Bordeaux Dans l’Œil Du Cyclone

8 mars 2009

Peut-on parler d’une fatalité ? Faut-il y voir plus qu’une coïncidence ? Quand le Cognac flanche, le Bordeaux brille et inversement, alors que le Cognac semble retrouver une certaine assise ou, en tout cas, « continue son petit bonhomme de chemin », le Bordeaux s’effondre. Car on en est bien là aujourd’hui. Même les esprits les moins chagrins parlent d’une situation très tendue et voient dans Bordeaux l’une des régions viticoles les plus fragilisées de France. Face à une offre bien trop élevée pour le marché, le prix du tonneau n’a cessé de chuter depuis des semaines. A la mi-mai, sur le marché vrac, les cours sont passés sous la barre des 750 € le tonneau de 900 l. « Nous sommes revenus 25 ans en arrière » s’alarme la profession. A ce tarif-là, on s’achemine doucement mais sûrement vers des recettes qui ne couvrent plus les frais de culture. Les prix du foncier baissent, des exploitations sont en difficulté, les comptes virent au rouge et le négoce souffre aussi. Mais le pire est peut-être à venir. Après la fleur, on s’attend à un déstockage qui ne contribuera certainement pas à fluidifier le marché. Que se passera-t-il alors ? Une poursuite de la fuite en avant ? C’est peu dire que les viticulteurs envisagent avec angoisse la récolte 2004. Dernièrement, le bastion réputé « inexpugnable » du CIVB, l’interprofession bordelaise, a eu droit à une manifestation en règle, reproches à l’appui : « Vous auriez pu prévoir ce qui allait arriver ! » Même si le but avoué était de déminer une contestation plus forte, cette levée de boucliers, inhabituelle à Bordeaux, a frappé les esprits, d’autant qu’elle fut relayée par les médias. Cette année, le CIVB procède au renouvellement de son bureau et, au nom de l’alternance, un négociant devrait normalement succéder au viticulteur en place, en l’occurrence Jean-Louis Trocard. Sauf que le négociant pressenti – Christian Delpeuch, directeur de Ginestet, par ailleurs vice-président de l’interprofession – pose quelques préalables avant de donner sa réponse. Dans ce contexte, le CIVB a tenu les Assises du vin de Bordeaux le 9 avril dernier. Beaucoup s’accordent à penser que ces assises ont accouché de « mesurettes » comme la mise en place de la réserve qualitative permanente ou le passage temporaire de la 3e à la 4e feuille. Cette disposition, par exemple, contribuerait à éliminer du marché 100 à 150 000 hl vol., sur un volume total de 5,5 millions d’hl. C’est dire son faible impact. D’ailleurs, même sur de telles mesures, l’unité a du mal à se faire. Les jeunes, qui se sentent visés au premier chef, ne sont pas d’accord et les appellations prestigieuses non plus. « Que vient-on nous embêter avec cela ! Tout va bien pour nous ! » A Bordeaux comme ailleurs, la solidarité inter-crus trouve assez vite ses limites. Reste que le marasme devient tous les jours un peu plus flagrant. A tel point que le mot « arrachage » n’est plus tabou à Bordeaux. Mais pour l’heure le seul effet est d’ordre sémantique. Car la profession comme les autorités s’avouent démunies : « Nous ne disposons pas des outils nécessaires pour conduire un arrachage à Bordeaux. » En clair, la prime communautaire « sèche » ne s’avère pas à ce jour assez alléchante pour éliminer un seul des 123 500 ha que compte l’aire délimitée. « Sans doute ne sommes-nous pas tombés assez bas » reconnaissent, fatalistes, les vignerons bordelais. Une reconversion progressive – mécanisme d’arrachage temporaire déjà appliqué dans le Midi et qui serait porté à cinq ans dans le vignoble bordelais – a pourtant été évoquée. Mais là aussi ses effets s’avèrent relativement dérisoires. Au mieux, on la crédite d’une capacité de dégagement de 3 000 ha. Le seul projet de grande envergue vient de la coopération. Il y a deux ans déjà, la Fédération des caves coopératives vinicoles d’Aquitaine – qui compte 70 caves coopératives vinicoles, six unions et filiales sur les cinq départements d’Aquitaine – avait commandé une étude au cabinet Deloitte & Touche. Objet : établir un état des lieux du marché vrac à Bordeaux. Il s’avère que la coopération vend 49 % de ses volumes en vrac et que pour la plus grande part, il s’agit d’un vrac non maîtrisé. Sur un million d’hl vendus en vrac au négoce, 800 000 hl sont écoulés « sans partenaire ni suivi ». Historiquement, la coopération s’est toujours adressée au négoce pour écouler ses vins, un négoce omniprésent à Bordeaux. Mais ce négoce a évolué au fil du temps, se transformant de plus en plus en courtier de place de la grande distribution. Peu de négociants ont développé leurs marques propres, à l’exception de Mouton Cadet, Malesan et quelques autres. Conséquence : quand l’offre dépasse la demande, les prix sont inexorablement tirés ver le bas. « Nous nous concurrençons entre nous » relève Bernard Solans, président de la Fédération régionale des coop, qui rajoute : « Il faut stopper cette hémorragie et remonter la pente. Si des marchés sont perdus, il faut les reconquérir et en conquérir d’autres. Le commerce équitable commence par là ! » Dans un premier temps, la coopération s’est donnée pour challenge d’organiser son offre vrac par une stratégie commerciale qui pourrait s’accompagner de la création d’une, voire de plusieurs structures commerciales. Son but : mettre fin au commerce « sauvage ». Elle le fera en partenariat avec le négoce qui « voudra jouer le jeu » mais la coopération affiche clairement ses intentions : « Il faut aller de l’avant, nous positionner sur le marché moderne de la grande distribution et du hard discount. Nous ne voulons plus subir car, pour pérenniser les exploitations des vignerons coopérateurs, les prix doivent couvrir le coût de revient. » Le cabinet Ernest & Young mène actuellement un audit auprès des coopératives d’Aquitaine. Ses conclusions, rendues début juillet, sonneront le départ d’une grande consultation des coopératives qui devront dire si, oui ou non, elles acceptent de mettre en commun leur offre vrac pour lutter contre l’atomisation actuelle, l’intérêt étant bien sûr que le maximum de structures adhèrent au projet. L’initiative de la coopération ne laisse pas indifférents les vignerons indépendants : « Votre démarche nous intéresse » disent-ils à leurs collègues coopérateurs.

Une AOC d’exception

C’est dans cette conjoncture passablement morose pour toutes les appellations – diminution constante de la consommation de vin, mondialisation et proposition mondiale légèrement supérieure à la demande – que René Renou, président du Comité national vins et eaux-de-vie de l’INAO, a lancé sa proposition de réforme des AOC viticoles. Cette proposition vise à créer une catégorie spéciale d’AOC – l’AOCE pour Appellation d’origine contrôlée d’exception. Parallèlement, elle envisage de coupler cette AOCE d’une AOC STE, pour Site et terroir d’exception. Dans les appellations « tout court », les exploitations ayant « pignon sur rue » (terroir, conditions de production…) pourraient obtenir cette reconnaissance particulière de la profession. Accueil mitigé de la famille des appellations qui adresse plusieurs reproches aux suggestions de R. Renou. Et tout d’abord de s’inspirer trop directement du « tour des popotes » qu’a réalisé le président du Comité vins et eaux-de-vie dans les vignobles espagnols et italiens. Au risque de confusion dans l’esprit des consommateurs s’ajoute aussi la difficulté de mise en application, entre des AOC qui, « de naissance », s’arrogeraient le terme d’exception et les autres, qui se verraient ravaler à un rang inférieur, alors qu’il a toujours été dit que, dans les AOC, « tout était magnifique à 100 % ». Un petit noyau de gens cependant incline à penser que cette réforme a du bon. « Non seulement elle s’inscrit en pleine cohérence avec les rapports précédents – Berthomeau et César (du nom du sénateur girondin) – mais elle a le mérite de poser une vraie question : est-ce que tous les vins sous signe de qualité officiel sont de bons vins ? Partant de là, comme il est inenvisageable de retirer à quelqu’un son appellation, la seule solution consiste à s’en sortir par le haut, en reconnaissant les démarches qualité. » Et de souligner que, par rapport à l’éthique INAO qui considère l’AOC comme une propriété collective, la grande nouveauté de cette réforme réside dans la notion de STE (Site et terroir d’exception), qui s’appuie sur un cahier des charges individuel. Dans ces conditions, on estime qu’il faudra bien dix ans pour que l’idée de réforme des AOC fasse son chemin si, bien sûr, elle ne passe pas à la trappe avant. Quelqu’un comme Christian Baudry, président du Comité national du Pineau des Charentes, regarde avec un œil mi-amusé, mi-désenchanté ce qu’il n’est pas loin de considérer comme des « gesticulations ». « Et si d’aventure l’AOC d’ex-ception devenait une “ex” AOC ! » plaisante-t-il. Plus sérieusement, il se dit attristé que les AOC en soient arrivées là « par une politique formaliste où la forme a supplanté la qualité et le goût ». « Le Pineau, rappelle-t-il, fut la première appellation à instituer une dégustation obligatoire avant la commercialisation, soit au bout de deux ans-deux ans et demi après son élaboration, encourant par là même les foudres de l’INAO. Pendant ce temps, les vins continuaient à positionner leur agrément juste après la production, ce qui aboutissait, par un non-sens technique, à pratiquement tout agréer. Maintenant, dit-il, l’INAO essaie d’interférer sur le cours des choses. Alors pourquoi ne pas revenir à des considérations plus simples, basées sur des critères de qualité, comme la dégustation juste avant la mise en bouteilles. Mais il y a sans doute trop d’intérêts en jeu pour accepter cette remise en cause. »

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