Pourvu que ça doure

12 mars 2009

« Pourvu que ça doure », disait Letizia Bonaparte, mère de Napoléon. Les responsables syndicaux champenois eux aussi croisent les doigts, partagés qu’ils sont entre les légitimes motifs de satisfaction – score fastueux du Champagne, image « de rêve », hégémonie syndicale – et la crainte de lendemains qui déchantent. Les inquiète notamment une défection rampante des vignerons non pas à la structure syndicale mais au pacte collectif qui cimente depuis des lustres la « république champenoise ». Invité d’honneur, Jean-Bernard de Larquier, président du SGV Cognac, a rappelé les fondamentaux en faisant l’éloge des « contre-pouvoirs » champenois. champagnesgv_opt.jpeg
Ce vendredi 6 avril, jour de l’AG du SGV Champagne, le soleil printanier réchauffe une végétation encore endormie. A quand le verdoiement des coteaux ? Pour l’instant ils sont d’un blanc de craie. Contraste avec l’intérieur du palais des fêtes d’Epernay où le noir de jais domine. Dans une assistance essentiellement masculine, les vignerons champenois semblent avoir fait de la veste sombre, cossue mais sans ostentation, leur norme vestimentaire. Dans les premiers rangs, chemises blanches et cravates complètent la tenue. Parmi les plus jeunes, certains osent le costume deux pièces à fines rayures de couleur. Changement de style…En fond de salle une table de presse pour les journalistes et sur l’estrade un décor très design, composé de tables façon bistrot et de tabourets blancs haut perchés. En début de réunion, chaque intervenant est gratifié d’une petite bouteille d’eau. Horribilis ! « Serions-nous devenus producteurs d’eau et non de Champagne ! » s’exclame, outrée, une responsable syndicale. L’erreur de casting est rapidement corrigée. Bouteilles et flûtes de Champagne reviennent en pole position. Car, en Champagne, on ne badine pas avec l’image et encore moins avec la quasi-vénération portée au produit. Chacun trouve des accents lyriques pour célébrer « cette si belle Champagne », le vin « le plus connu au monde ». C’est que le Champagne leur a tant donné à eux, « petits-fils de pauvres » (une autre figure rhétorique champenoise). C’est pour défendre « ce mythe », et les avantages qui vont avec, que le président Le Brun est parti en croisade (voir articles). Hauts les cœurs ! Pas question « que la culture de l’individuel nous fasse perdre les enjeux collectifs ». L’éthique professionnelle – qui rejoint le soin apporté à l’image – fait également partie des incunables du discours champenois. « Ce vin magique qu’est le Champagne donne des droits mais impose aussi des devoirs. Etre viticulteur en Champagne constitue un véritable passeport (sous-entendu, il faut le mériter). » Autre formule qui fait sens, tant du côté de la viticulture que du négoce : « On doit servir son AOC avant de s’en servir. » Ces beaux préceptes ne restent pas lettres mortes. Avec le sérieux qui les caractérise, les Champenois ont investi dans le développement durable… et le font savoir. Ils ont mis en place un Plan eau, un Plan climat, rien que des premières dans le monde viticole. Pour Dominique Moncomble, directeur technique du CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne), véritable homme-orchestre du développement durable en Champagne, il ne s’agit pas de se satisfaire « du minimum syndical ». La forme et le fond doivent aller de pair. « Vous avez tendance à hiérarchiser les actions mais, en matière de développement durable, toutes les priorités sont fondamentales. Les seules questions à se poser sont : dans quel ordre les mettre en route et quelles sont les attentes de la société. Il faut bien comprendre, poursuit-il, qu’un plan ne chasse pas l’autre mais s’intègre dans une vision d’ensemble. Nous devons toujours avoir un plan d’avance. C’est bon pour l’image, bon pour relâcher la pression réglementaire et laisse le temps de mettre en place le plan du moment. » Devant les adhérents du syndicat, le directeur technique insiste sur la perception du produit. « Il y a belle lurette que l’on sait que deux qualités cohabitent : la qualité perçue et la qualité intrinsèque. Les attentes de la société, des consommateurs, des élus, de l’Administration, des journalistes, des relais d’opinion ne se réduisent pas à entendre dire “je suis propre”. En plus d’être sûr, un produit artisanal comme le nôtre doit véhiculer des valeurs d’authenticité. » Les Champenois se souviennent comme d’un grand moment la venue récente de Nicolas Vannier à l’AG du groupe des jeunes vignerons. « Il ne s’est pas posé en donneur de leçons mais en donneur d’idées. »

des thèmes « exotiques »

Pour des oreilles extérieures à la Champagne, certains thèmes paraissent « exotiques » comme la négociation du forfait fiscal, le logement des vendangeurs où l’accueil des gens du voyage au moment de la récolte. De véritables débats sont consacrés aux normes des logements, normes qui classeraient les dortoirs des vendangeurs « au rang d’un hôtel 4 étoiles ». Pourtant, même là, les Champenois se préoccupent de leur image. « La Champagne ne peut pas avoir la casquette d’un employeur social de deuxième ordre. » Dans une courte intervention, le directeur du SGV, Nicolas Ozanam, a évoqué la marque collective « Les champagnes des Vignerons ». « C’est la diversité, a-t-il témoigné, la preuve que l’on peut faire plus ensemble que chacun dans son coin. » P. Le Brun a rebondi sur le propos : « Vendre la caisse de six, c’est notre boulot. » Il a encouragé les récoltants-manipulants à se montrer des vendeurs pugnaces. « Il y a quinze ans, nous faisions tous beaucoup d’efforts pour ouvrir nos portes. Aujourd’hui, il est parfois difficile de trouver un récoltant ouvert le week-end. Une de nos particularités réside pourtant dans ces milliers de petites marques réunies sous une seule appellation. Nos anciens ont manifesté une grande intelligence commerciale en ne négligeant pas le marché français. Essayons d’être aussi intelligents qu’eux. Il y va aussi d’un déséquilibre champenois, le poids des récoltants manipulants dans la commercialisation du Champagne. A un moment où les ventes du négoce explosent, la viticulture n’a pas à rester à la traîne. »

Chargé d’introduire l’intervention de Jean-Bernard de Larquier, président du SGV Cognac et invité d’honneur de la réunion, N. Ozanam a brossé à grands traits la fiche d’identité des Charentes : très peu de ventes directes à la propriété, 95 % des volumes écoulés à l’exportation contre un tiers en Champagne, un négoce très concentré où les quatre premiers opérateurs réalisent 80 % des affaires. Jean-Bernard de Larquier a complété le tableau avec la répartition de la valeur ajoutée. « Chez vous, la matière première représente 50 % du prix de la bouteille contre 10 % dans une bouteille de cognac V.S, qualité qui représente 50 % des ventes. Le rapport s’améliore, a-t-il ajouté, quand on monte en gamme. » Il n’a pas éludé l’individualisme charentais, symbolisé par la défaite de l’unité syndicale « par deux fois a-t-il précisé, en 1968 avec la création de la FSVC aux côtés de la FVC et beaucoup plus récemment avec l’émergence du SVBC, quelques années après la naissance du SGV ». Il a par ailleurs noté en Charentes la relative absence des coopératives comme outil de contre-pouvoir.

l’incontournable SGV Champagne

Est-ce pour exorciser les démons d’une dilution syndicale rampante ? En début de réunion, le président du SGV Champagne n’a pas fait dans la nuance quand il a affirmé à ses mandants : « Sachez bien que tout ce qui vous arrive passe d’abord par le SGV et ce que vous en voyez n’est que la partie immergée de l’iceberg. » Qu’on se le tienne pour dit !

Comme la tradition l’exige, après l’apéritif au Champagne pris sur place, les participants à l’assemblée (plus d’un millier) ont rejoint le lieu du déjeuner, chez Nicolas Feuillate (Centre vinicole de la Champagne – CVC), à quelques kilomètres d’Epernay. Pour l’anecdote, petite surprise de voir arriver les vignerons avec leur glacière. C’est là aussi une tradition : contre un prix du repas minoré, les vignerons apportent leur Champagne. Ils repartent en bus.

Nouveau président de l’Union des maisons de Champagne – il a succédé à Yves Bénard – Ghislain de Mongolfier a pris la parole au cours du déjeuner, un moment toujours très attendu par la viticulture. Pour sa première intervention, le représentant du négoce a dit quelques mots de son parcours, d’abord comme chercheur à l’INRA, spécialiste de l’intégration économique dans l’agro-alimentaire, puis comme cadre dans l’interprofession du sucre et enfin comme dirigeant de la maison appartenant à sa famille (Bollinger), « familiale à 100 % » a-t-il précisé.

G. de Mongolfier est revenu rapidement sur les crises ayant affecté le Champagne : celle de 1911, « véritablement calamiteuse », celle de 1931 où le Champagne ne se vendait plus, celle de 1991 où les ventes « ne bénéficiaient pas à l’économie champenoise mais à l’économie bancaire d’où le terme de “bouteilles de banquiers” ». Concernant celle-ci, qui ne lui semble pas moins grave à long terme, il a demandé que les conditions soient créées pour « libérer des kg raisin afin de les mettre au service du consommateur ». Il a assuré que le négoce abordait les prochains accords interprofessionnels « dans un esprit constructif, sachant quand même que le négoce représente une part importante du marché et qu’il a besoin d’apports de marchandise pour créer de la valeur. En même temps, a-t-il ajouté, il ne doit pas y avoir de débouché sans création de valeur ». « Le négoce, a-t-il dit, sera à la fois un partenaire loyal, dynamique mais exigeant. »

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