La France, écharde dans le pied du Cognac ! La commission communication du BNIC repart à l’assaut d’un marché français aussi incontournable qu’insaisissable. Un nouveau président et un nouveau directeur « marketing-communication » se retrouvent en pool position.
Réveillez la curiosité des Français autour du Cognac, faire en sorte qu’il ne tombe pas dans une zone grise proche de l’oubli. Pour lutter contre l’ignorance, premier ennemi du Cognac, la commission communication du BNIC a reçu un mandat clair de ses pairs : s’attaquer en priorité au marché français. L’essentiel du budget communication – 2,8 millions d’€ en 2006 – lui sera consacré, « pour éviter tout phénomène de saupoudrage ou de dilution ». Ce tropisme France ne constitue d’ailleurs pas une nouveauté. C’était déjà le cas sous les mandatures précédentes, celles de Philippe Treuteneare (Courvoisier), André Pouchayret ou Lionel Breton (Martell). Est-ce le manque de temps lié à son cumul de fonctions ? Lionel Breton, aujourd’hui P-DG de Martell et de Mumm, a abandonné la présidence de la commission communication après deux ans et demi d’exercice. C’est Philippe Coste, P-DG de CDG (Compagnie de Guyenne), qui a repris le flambeau. Au titre de la petite géographie souterraine de Cognac, à noter que c’est la première fois qu’un membre de l’Union Syndicale – un des trois syndicats de négociants, avec le Syndicat des exportateurs et Progrès et Tradition – assume cette fonction. Faut-il y voir les prémices d’un rapprochement syndical à l’intérieur de la famille du négoce ? Une chose est sûre ! Philippe Coste connaît bien le marché français. Sa société pèse d’un poids non négligeable sur ce créneau de vente, notamment comme fournisseur de MDD, marques de distributeurs. Philippe Coste va travailler avec le « team communication » du BNIC (professionnels de la filière) mais aussi avec Jérôme Durand, le nouveau directeur « marketing – communication » récemment embauché par l’interprofession ainsi qu’avec Claire Coates, directeur de la communication. Agé de 33 ans, Jérôme Durand a travaillé pour les Champagnes Pommery-Vranken après avoir fait une école de commerce. Début octobre, il avait présenté la nouvelle identité visuelle de l’interprofession ainsi que la campagne de publicité. Le 16 décembre dernier, lui et le président de la commission communication ont dévoilé la stratégie marketing du BNIC.
Centrée comme déjà dit sur le marché hexagonal, cette stratégie vise à recruter de nouveaux consommateurs. Jusque-là, rien que de très classique. Qu’en est-il des moyens ? Là non plus le changement ne saute pas aux yeux. On parle de l’embauche imminente d’un ambassadeur du Cognac, chargé de visiter les acheteurs de la grande distribution, les cavistes, les CHR (cafés, hôtels, restaurants), les groupes de consommateurs… Est évoquée de manière assez précise une semaine du Cognac dans le magasin Auchan de la ville en mai prochain. Un support de formation multimédia à destination du plus grand nombre est en cours de création. Il revêtira la forme d’un CD rom. Envisagée d’un œil froid, cette « short list » pourrait faire penser à une resucée d’actions anciennes ou point trop nouvelles. Mais, outre l’inflexion plus marketing, indéniable, l’état d’esprit est peut-être en train de changer. « Nous irons bien plus au fond des choses et de façon bien plus pragmatique», assure Philippe Coste. Ses propos trouvent des accents de vérité quand il lance : « L’ensemble de la profession ne peut pas se priver d’un marché français actif. Même pour rayonner à l’étranger, le Cognac a besoin d’être fort chez lui. » Le constat avait déjà été fait voilà plusieurs années, notamment par Christophe Navarre, alors P-DG d’Hennessy. Mais aujourd’hui, le degré d’urgence a sans doute monté d’un cran. C’est en tout cas ce qui ressort de la « remise à plat » présenté par J. Durand le 16 décembre (voire encadré). Là où Philippe Coste étonne davantage, c’est quand il parle du « buzz », du bourdonnement autour du produit. Selon lui, ce buzz passera par l’ancrage régional du Cognac, par ces vendeurs directs qui « au fond de leur campagne » donneront envie de raconter des histoires. « L’autre jour, dit-il, j’étais en forêt de Chizé. Un ingénieur ONF n’a cessé de me livrer des anecdotes sur les distilleries de malts. Est-on capable d’éveiller la curiosité des gens avec des histoires de Borderies ou de Grande Champagne ? » A la question de savoir si tous ses confères négociants partagent la même opinion que lui, il a répondu par l’affirmatif. « Le Champagne est vendu à 18 % par les propriétaires, sans gêner les négociants. Quand on sait qu’il y a des hommes et des femmes derrière un produit, cela démultiplie le message. Dans ce cas, 1 + 1 = 3. » Jérôme Durand a émis un vœu : pouvoir « fédérer les énergies » afin que la fibre régionale autour du Cognac s’exprime davantage. « Imaginez que chaque foyer de Poitou-Charentes consomme une bouteille de Cognac à Noël et en offre une, cela se verrait tout de suite dans les chiffres. » Un peu comme si tous les gars du monde… Certes, le scénario idéal serait que la mode du Cognac se répande par cercles concentriques. Que, de la région délimitée, le « buzz » gagne la grande région puis la France entière. Mais outre que les rois mages ne passent qu’une fois dans l’année, le phénomène de mode répond parfois à des ressorts plus subtils. Une viticultrice, grande professionnelle des foires et salons, en est persuadée : si la mode du Cognac doit revenir un jour en France, ce ne pourra être que par un effet de mimétisme. En clair, son idée est la suivante : utiliser la rumeur flatteuse du Cognac à l’étranger pour communiquer sur le marché français. A chacun son « étrange étranger » : le paysan charentais au journaliste parisien, le rappeur américain au Français moyen.
Mode De Consommation : Choisir Ou Ne Pas Choisir ?
Le sujet a toujours été sensible et la ligne de fracture n’a cessé d’exister même si, au gré de la vague, elle a pu paraître s’estomper jusqu’à disparaître. Il y a les tenants de la promotion du Cognac à l’apéritif qui croient aux vertus de l’éducation pour convertir le consommateur à cette nouvelle forme de consommation. Leur conviction : le Cognac tonic est à la fois un symbole et un mode d’emploi. Il véhicule un message de modernité, apte à remettre au goût du jour un Cognac à l’image vieillissante. Il y a ensuite les partisans de l’orthodoxie. Pour ceux-ci, c’est « mission impossible » que de vouloir s’attaquer à des habitudes de consommation solidement ancrées. Pourquoi s’y employer d’ailleurs quand la recette fonctionne sur la quasi-totalité des marchés, à l’exception de la France il est vrai. Plutôt que de courir après une chimère, ils sont intimement convaincus qu’il vaut mieux capitaliser sur l’acquis – consommation du cognac « nature » – en comptant sur l’effet d’imprégnation. Enfin, une troisième voie existe… celle qui consiste à ne pas choisir, au nom du discours très libéral : « buvez-le comme vous voulez mais buvez-le » ! Quelle tendance l’emportera ? Il est clair qu’aujourd’hui, la conception marchande du « laisser faire, laisser aller » semble tenir la corde. A chacun de décider ! Mais comment transformer ce non-choix en un message vendeur, surtout quand la communication générique ne peut pas s’appuyer sur la béquille de la marque ? L’appropriation des valeurs de l’appellation semble avoir été le parti pris retenu par la région pour « sublimer » la question. La nouvelle campagne de publicité 2005 – « Le Cognac, quand l’esprit s’ouvre » – est à cet égard emblématique. Calligraphie soignée, couleur sombre, verre ballon… tout est fait pour donner l’idée de premium et d’excellence, en déplaçant le terrain du mode opératoire – comment le boire ? – au culturel – comment le recevoir ? Cible visée, les « découvreurs » appartenant à la tranche d’âge 35-55 ans, à priori plus intéressés par l’univers du Cognac que par son côté alcool. Avec ce climat « d’élégance raffinée », nous sommes loin du message coup de poing des années 96-98 : « Offrez un Cognac à vos glaçons » et un niveau au-dessus du « Cognac nature ou Cognac bi » de la précédente collective qui, pourtant, marquait déjà un tournant. Reste à « post-tester » la nouvelle campagne et à en tirer les enseignements. Le public aura-t-il capté la bonne image du Cognac qu’elle est censée relayer ?
En dépit de la « prise de position » que cette nouvelle campagne affiche clairement, un léger sentiment de flottement persiste, comme si la région avait du mal à se forger une religion. Des tergiversations que reflétaient assez bien l’échange impromptu capté entre Jérôme Durand et Philippe Coste lors de la conférence de presse du 16 décembre : l Jérôme Durand : employer les mots « pur ou sur glace » pour parler de la consommation du Cognac n’est pas anodin. Il paraît difficile de soutenir que le Cognac est la meilleure eau-de-vie du monde et dire que l’on y rajoute du tonic. Au niveau du discours et de l’imaginaire, il s’agit d’un grand écart un peu délicat à gérer. Personnellement, je ne sais pas faire ! » l Philippe Coste : « Ce n’est pas pour autant qu’il faut revenir en arrière. A la limite, ce n’est pas à nous de dire comment il faut boire le Cognac. Ne soyons pas directifs dans les modes de consommation. »
l Jérôme Durand : « Certes mais pour recruter des consommateurs, il va bien falloir aller “gratter” quelque part et les consommateurs de Malt paraissent tout désignés. » Le débat est ouvert, comme l’esprit du Cognac.
Cognac – Marché français : Trois fois moins que les Malts
A partir du recollement de différentes sources – études consommateurs, enquêtes « sortie de caisses », contacts directs, statistiques – Jérôme Durand dresse un table au assez sombre du marché français. « Le Cognac a perdu 30 % de ses acheteurs en moins de dix ans. »
L’entrée dans un poste s’accompagne souvent d’une « remise à plat », une sorte d’inventaire des lieux. L’occasion aussi de porter un regard neuf sur le secteur. Le nouveau directeur Marketing-Communication du BNIC n’a pas failli à l’exercice. Il a scruté le marché français. Et le constat qu’il en tire n’a rien de réjouissant. « Le Cognac a perdu 30 % de ses acheteurs en moins de dix ans. En grande distribution, il se vend 34 millions de litres de Champagne, 68 millions de litres de Blends Whiskies, 5,3 millions de litres de Malts Whiskies et 1,8 million de litres de Cognac. Ce n’est pas une question de prix. Ramené au litre, le prix moyen du Champagne en GD s’élève à 20,82 € contre 19,62 € pour le Cognac. Malgré tout, le Champagne supplante de 20 fois le Cognac.» J. Durand indique que, de 1968 à 2005, le Cognac a connu un taux de « croissance » négatif de – 2,25 % par an même si ces dernières années marquent un certain infléchissement de la tendance. Question de J. Durand : « Est-ce dû au travail réalisé ou à une question de seuil incompressible ? » Le taux de pénétration – le nombre de foyers qui achètent au moins une fois dans l’année du Cognac – est passé de 9,6 % en 1996 à 6,5 % en 2004. Par comparaison, cet indice grimpe à 43 % pour le Whisky. Naturellement, les volumes sont à l’unisson. Les Français consomment de 7 à 8 bouteilles de Whiskies par an, 6 bouteilles de Champagne, un peu plus de 2 bouteilles de Vodka et moins d’une bouteille de Cognac. Rien d’étonnant à ce que la France soit leader mondial du Whisky. Dans son tour d’horizon, J. Durand souligne un indice selon lui inquiétant : la courbe plate des ventes de Cognac en mai-juin, lors de la fête des Pères. Le Cognac serait-il en train de sortir du champ des cadeaux ? »
Un autre aspect interpelle : la sous-consommation du Cognac dans sa région. De source Nielsen (sortie de caisses grande distribution), la région d’origine du Cognac sous-consomme le produit local. L’indice de consommation n’est que de 99. Rien de tel pour l’Armagnac qui, dans sa région, réalise le score écrasant de 178 (157 pour le Calvados in situ). D’où le commentaire : « Nous ne sommes pas ambassadeurs chez nous. Là où la fibre régionale vibre pour d’autres spiritueux, elle ne vibre pas pour le Cognac. Quand on demande à un Parisien de citer une marque d’Armagnac, arrivent en vrac les noms d’Hennessy, Martell, Clé des Ducs, Rémy Martin… L’anecdote pourrait faire sourire, poursuit J. Durand, mais elle signifie entre autres que Cognac et Armagnac se confondent dans la catégorie “eaux-de-vie du Sud-Ouest”. » D’où le projet de reprendre la parole sur le terrain de l’appellation.
La France, écharde dans le pied du Cognac ! La commission communication du BNIC repart à l’assaut d’un marché français aussi incontournable qu’insaisissable. Un nouveau président et un nouveau directeur « marketing-communication » se retrouvent en pool position.
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