup plus adaptées à la gestion préventive des risques d’apparition de phénols volatils à long terme.

Conclusion de l’étude

Cette étude confirme que le développement des Brettanomyces peut être grandement freiné par l’addition de SO2 et qu’il existe de grandes différences entre les souches. Pour certaines souches, une concentration de 0,6 mg/L de SO2 actif ralentit fortement le développement, mais dans une proportion insuffisante pour réduire la production de phénols volatils. Il a été dosé jusqu’à près de 2 mg/L en 30 jours pour une souche particulièrement virulente, soit 5 fois le seuil de perception. Ce n’est qu’avec 0,8 mg/L que les populations semblent plus sûrement maîtrisées.

Le SO2 seul ne suffit pas

La teneur de 0,8 mg/L semble cependant difficilement tenable, en particulier pour les derniers millésimes qui présentent des pH élevés (souvent supérieurs à 3,8). Dans ce cas, il apparaît évident que le SO2 ne peut pas être le seul outil de gestion du problème Brettanomyces. Les facteurs influençant le développement des Brettanomyces sont aujourd’hui en grande partie connus. Ainsi, la surveillance de la température du vin va devoir être réalisée conjointement à celle du SO2 actif. En fonction du niveau de risque et des populations présentes, une élimination progressive pourra être réalisée par les soutirages successifs ou bien une élimination plus efficace avec des traitements de clarification comme le collage ou la filtration. La Chambre d’Agriculture a ainsi élaboré une méthodologie d’estimation et de maîtrise des risques liés aux Brettanomyces. Le raisonnement de cette problématique doit être intégré dans l’ensemble du process, notamment en répartissant judicieusement les traitements de préparation des vins à la mise en bouteilles au cours de l’élevage pour profiter de l’effet d’élimination des populations aux moments les plus stratégiques.

Véronique Raffestin-Tort
Service Vigne et Vin
Chambre d’Agriculture de la Gironde
Vinopôle Bordeaux-Aquitaine
v.raffestin@gironde.chambagri.fr
Julie Maupeu, Marina Bellan, Aline Lonvaud
MICROFLORA
microflora@oenologie.ubordeaux2.fr

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