Bien appréhender les conséquences de la conservation

13 décembre 2019

 L’évolution de la qualité des vins influence la typicité aromatique des eaux-de-vie nouvelles

 

            La conservation des vins de distillation est depuis fort longtemps un sujet de recherche important pour les équipes de la Station Viticole du BNIC. Au début de la décennie 1990, la majorité des acteurs, les viticulteurs et  les négociants, observaient une diminution régulière et quasi-systématique de la qualité aromatique des eaux-de-vie à partir de la fin de janvier. Ils attribuaient ce constat à une baisse de la qualité des vins sans que des moyens analytiques et scientifiques de l’époque n’aient pu le confirmer. Les professionnels soucieux de maîtriser la qualité durant toute la campagne de distillation ont décidé de lancer des études pour relier ce constat empirique à des acquis scientifiques. Les premières études sur la conservation des vins ont commencé à partir de 1993 et depuis, cette thématique est devenue un centre d’intérêt grandissant. Les équipes de la Station Viticole ont travaillé le sujet sous de multiples aspects. Bernard Galy, l’ingénieur œnologue et Claudie Roulland, l’ingénieure en microbiologie, ont mis en œuvre des travaux de recherches à la fois larges et plus spécifiques pour comprendre les divers mécanismes influençant la conservation des vins et expérimenter des moyens pour mieux sécuriser le potentiel de qualité durant toute la campagne de distillation.

Revue Le Paysan Vigneron : – Le premier volet d’études sur la conservation des vins mis en œuvre par la Station Viticole du BNIC n’a-t-il pas été l’élément déclencheur d’une thématique de recherche prioritaire ?


 


  • Bernard Galy : – « Au début des années quatre-vingt-dix, l’importance des volumes distillés engendrait régulièrement des distillations tardives en saison (souvent jusqu’à la fin mars) et la qualité des eaux-de-vie semblait décrochait assez régulièrement à partir de la fin janvier. Les professionnels avaient relié de façon empirique cette baisse du potentiel aromatique à une diminution de qualité des vins qui n’était pas pourtant pas perceptible avec les moyens analytiques de l’époque. Leur souhait d’en savoir plus a débouché sur une première série d’études pour comprendre et surtout mieux connaître l’évolution analytique et qualitative des vins durant leurs 6 mois de conservation. Ma collègue, Claudie Roulland et moi avons mis en œuvre des travaux de recherches pour relier les baisses de qualités des eaux à des éléments analytiques pertinents de la qualité des vins. Les essais se sont déroulés au sein des Domaines Martell dans les chais de Gallienne. Ces premiers acquis ont été des éléments déclencheurs par la suite de recherches plus larges qui se poursuivent encore aujourd’hui ».

     

    R. L. P. V : – Quelles ont été les conclusions sur l’évolution des caractéristiques analytiques des vins durant leur conservation ?

     


  • B Galy : – « Au fil des mois de conservation, nous avons observé des transformations notables d’un certain nombre de composés présents naturellement dans les vins aussitôt la fin des fermentations alcooliques. Les acides organiques, l’acide malique, l’acide lactique, l’acide succinique et l’acide acétiques subissaient au bout de deux à trois mois un processus d’estérification. Les divers composés formés au fur et à mesure de l’augmentation de leur concentration extériorisent des capacités progressives de « masquage » du potentiel aromatique des eaux-de-vie. Les plus fortes teneurs en acétate d’éthyle, en lactacte d’éthyle            et en succinate d’éthyle ont été identifiées comme ayant les capacités de masquer les arômes des eaux de vie-de-vie. Le déroulement ou pas des FML et les niveaux de pH influençaient fortement le moment ou ces phénomènes d’estérification devenaient préjudiciables pour la qualité des vins. Nous avons aussi constaté au cours de la conservation que l’hydrolyse des carotènes des baies en TDN s’amplifait au moment de la distillation. Ce constituant est à l’origine de notes de verdeur dans les eaux-de-vie nouvelles. L’augmentation des teneurs en acétals était également assez fréquente. Elles sont liées à des phénomènes d’oxydation de l’éthanal et de l’isobutanal qui contribuent à l’extériorisation de notes de types éthérées. L’acétal extériorise une déviation qualitative à un niveau sensoriel plus bas que l’éthanal.

               

    R. L. P. V : – Ces évolutions analytiques des vins au bout de seulement 3 à 6 mois contribuent directement à la baisse du potentiel et de la finesse aromatique des eaux-de-vie nouvelles ?

     

  • B Galy : – « Effectivement, l’accroissement des divers composés cités précédemment et aussi une  baisse progressive des teneurs en esters légers (ayant une influence directe sur les notes de type florales et fruitées) expliquent pourquoi la structure qualitative des eaux-de-vie nouvelles se déprécie au bout de 3 à 4 mois de conservation. Les concentrations en acétate de phényléthyle (odeur de rose), en acétate d’isoamyle (odeur de banane) et en caprylate d’éthyle (odeur de pâtisserie) diminuent régulièrement au fil des mois. Leur impact sensoriel sur la structure des eaux-de-vie nouvelles s’érode. L’ensemble de ces travaux ont mis en évidence que la date de distillation a une incidence directe sur la typicité aromatique finale à la sortie des alambics. En début de campagne, les profils de finesse et fruité sont dominants et ensuite diminuent régulièrement durant toute la campagne de distillation. L’intensité aromatique passe par un niveau maximum en milieu de campagne (en décembre, janvier) puis décroît ensuite régulièrement. L’érosion qualitative naturelle des vins entraîne de façon simultanée une baisse des composés aromatique et une augmentation des teneurs d’autres constituants ayant des effets masquants (principalement le lactate d’éthyle)».

                           

    Les points clés de l’évolution analytique des vins durant leur conservation :

     



  • Une estérification des acides organiques du vin,  l’acide malique, l’acide lactique, l’acide succinique et l’acide acétiques conduisant à la formation de produits extériorisant des capacités progressives de « masquage »  du potentiel aromatique des eaux-de-vie.

  • Les plus fortes teneurs en acétate d’éthyle, en lactacte d’éthyle        et en succinate d’éthyle ont été identifiées comme ayant les capacités de masquer les arômes des eaux de vie-de-vie.

  • Une  hydrolyse des carotènes des baies en TDN qui s’amplifie durant la conservation

  • L’augmentation des teneurs en acétals est également assez fréquente.

  • Une  baisse progressive des teneurs en esters légers ayant une influence directe sur les notes de type florales et fruitées.

  • Les concentrations en acétate de phényléthyle (odeur de rose), en acétate d’isoamyle (odeur de banane) et en caprylate d’éthyle (odeur de pâtisserie) diminuent régulièrement au fil des mois.


 


L’impact sensoriel sur les eaux de vie de la durée de conservation des vins :

 

 

En début de campagne de distillation, les caractères de finesse de type floraux et fruités sont dominants puis diminuent progressivement

 

 


L’intensité aromatique passe par un niveau maximum en milieu de campagne de distillation (décembre- janvier) et ensuite décroit

 

 


  • Une baisse naturelle des composés aromatique au fil des mois corrélée à une augmentation de l’impact sensoriel des composés masquant

  • Le niveau des pH des vins et le déroulement ou pas des FML ont une influence significative sur la tenue du potentiel aromatique des vins et des eaux de vie au fil des mois

  • Des  températures de conservation des vins supérieures à 12 à 15°c accélèrent l’érosion du potentiel aromatique.


 


 


R. L. P. V : – Le fait de procéder à une acidification des vins peut-il être envisagé comme une alternative pour créer une meilleure conservation des vins?


 


  • B Galy : –  « En théorie la baisse du niveau des pH des vins par l’ajout de produits naturel semblait être une piste intéressante qui ne s’est pas concrétisée dans la pratique. Les différents essais d’acidification (avec des apports d’acide tartrique) des vins que nous avons réalisé  ne se sont jamais révélés convaincants. La baisse des niveaux de pH ne constitue pas un moyen suffisant pour stabiliser le potentiel de qualité des vins. Le fait d’acidifier les vins pour mieux les conserver engendre un un effet secondaire néfaste sur la concentration en acétate d’éthyle. Celle-ci  peut augmenter vite et atteindre un niveau de concentration amplifiant la montée en puissance de l’effet masquant sur les arômes de ce composé. Par ailleurs , les apports conséquents d’acide tartrique rendent cette pratique onéreuse».

     

    R. L. P. V : – De façon empirique, les périodes de froid aussitôt les vinifications et en janvier février ne jouent-elles pas un rôle protecteur ?

     

  • B Galy :- « Nous avons mené des essais pour évaluer l’impact des coups de froid précoces et durables au cours de la conservation. Après l’achèvement des fermentations alcooliques et malolactiques (souvent nécessaires vis-à-vis de l’éthanol), un abaissement rapide et important de la température des vins (à 8 à 10°C) a démontré une action plus significative. Les températures de conservation basses limitent l’hydrolyse des composés aromatiques et tout particulièrement celles de certains esters d’acides gras, le laurate d’éthyle, la carpate d’éthyle, le caprate d’isoamyle, le caprylate d’isoamyle. La dégustation des eaux-de-vie issues de vins réfrigérés par rapport aux lots témoins avait systématiquement révélé une intensité aromatique supérieure et un caractère fruité plus marqué.

    Nous avons même testé à, la fin des années quatre-vingt-dix l’incidence des ajouts                      d’anhydride sulfureux à faible dose (2 g/hl) pendant la conservation qui étaient      encore à l’époque une pratique courante dans la région. Les résultats ont mis en   évidence une nette augmentation des teneurs en acétals et en éthanal et l’apparition            fréquentes de de notes éthérées intenses. À l’issue de ces essais, l’ensemble des   acteurs de la région ont décidé de proscrire définitivement l’utilisation de l’anhydride sulfureux pendant la conservation».

     

  •  R. L. P. V : – L’effet de la climatologie durant les deux derniers mois de distillation s’avère-t-il déterminant vis-à-vis de la conservation des vins ?

  •  

                B Galy : – « Nous avons conduit des essais de distillation tardive durant trois ans            ( en 2008,        2009 et 2010 ) qui sont venus conforter ce que l’on avait déjà mis en      évidence.        Dans les deux sites d’essais en grands volumes, les vins stockés       dans des cuves           extérieures se sont progressivement réchauffés à la faveur de        conditions       climatiques clémentes en février et en mars. Leurs températures ont           remonté de 10 à 15°C maximum. Le niveau de 15 °C avait été fixé comme une       limite maximale de     température de conservation et dans l’un des deux sites, un           refroidissement a dû être effectué. Sur le plan analytique, l’augmentation des             teneurs en lactacte d’éthyle et en succinate d’éthyle a été notable alors que     les concentrations de             certains esters légers, l’acétate d’isoamyle et         l’acétate d’hexyle (odeur de             poire) ont baissé. Le profil sensoriel des eaux-     de-vie élaborées en fin de distillation s’avérait plus maigre. Les arômes             floraux et fruités s’étaient au fil des mois amenuisés au profit de caractères de      neutralité et de notes végétales et herbacées. L’allongement des périodes de        distillation va donc à l’encombre des exigences qualitatives ».

     

  • R. L. P. V : – Le déroulement de la fermentation malolactique ne contribue-il pas à fragiliser la structure des vins de distillation ?

     

    – B Galy : – « Dans la région, l’impossibilité d’utiliser du soufre dans les vins pour maîtriser les bactéries lactiques est une spécificité qui rend le déroulement de la malo subit. La FML se fait ou pas en fonction de paramètres propres à la qualité des vins (surtout le niveau de pH) et à l’environnement de chaque chai. Son accomplissement engendre un impact qualitatif qui est généralement plus marqué en fin de période de distillation. Elle présente de l’intérêt en présence de vins riches en éthanal à l’issue de la fermentation alcoolique. C’est un moyen efficace de pouvoir corriger naturellement les teneurs en excès de ce composé composé ».

               

                – R. L. P. V : – Réfléchir à des moyens de maîtriser la malo pour préserver le potentiel aromatique des eaux-de-vie vous paraît-il envisageable ?

     


  •  
    • B Galy : – « Faute de pouvoir utiliser du soufre (engendrant de fortes teneurs en éthanal et en acétal) qui a une forte capacité à inhiber l’activité des bactéries      lactiques, on est jusqu’à présent assez désarmé pour bloquer la malo quand on le souhaite. Par ailleurs, la FML représente un moyen naturel de contrôle des teneurs excessive en éthanal qu’il faut savoir utiliser à bon escient. Néanmoins, le déroulement de la malo est un phénomène subi et non maîtrisé dans la grande            majorité des chais de la région. Nous avons testé entre les années 2003 et 2006, divers moyens pour essayer d’empêcher et de maîtriser son déroulement. Les ajouts de produits œnologiques antibactériens, du lyzozyme par exemple, ont donné des résultats décevants et nettement insuffisants en raison  probablement  des pH des vins et la pression microbiologique du milieu. La seule véritable piste intéressante a été le refroidissement des vins à 10 °C aussitôt la fin de la fermentation alcoolique. Par contre, si la chute des températures intervient après une à deux semaines, l’efficacité de cette intervention devient beaucoup plus aléatoire. Une fois que les bactéries lactiques ont entamé leur dynamique de développement, la malo est enclenchée et continuera son déroulement malgré         l’abaissement des températures à 10 °C. Elle se déroulera quand même mais de façon plus lente. Toutes ces observations fréquentes interrogent sur le moment ou la flore de bactérie lactique          présente dans les vins est domptable ou pas ».

       

                 

                 – R. L. P. V : – Le déroulement de la fermentation malolactique dans les vins de distillation est donc pour l’instant indomptable ?

       

                  B Galy : – « Effectivement, la plupart des pratiques qui ont été essayées dans la         région pour la maîtriser n’ont pas donné satisfaction. L’année dernière nous      avons   testé à l’échelle pilote un procédé de traitement des vins aux UV-C           développé par l’équipe de Ghidossi de l’ISVV à Bordeaux. Les vins doivent être      bien calés et être assez clairs pour que le traitement ait sa pleine efficacité. Les     résultats sur un petit volume de 100 l traités dans le chai expérimental de Station            Viticole se sont révélés assez bons. Les malo ont été bloquées pendant plus d’un    mois jusqu’à la distillation. Les contrôles microbiologiques des vins après le             traitement ont révélé une destruction totale de la flore de bactéries lactiques. C’est          une piste à suivre pour voir sirles résultats se confirment dans des conditions de        grands volumes et de vie microbiologiques intenses propres aux chais de la         région. Le constat de non-maîtrise du déroulement des FML que l’on peut             considérer comme      décevant, nous amène à penser qu’il faut aller plus loin dans la       connaissance de             cette fermentation secondaire. De nouvelles recherches pour          comprendre les maillons clés interférant sur le déroulement des malo des vins de distillation      représentent désormais un centre d’intérêt pour les équipes de             la Station Viticole. Ma collègue, Claudie Roulland a déjà engagé des études sur ces nouvelles problématiques».

                                        

                                                                                                                                                                

       

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