Jean-Dominique Andreu et Patrick Guidicelli ne sont pas des inconnus dans la région. Voilà presque 20 ans, en 1989, Jean-Dominique Andreu fonde avec son alter ego Alexandre Gabriel la société Cognac Ferrand. Patrick Guidicelli en est le premier salarié. Ambitieux et innovateurs, commerçants dans l’âme, les « Gabriel & Andreu » mènent leur entreprise tambour battant, quitte à bousculer quelque peu les bienséances locales. Ils s’approprient sans vergogne le nom de Ferrand – le propriétaire de Grande Champagne qui leur a mis le pied à l’étrier en leur vendant leurs premiers Cognacs – sans que le viticulteur de Segonzac comprenne vraiment ce qui lui arrive. Mais il y a prescription. La société déploie une belle énergie et un vrai savoir dans la prospection des marchés export. Elle fait preuve d’anticipation, flaire les niches de marché. Son chiffre d’affaires prospère rapidement : 10, 15 millions d’€… En région, Patrick Guidicelli s’occupe de l’amont et gère l’intendance. D’origine corse, le personnage est flamboyant avec ses chemises blanches et ses larges cravates, à l’inverse de ses employeurs qui cultivent la couleur muraille dans leurs costumes sombres et leurs pulls à cols roulés. Cependant le tandem fonctionne. Le responsable de la production structure l’outil (lignes de mise en bouteille, cuverie). En 2004, les Cognacs Ferrand connaissent une sorte d’apothéose, avec l’inauguration de leurs nouvelles installations de Bonbonnet, commune d’Ars. La suite promet d’être brillante, sur fond de « sucess story » des spiritueux. Fin 2007 cependant, des rumeurs bruissent : la société Cognac Ferrand connaît des problèmes. Est-ce dû à la pénurie d’eaux-de-vie et au renchérissement de son prix ? En fait, le torchon brûle entre les deux associés fondateurs. La situation durerait depuis trois ans mais se serait aggravée en 2007. Questionné sur le sujet, J.-D. Andreu ne souhaite pas épiloguer. Juste commente-t-il sobrement : « Alexandre Gabriel et moi-même étions en désaccord sur le développement et les stratégies de l’entreprise. » Il n’en dira pas plus, sauf à lâcher le mot de « gâchis ». Entre les deux associés, la séparation est consommée fin mai 2008. « Chacun est chez soi. La page a été tournée et bien tournée » précise J.-D. Andreu. Préférant manifestement aller de l’avant plutôt que s’appesantir sur le passé, il raconte comment s’est passé le rapprochement avec leur partenaire russe. « En fait, nous nous connaissions depuis dix ans car la société Aroma était cliente de Ferrand pour le Cognac Nakhimov et le brandy Cherny, mis en bouteilles à Bonbonnet. Les dirigeants d’Aroma m’ont dit : « On veut faire quelque chose dans le Cognac mais on le fait avec toi !» J.-D. Andreu brosse le portrait de la société Aroma : « En Russie, elle se classe parmi les acteurs de poids de la distribution des vins et spiritueux. Basée à Moscou, il s’agit d’une société à capitaux familiaux fondée il y a une quinzaine d’années par des personnes privées, au fort esprit d’entreprise. » « Aroma, poursuit-il, contrôle 10 % des ventes de V&S sur le territoire russe. Premier importateur de brandy français et de Cognac en Russie (32 % des importations en bouteilles), sa marque de Cognac Nakhimov occupe la deuxième position derrière Hennessy. Si ses brandies ne détrônent pas le brandy arménien Ararat (propriété du groupe Pernod-Ricard), le brandy Cherny arrive en tête des brandies importés. La société distribue aussi des Whiskies, des liqueurs de Hollande, des vins du Chili, des vins français et italien. Elle possède également des vignobles en Moldavie où elle élabore des mousseux de bonne qualité. »
aroma investit à cognac
Le 28 décembre 2007, avec ses associés Andreu et Guidicelli, la société Aroma rachète le site de production de la société Lafragette, confrontée aux difficultés que l’on sait. Le site était en vente depuis deux ans et demi. Dans la corbeille, figure la marque A. de Fusigny. La société franco-russe a l’intention d’en faire son bateau amiral, une marque de luxe à résonance internationale, positionnée sur le très haut de gamme, tant en terme de qualité que de packaging. Pour le reste, Aroma décide de rapatrier toute sa production de brandy et de Cognac sur le site des Gabariers, soit environ 500 000 bouteilles de Cognac expédiées annuellement en Russie et quelque 5 millions de bouteilles de brandies. Jean-Dominique Andreu précise qu’il ne sortira pas une goutte de vrac des chais des Gabariers. « Nous expédierons tout en bouteilles. »
Le 17 juillet 2008, les associés français d’Aroma invitaient la presse à découvrir leurs nouvelles installations. J.-D Andreu et P. Guidicelli parlent d’un site « idéalement situé », au cœur de Cognac, à quelques encablures de deux « grands» du négoce cognaçais, les sociétés Martell et Hennessy. « Nous sommes des lilliputiens à côté mais pourtant nous avons l’ambition, avec la maison A. de Fusigny, de créer une vraie petite structure industrielle du Cognac, dotée de tous les attributs d’une maison de Cognac, de l’achat de vin au vieillissement sous bois en passant par la distillation, l’assemblage et la mise en bouteille. » Le site possédait déjà huit alambics, un laboratoire d’analyse, deux chaînes de mises en bouteilles, de la cuverie. Sur les trois premiers mois de l’année 2008, la société franco-russe a déjà injecté 700 000 € supplémentaires et l’on peut penser que les investissements ne s’arrêteront pas là (aménagement des bureaux, nouvelle chaîne de mise en bouteilles…). La société, qui emploie aujourd’hui 10 personnes, a commencé à acheter du vin cette campagne. Elle procédera à quelques « tours de chauffe » des alambics, histoire de se « mettre en jambe » et valider l’outil. P. Guidicelli parle d’une véritable « ré-industrialisation » du site. « Notre grande chance, c’est d’avoir des partenaires tels qu’Aroma. Ils nous font confiance et nous donnent carte blanche. » Lors de l’achat du site, les associés russes ne se sont pas déplacés. Leur acquisition, ils l’ont vu en photo. Par contre, ils étaient présents le 27 septembre dernier, à la soirée de prestige « La Part des Anges » organisée par le BNIC autour de la vente aux enchères de Cognacs au profit d’associations caritatives. De nombreux Russes participaient à ce dîner, décidément très russophone. Si la profitabilité du Cognac attire des investisseurs aux poches bien garnies, pourquoi certains font-ils le choix de prendre pied à Cognac au lieu de s’approvisionner en vrac ou en bouteilles auprès de fournisseurs locaux ? Réponse de J.-D Andreu et P. Guidicelli : « Le savoir-faire acquis au fil des générations n’est pas exportable. » Comme autre raison, ils évoquent la « spirit valley » et sa panoplie de sociétés spécialisées dans l‘emballage de luxe. Un bassin de compétences assez unique en son genre.
Par rapport à son expérience précédente, J.-D Andreu parle d’une approche nouvelle : « Je ne vois pas les choses tout à fait de la même façon. Nous voulons mener une vraie politique d’amont, politique permise par la solidité de notre partenaire. Tout en étant modestes et pragmatiques, nous sommes animés d’une grande ambition : faire de Fusigny une maison solide, sérieuse et impliquée dans le Cognac. Quant à l’aspect commercial, vous pouvez me faire confiance, ça va bouger ! »
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