Aléas climatiques : L’assurance dans tous ses états

26 janvier 2017

La recrudescence des aléas climatiques, dont témoigne une année comme 2016, confère un  regain d’actualité à l’assurance climatique. Face à des engagements financiers toujours plus importants et des risques accrus, difficile de ne pas penser à sécuriser davantage son exploitation. Après, reste à trouver le bon rapport qualité / prix. Une information sur le sujet a été récemment proposée par les deux caisses de Crédit Agricole de la zone viticole Charentes-Cognac.

   

 

 

François Rosenberg, référent technique régional de Pacifica, la filiale Assurance dommages du Crédit Agricole a indiqué qu’en 2016, le vignoble français avait été amputé de 30 % de sa production. Pour une part non négligeable ce déficit s’explique par les intempéries. Les Charentes en savent quelque chose, qui vécurent en direct un précipité de tout ce qui peut s’abattre du ciel : gel, grêle, sécheresse, grillure…Seules lui furent épargnées la tempête et les inondations. Dans un tel contexte, qu’un opérateur banque / assurance comme le Crédit Agricole relaie un message de sauvegarde – « Protégez votre exploitation viticole » – relève de la bonne politique. D’ailleurs les représentants de la filière ne disent pas autre chose – « Face aux aléas climatiques, on ne peut plus continuer ainsi. Un filet de sécurité est nécessaire et l’assurance en fait partie. »

 

De quel ordre est le taux d’équipement ? Difficile à dire mais à l’évidence il n’est pas très élevé. Pour ne parler que de la grêle, existe le contrat grêle classique dit « au premier grêlon », souscrit à la parcelle. Bien connu des viticulteurs et efficace, il remonte à près d’un siècle. Et puis sont apparus voilà une dizaine d’années les produits d’assurance multirisques climatique (MRC), suite au retrait progressif de l’Etat en matière d’indemnisation des calamités agricoles. Ces contrats dits aussi « d’assurance récolte » présentent deux caractéristiques principales : outre la grêle, ils permettent de couvrir toute une série d’évènements climatique ( gel, sécheresse, excès d’eau, tempête, coups de chaleur, coulure, millerandage…) – Ils sont subventionnés par l’Europe, en sachant que la subvention maximale peut atteindre 65 %.

 

C’est sur ce type de contrats d’assurance récolte que le Crédit Agricole a souhaité mettre l’accent lors de la réunion qu’il a organisée le 6 décembre dernier salle du Castel à Chateaubernard. « Nous n’avons rien à vendre à la sortie » a déclaré Antoine Mornaud, directeur des marchés spécialisés à la Caisse Charente-Périgord même si, à l’évidence, la banque/assurance s’est appuyée sur ses propres produits – dont un nouveau contrat sorti en 2015 – pour évoquer l’assurance multirisques récolte.

 

Le spécialiste des assurances climatiques à Pacifica, François Rosenberg, a commencé sa présentation en parlant des deux grandes logiques qui sous-tendent l’assurance multirisques climatique : l’assurance « produit par produit », dite encore assurance « par appellation » et l’assurance « à l’exploitation ». On l’aura compris ! L’assurance récolte privilégie une assurance « globale », îlot par îlot  ou à l’exploitation mais pas une assurance  à la parcelle , comme peut le faire l’assurance grêle classique. Il s’agit d’une différence d’approche fondamentale.

 

 

 

Assurance récolte : le contrat  « produit par produit »

 

 

 

L’intervenant a pris le cas d’une exploitation viticole charentaise. Le vigoble se compose de 20 ha de vignes, tout au Cognac mais répartis dans les crus Fins Bois, Petite et Grande Champagne. Le viticulteur va pouvoir choisir d’assurer la récolte viticole des crus Fins Bois et Petite Champagne mais pas celle de Grande Champagne car il considère la zone moins gélive, moins soumise aux couloirs de grêle… C’est le principe de l’assurance dite « par appellation ».  Comment se détermine la couverture ? En calculant tout d’abord le rendement historique des cinq dernières années (ligne 5 de la déclaration de récolte), puis en retirant la meilleure et la moins bonne année. C’est ce qui permet d’obtenir ce qu’on appelle la « moyenne olympique ». Après valorisation de ce rendement en €, cette « moyenne olympique » va déboucher sur un capital assurable. Mais ce n’est pas fini. Il va ensuite falloir choisir le montant de la franchise. Une franchise qui, selon F. Rosenberg, correspond un peu « au devoir de gestion de l’assuré », la part qu’il doit assumer pour ne pas payer une prime d’assurance trop élevée.

 

On a dit plus haut que l’Europe aidait les contrats d’assurance multirisques climatiques.  Un « contrat socle », publié par les pouvoirs publics, définit les critères pour profiter de cette aide : événements climatiques assurables, seuils de déclenchement et de franchise pour obtenir les meilleurs taux de subvention. Dans le cadre de l’assurance « produit par produit », la subvention maximale s’obtient avec un seuil de déclenchement d’au minimum 30 %, une franchise d’au moins 25 %.

 

Qu’entend-on par seuil de déclenchement de 30 %, franchise de 25 % ? Cela signifie que pour être indemnisable, la perte doit représenter plus de 30 % du rendement olympique. Exemple : le rendement olympique du produit Fins Bois s’élève à 130 hl vol ha et la récolte de l’année ne dépasse pas les 60 hl vol ha. L’indemnisation va pouvoir jouer (plus de 30 % de déficit). La franchise, elle, va s’appliquer de la façon suivante : moyenne olympique de 130 hl vol ha – franchise de 25 % = 97,5 vol ha. Une fois la franchise déduite, on va calculer la perte indemnisable (97,5 – 60 = 37,5 hl vol ha).

 

Cela dit, il est tout à fait possible d’abaisser le seuil de déclenchement et/ou la franchise en procédant à d’un rachat de  rendement et/ou de franchise. Cela peut s’avérer intéressant, notamment quand des accidents climatiques, les années précédentes, ont pénalisé la moyenne olympique. Par contre, le niveau de subvention s’en ressentira, forcément.

 

Quelque part, s’assurer, c’est toujours rechercher le meilleur compromis entre coût et sécurité. A ce titre les simulations faisant varier les curseurs, représentent une bonne aide à la décision. Si les compagnies d’assurances ont toutes adapté leurs produits pour intégrer le « contrat socle », elles proposent aussi du cousu main. Histoire d’imager le propos, le responsable assurances climatiques à Pacifica  parle « d’une partie sécurité sociale et une partie mutuelle ».

 

 

 

Assurance récolte : le contrat « à l’exploitation »

 

 

 

Comme le laisse entendre l’intitulé, ce type de contrat induit un changement d’échelle. En effet, le contrat socle prévoit qu’il faut assurer au moins 80 % des surfaces de l’exploitation ou bien deux types de cultures différentes. Cas d’une exploitation de polyculture vigne – Pour assurer la partie viticole (si l’on ne veut pas souscrire un contrat pour la globalité de la structure), il conviendra d’assurer une autre spéculation, tel l’atelier maïs ou l’atelier tournesol par exemple. Que se passe-t-il quand l’exploitation est 100 % viticole ? Dans cette hypothèse, la notion de cultures différentes peut se matérialiser par un atelier Cognac et un atelier Vins de pays charentais par exemple.

 

Souscrire un contrat « à l’exploitation », c’est assurer un chiffre d’affaires global de l’exploitation et non un rendement, comme pour le contrat « par appellation ». Ce qui n’empêchera pas de fixer un rendement historique par type de culture (moyenne olympique) ainsi qu’une franchise. Cependant, cette franchise ne s’appliquera pas sur les rendements mais sur le capital. Dans le cadre d’un contrat « à l’exploitation », la subvention maixamle s’obtient avec un seuil de déclenchement de 30 % minimum et une franchise de 20 % minimum.

 

Contrat moins cher que le contrat par appellation, l’assurance « à l’exploitation » s’assimile davantage à une mutuelle « coup dur ». A l’évidence, elle ne permet pas de piloter aussi finement sa couverture dommages.

 

Pour résumer, l’assurance multirisques climatique présente l’avantage de couvrir une gamme étendue de sinistres (de la grêle au gel en passant par le vent, la sécheresse, les inondations…) et de bénéficier d’un sérieux coup de pouce des pouvoirs publiques L’intervenant du Crédit Agricole a livré un ordre de grandeur. « En viticulture, une prime d’assurance à taux plein de 10 000 € constitue une base assez commune. Et bien, sur ce montant, il n’est pas rare de décrocher une subvention de 5 000 €. Clairement, vous achetez votre assurance en dessous de son coût de production. » Au passage, le représentant de Pacifica n’a pas omis de préciser que sa compagnie consentait une avance de trésorerie qui permettait de ne pas débourser les 5 000 €. « Nous faisons l’avance de la subvention à nos assurés». Si des questions ont pu se poser par le passé sur la pérennité des aides, il semble que la page soit tournée. « Aujourd’hui, la subvention est garantie à taux plein. L’Europe fait de l’assurance un levier important pour accompagner les agriculteurs. Ce sera un instrument privilégié de la nouvelle PAC. »

 

Entre assurance grêle classique et assurance récolte, que choisir ? L’un et l’autre système présentent points forts et points faibles. L’assurance grêle ne prévoit pas de seuil de déclenchement (elle fonctionne « au premier grêlon ) et ne tient pas compte des rendements historiques. Par contre son périmètre se borne au sinistre grêle. A contrario, des contraintes réglementaires s’appliquent à l’assurance récolte – seuil de déclenchement, moyenne olympique – mais la couverture est plus large et la prime d’assurance fortement subventionnée. A noter qu’il est possible de coupler le contrat d’assurance  grêle au contrat d’assurance récolte. Commentaires de François Rosenberg – « La couverture du risque climatique ne doit pas s’envisager en silos. Elle doit s’intégrer dans une stratégie globale. » En vignes, les deux types de contrats sont à souscrire avant le 28 février.

 

  

Assurances et fiscalité : Une insatisfaction chronique

 

Les assurances et plus généralement les outils de gestion des aléas climatique génèrent, sur le plan fiscal, une insatisfaction chronique. Insatisfaction qui frise parfois l’irrationnelle. Patrice Fradet, directeur de territoire à Cerfrance Poitou-Charentes, a été invité par le Crédit Agricole a faire le point des règles en vigueur.

 

Au sujet des outils pour couvrir le risque – réserve climatique, assurances…- la fiscalité est souvent décrite comme injuste voire confiscatoire. Selon le mécanisme bien connu de la double peine, à la perte de récolte s’ajouterait un prélèvement fiscal supplémentaire. Qu’en est-il vraiment ?

En ce qui concerne la réserve climatique, « c’est en partie vrai » a confirmé P. fradet.  Au cas présent, le mécanisme en cause est tout simple. La réintégration de la réserve climatique consécutive à la perte de récolte entraîne une baisse du prix de revient de l’hl d’AP (davantage de volume pour la même surface). Fiscalement, cela se traduit par une majoration fiscale mais uniquement l’année de la vente. Si la réserve climatique est vendue en compte 2, l’impact fiscal jouera lors de l’exercice N+2.

En ce qui concerne l’indemnité d’assurance, il en va différemment. Ici, il faut distinguer entre taxation à l’IR (impôt sur le revenu) et taxation à l’IS (impôt sur les sociétés).

Dans le premier cas – imposition à l’IR – il est possible de reporter l’indemnité d’assurance l’année où la vente aurait dû avoir lieu (en compte 2 par exemple). Ainsi, le mécanisme de la « double peine » ne joue pas.

Dans le second cas – imposition à l’IS – cette possibilité de report n’existe pas. L’indemnité d’assurance rentre bien dans le résultat de l’année de récolte (ou plutôt de la non-récolte). Effectivement, dans ce cadre-là, on peut parler d’un « biais fiscal » préjudiciable au contribuable. Cependant, à la marge, va pouvoir jouer le mécanisme dit de la « sous réalisation ». Les règles de l’IS permettent en effet de recalculer le prix de revient comme si l’on se situait en année normale, alors qu’il est mathématiquement plus élevé. La différence passe en charge sur l’exercice, ce qui permet d’atténuer le résultat et compenser, au moins partiellement, la fiscalisation de l’indemnité.

Néanmoins les professionnels appellent de leurs vœux un aménagement plus substantiel des règles de l’IS, afin de pouvoir étaler l’indemnité sur l’exercice N + 1voire N + 2.  « Dédramatisez les conséquences fiscales » a cependant recommandé Patrice Fradet. Pour le conseiller de gestion, la pire des choses serait de ne pas se couvrir. « Faire de la climatique, souscrire une assurance, c’est pouvoir faire face à ses engagements, honorer ses contrats. » Comment calculer son risque financier ? De manière assez classique, il a parlé des coûts de production, des annuités d’emprunt mais aussi des besoins privés. « Ce n’est pas parce qu’il grêle qu’il faut s’arrêter de vivre. L’appréciation de tout ça doit vous aider à déterminer un chiffre d’affaires minimum à atteindre, un rendement minimum à obtenir. » « Sans oublier, a-t-il précisé, de constituer, dans la mesure du possible, un peu d’épargne de précaution, même si c’est plus facile à dire qu’à faire. »

 

 

                                                            UGVC

                              Un groupe de travail sur les aléas climatiques

 

La répétition mais aussi l’intensité des épisodes de grêle ont fait de 2016 une année exceptionnelle. Le syndicat viticole en a pris la mesure, qui a créé un groupe de travail sur les aléas climatiques.

 

Au sein de l’UGVC, le responsable du groupe de travail « aléas climatiques » s’appelle Nicolas Tricoire. Viticulteur-bouilleur de cru à Saint Brice près de Cognac, son exploitation a été fortement touché par la grêle du 27 mai. Une récurrence existe d’ailleurs sur le secteur. Avec un style direct qui collait bien au propos, le viticulteur a listé les points sur lesquels le syndicat allait exercer sa vigilance, voire élaborer un plan d’action, en partenariat  avec d’autres acteurs.

Alertes météo – « Nous n’avons pas été prévenus le 27 mai et le 12 juillet, les services de Météo France étaient tout simplement en grève ! » Le représentant de l’UGVC n’a pas caché l insatisfaction croissante de la filière à l’égard des services de Météo France. «Certes, le risque 0 n’existe pas mais nous leur donnons tout de même 40 à 45 000 € à l’année. Nous sommes en droit d’attendre un retour. Si les services de Météo France ont des soucis, qu’ils le disent. Ils ne sont pas seuls sur le marché de la prévision. » Une réunion doit d’ailleurs se tenir en fin d’année avec Météo-France, l’association ANELFA, la filière Cognac.

Repenser le réseau de protection – Tout le monde le sait ! Les postes anti-grêle à iodure d’argent ne protègent pas leur environnement immédiat mais les cultures à 40 ou 50 km plus loin. L’efficacité du réseau nécessite donc de réfléchir à sa  cartographie et là, ça devient très vite compliqué. Où se forment les orages ? Sur terre, en mer ? Qu’est-ce qui peut motiver un viticulteur de Gironde à tenter de sauver la récolte d’un vigneron charentais ? Mieux ! Un sylviculteur des Landes girondine se sentira-t-il investi d’une quelconque responsabilité à l’égard de la production viticole de son département voire d’autres départements ?  Ces questions d’optimisation du réseau sont au cœur du débat. Qu’en sortira-t-il ?

Achat de vendanges fraîches – « Zéro coup de téléphone ». C’est le constat sans appel de Nicolas Tricoire. Le dispositif ne marche pas. Faut-il le repenser, l’abandonner ? Un sujet de discussion.

Fiscalité de l’assurance – A l’impôt sur les sociétés notamment, la fiscalité de l’indemnité d’assurance peut se révéler pénalisante. L’idée ! Que la somme puisse s’étaler sur les années N+1, + 2, +3 . Comment ? En faisant évoluer les textes ?

« En dix ans, la région a été touchée sept fois et les dégâts montent en intensité» a souligné le représentant de l’UGVC. « Si la réserve climatique est une très bonne chose, faut-il encore pouvoir en constituer. Le Cognac se porte bien mais, dans certains cas, les viticulteurs regardent un peu passer le train. C’est une situation compliquée. » D’où l’urgence de tenir les « assises des aléas » et qu’en émergent de vraies solutions.

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé