À quelques heures d’un tournant annoncé dans la politique commerciale américaine, les tensions montent sur les marchés et au sein des institutions européennes. Alors que Donald Trump promet une nouvelle vague de droits de douane le 2 avril, l’Union européenne redoute une escalade commerciale aux effets potentiellement déstabilisants. Si les effets directs des tarifs sont limités à court terme, les conséquences indirectes — financières, commerciales et politiques — exigent une vigilance renforcée.
Le « Jour de la libération » : une déclaration offensive
Le 2 avril 2025, qualifié par Donald Trump de « Jour de la libération », marque selon le président américain le début de l’imposition de nouveaux droits de douane « réciproques » contre divers partenaires commerciaux. L’objectif affiché est de corriger ce que Trump considère comme des pratiques commerciales déloyales à l’encontre des États-Unis. Cette décision s’inscrit dans la continuité des politiques protectionnistes mises en œuvre lors de son premier mandat (2018–2020), mais dans un contexte économique et géopolitique encore plus tendu.
À la veille de l’échéance, le président américain reste volontairement flou sur les pays et les produits concernés. Si certains de ses conseillers, dont le secrétaire au Trésor Scott Bessent, évoquent l’idée de cibler 15 % des pays générant des déséquilibres commerciaux, Trump affirme vouloir viser « tous les pays », y compris les alliés traditionnels des États-Unis.
Des marchés nerveux et une Europe dans l’expectative
L’annonce d’une nouvelle vague de droits de douane a fait chuter les places boursières mondiales, révélant une forte appréhension des investisseurs quant à l’ampleur des mesures annoncées.
Côté européen, l’anxiété se double d’une stratégie de préparation. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a qualifié cette période de « moment existentiel pour l’Europe » plaida nt pour une réponse collective : « une marche vers l’indépendance ».
Des effets directs « limités », mais des risques financiers accrus
Selon une étude commandée par le Parlement européen, les effets directs des nouveaux tarifs américains sur les exportations de la zone euro seraient négatifs, mais gérables. Grâce à la dépréciation de l’euro et aux ajustements de la Banque centrale européenne, la compétitivité des exportateurs européens pourrait être partiellement préservée.
Cependant, les risques les plus préoccupants sont d’ordre financier. L’augmentation des primes de risque sur les obligations américaines à long terme, liée aux inquiétudes sur la soutenabilité de la dette américaine, se traduit par une hausse des coûts de financement en Europe. Cela pourrait limiter la capacité des États membres à investir ou à soutenir leur économie, notamment dans un contexte de renforcement des dépenses de défense et de transition énergétique.
« Si les gouvernements européens doivent accroître les dépenses publiques pour renforcer la compétitivité et les capacités de défense, la hausse des coûts d’emprunt pourrait poser des défis fiscaux importants. »
Le spectre d’un « second choc chinois »
« Une politique commerciale protectionniste des États-Unis renforcerait la force de ce choc vers l’Europe. »
Une autre source d’inquiétude est le risque dit du « second choc chinois ». En durcissant ses restrictions commerciales envers la Chine, les États-Unis pourraient détourner une partie des exportations chinoises vers le marché européen. Cela intensifierait la concurrence pour les entreprises européennes, en particulier dans les secteurs de la machinerie, de l’automobile et des produits pharmaceutiques — déjà fortement exposés.
« Le « second choc chinois » pourrait amplifier les pressions économiques. Les restrictions commerciales visant la Chine pourraient détourner les exportations chinoises vers l’Europe. »
« Le taux de change euro/yuan pourrait s’apprécier, rendant les produits européens moins compétitifs face à la Chine. »
La Chine, confrontée à une faible demande intérieure et à une pression déflationniste, pourrait réagir par une baisse des prix et une nouvelle dépréciation de sa monnaie. De telles mesures renforceraient la pression sur les producteurs européens, qui peinent déjà à préserver leurs parts de marché.
Retombées économiques : emploi et investissement sous pression
Les prévisions suggèrent qu’une réduction de 10 % de la demande américaine pour des produits européens pourrait entraîner une baisse des exportations jusqu’à 95 milliards d’euros, soit 3,4 % des exportations totales de la zone euro. Une telle contraction pourrait entraîner des pertes d’emplois significatives. On estime qu’une baisse de 1 milliard d’euros des exportations équivaudrait à 8 000 à 10 000 suppressions d’emplois, selon les secteurs.
« Une réduction de 1 milliard d’euros de la production destinée à l’exportation pourrait entraîner 8 000 à 10 000 pertes d’emplois. »
« Une réduction de 1 milliard d’euros d’investissement pourrait entraîner 12 000 à 15 000 pertes d’emplois. »
« Une baisse des exportations de 95,2 milliards d’euros pourrait entraîner une réduction du PIB d’environ 0,27 %. »
En parallèle, l’investissement dans les secteurs tournés vers l’exportation pourrait diminuer de 1,5 à 2,5 %, aggravant la situation de l’emploi et freinant la croissance potentielle. Le climat d’incertitude lié à la politique commerciale américaine conduit également les entreprises européennes à repousser leurs décisions d’investissement.
Risques de guerre commerciale et pièges politiques
L’une des principales menaces évoquées par les économistes est celle d’une guerre commerciale symétrique. Si l’UE réplique aux tarifs américains par des mesures similaires, les effets pourraient être stagflationnistes : ralentissement de l’activité économique combiné à une hausse des prix à la consommation.
La BCE serait alors confrontée à un dilemme : soutenir la croissance tout en maîtrisant l’inflation importée. Selon les modélisations, une guerre commerciale bilatérale pourrait entraîner une baisse du PIB de la zone euro de 0,8 à 1,2 % et jusqu’à 500 000 pertes d’emplois.
« Une guerre tarifaire symétrique pourrait réduire le PIB de la zone euro de 0,8 à 1,2 % sur un an, doublant l’impact des tarifs unilatéraux. »
« Les pertes d’emplois pourraient dépasser 500 000 postes, concentrées dans les secteurs dépendants du commerce. »
Une réponse européenne entre prudence et fermeté
Face à ces risques, le rapport du Parlement européen recommande une approche équilibrée : éviter une surenchère protectionniste, favoriser la diversification des partenaires commerciaux, promouvoir l’innovation et maintenir une politique monétaire flexible.
« L’UE devrait éviter le protectionnisme de représailles, car des tarifs trop larges aggraveront les tensions économiques. »
« Une stratégie axée sur la diversification commerciale, les incitations à l’innovation et une politique monétaire flexible est recommandée. »
« La résilience de l’économie de la zone euro dépendra de la capacité des institutions européennes à éviter les erreurs de politique économique et à utiliser efficacement les outils macroéconomiques. »
La stratégie de l’UE, comme l’a rappelé Ursula von der Leyen, repose sur deux piliers : le dialogue et la fermeté proportionnée. L’enjeu est de préserver la stabilité économique sans renoncer à défendre les intérêts européens.
Pour retrouver l’étude du Comité des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen, Euro Area Risks Amid US Protectionism : https://www.europarl.europa.eu/cmsdata/293862/Bocconi_March%202025%20-%20FINAL.pdf
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